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Les signes d’une inter-coopération de degré variable

Chapitre 4. Les Scop pourvoyeuses de coopération sur un terrritoire

2. Les signes d’une inter-coopération de degré variable

L’inter-coopération désigne les relations privilégiées existant entre les coopératives dans le but d’abord d’être solidaires les unes des autres et ensuite, à plus long terme, d’être les acteurs d’une transformation sociale élargie. L’expression de « République coopérative » de Charles Gide (1847- 1932), le grand théoricien de la coopération en France, désigne cette voie de diffusion de la coopération dans l’ensemble des secteurs de l’économie, diffusion qui devait se faire pour cet auteur à partir des coopératives de consommation. L’esprit en est qu’il faut « se réunir, faire masse » car « ce n’est pas en restant isolées, incohérentes, et intérieurement en état anarchique, que nos petites associations coopératives pourront suffire à ce grand œuvre de défense sociale et lutter efficacement contre les grandes associations capitalistes »53. C’est une perspective reprise récemment, en la

réactualisant, par Jean-François Draperi54.

51 A. Barthélémy, S. Keller, R. Slitine (2013), L’économie qu’on aime, éditions Rue de l’échiquier, Paris. 52 A. Artis et alii, op. cit.

53 Extrait du discours inaugural du 4ème Congrès coopératif à Paris en 1889.

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Les coopératives basques, parmi lesquelles on compte la coopérative bien connue de Mondragon, illustrent bien cette inter-coopération dont certains auteurs ont montré l’efficacité, favorisant les bonnes performances économiques des structures coopératives et permettant ainsi leur développement et leur pérennité55. C’est, bien qu’à une toute autre échelle, ce que nous avons

observé sur le terrain. Une illustration manifeste en est la solidarité qui nous a été rapportée par un de ses initiateurs, entre des dirigeants de Scop se réunissant à intervalles réguliers. La connaissance de déboires financiers de l’entreprise de l’un d’entre eux a abouti à des initiatives de solidarité remarquables à plusieurs reprises ; il a pu s’agir d’apports financiers directs, leviers d’accès à d’autres financements, ou indirects à travers le rachat de bâtiments loués par la suite à la Scop en difficultés afin qu’elle se procure de la trésorerie… Ailleurs, c’est une Scop qui prête ses locaux à une jeune autre Scop pour l’aider. On nous a ainsi rapporté dans le détail des actions solidaires à travers des arrangements reposant sur la parole donnée qui montraient les liens privilégiés tissés entre les dirigeants de ces Scop et dont le résultat très concret a été de permettre la survie de certaines d’entre elles. Ces actions ont été jusqu’à l’intégration par l’une d’entre elles d’une autre Scop risquant de disparaître. Une personnalité forte, dirigeant d’une importante Scop locale, en a souvent été à l’origine, étant administrateur dans plusieurs autres Scop, ayant recommandé à un collègue son successeur… Ce sont quelques témoignages du rôle très actif qu’il joue personnellement sur son territoire auprès des autres Scop. Ce qui l’amène à agir ainsi est une volonté manifeste de faire connaître et diffuser le modèle des Scop, par reconnaissance vis-à-vis du mouvement coopératif qui avait permis à l’époque de sauver l’entreprise dans laquelle il travaillait, et par conviction de l’intérêt de ce statut pour d’autres entreprises. Une telle reconnaissance vis-à-vis de l’UrScop a été fréquemment entendue, en particulier auprès de nos interlocuteurs dans les Scop résultant de transformation d’entreprises classiques.

L’UrScop a un rôle d’animation et d’unification des Scop, ayant également sous son égide les Scic, bien visible sur les territoires enquêtés favorisant de ce fait l’inter-coopération. Nous en parlons dans la première partie de ce rapport à propos de son engagement dans les projets de reprise d’entreprises par les salariés. Un exemple de ce rôle a été le rassemblement récent à Grenoble à l’occasion de la création de la 100ème Scop iséroise, ce qui a créé une opportunité de rencontres entre

leurs membres. Sur le territoire de l’agglomération grenobloise, des Scop relaient par des initiatives locales cette action. Ainsi, un comité isérois existe depuis quelques années proposant des rencontres et différents événements et des temps d’échanges appelés « les midis de l’UrScop » ont longtemps existé. Il faut noter aussi que ces actions ont diffusé la connaissance du statut de Scop également, ce qui a légitimé les entreprises l’adoptant auprès d’acteurs comme les banques, les collectivités territoriales, la CCI, etc.

Ces relations entre Scop et Scic sont aussi favorisées par leur proximité physique, ce que les hôtels d’activité « ARTIS » (pour ARTisanat et Innovations Sociales) créés par la Métropole de Grenoble, ont permis. Ainsi, des Scop sont dans le voisinage les unes des autres comme Probesys et La Péniche dans l’immeuble « ARTIS » à Fontaine56 ou encore l’Aceisp, La Pousada et Cabestan dans

l’ensemble immobilier récent « ARTIS » dans le quartier Mistral. Mais, cette proximité physique n’est qu’un des facteurs de cette inter-coopération, étendue aux organisations de l’ESS comme nous allons le voir ci-dessous, la proximité organisationnelle autour de valeurs partagées en étant un autre tout à

55 Basterretxea I., Marinez R. (2012), “Impact of management and innovation capabilities on performance: are cooperatives different?”, Annals of Public and Cooperative Economics, 83:3, p. 357–381.

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fait primordial. Nous reviendrons sur ce point également à propos du « temps long » dont on verra qu’il a été une condition à la constitution de ces réseaux relationnels dans lesquels les Scop et Scic sont intégrées.

Cette propension à nourrir des relations riches avec les autres Scop et Scic est toutefois très variable, certaines d’entre elles étant en retrait de ces réseaux, et elle ne concerne pas souvent les relations commerciales. Par exemple, en ce qui concerne la recherche de fournisseurs ou de clients, ce n’est pas un réflexe dont on nous a parlé. Au cours des entretiens, le discours le plus courant étant que ces relations commerciales étaient plutôt établies sur la base de leur apport à la performance de la Scop, sans prioritairement rechercher un type d’organisations. Il faut dire que les possibilités d’avoir le choix entre des fournisseurs Scop ou non-Scop sont la plupart du temps limitées. Les relations inter- coopératives ont une dimension véritablement économique plutôt dans les initiatives de regroupement évoquées dans un point précédent (cf. chapitre 3 A/ 2°) à propos, par exemple, d’un groupe de Scop bureaux d’études.

L’inter-coopération est donc bien observable à travers ce type de relations économiques inter- entreprises, même s’il ne faut pas en exagérer ni la portée, ni le systématisme. Elle concerne plutôt la participation à des temps d’échanges que l’UrScop, entre autres, contribue grandement à promouvoir. Elle s’illustre par une solidarité très concrète que l’on a observée entre les Scop d’un même territoire à plusieurs reprises, le rôle de personnalités locales étant souvent moteur dans ces initiatives. Nous allons voir maintenant un autre fait remarquable, à savoir la pluralité des acteurs que côtoient les Scop et Scic au sein des réseaux dans lesquels on les retrouve.