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Engagement des collectivités territoriales et temps long de constitution des réseaux

Chapitre 4. Les Scop pourvoyeuses de coopération sur un terrritoire

4. Engagement des collectivités territoriales et temps long de constitution des réseaux

Bernard Pecqueur a tracé récemment les perspectives d’« une nouvelle alliance des initiatives publiques et privées » pour « le développement des territoires » 61. Les deux territoires d’observation illustrent bien cette perspective à travers des actions des collectivités territoriales qui concernent, entre autres, les Scop et Scic. Nous l’avons déjà évoqué ci-dessus à propos de la Métropole de Grenoble. Elle met en œuvre son 3ème plan de développement de l’ESS sur la période 2016-2020 depuis

2003 avec un financement propre de 350 000 €. A celui-ci, s’ajoutent les investissements de plus de 4 millions d’€ réalisés dans l’ensemble des immeubles ARTIS. Ces financements sont articulés avec ceux obtenus dans le cadre du contrat de plan Etat-Région pour l’ESS. Un signe des objectifs de ces actions pour la Métropole de Grenoble est d’avoir rattaché les moyens humains dévolus au champ de l’ESS au service « développement économique » depuis 2015, alors qu’ils étaient rattachés auparavant au service « insertion et emploi ». L’entretien réalisé avec Jérome Rubès, vice-président chargé de l’ESS, montre l’attention accordée aux Scop et Scic qui sont naturellement « éligibles au plan d’action », par exemple en bénéficiant de subventions, du Dispositif Local d’Accompagnement (DLA) pour les jeunes structures, d’un référencement sur le site « conso solidaire », etc. Cet élu nous explique qu’il s’agit aussi, par les actions de promotion et communication, de « rendre visibles » ces entreprises sur le territoire avec l’« enjeu que les développeurs économiques aient conscience de leur poids ». Il ajoute que le but est « de pouvoir les faire travailler avec les autres entreprises du territoire et les associations ». Un lien direct existe également entre l’UrScop AURA et cette collectivité territoriale. D’autres exemples pourraient être encore sollicités à travers les Scic de l’agglomération grenobloise pour illustrer le soutien des pouvoirs publics. La Scic Digital Grenoble créée en 2015 résulte d’une association qui est elle-même née suite à une initiative de la Métropole de Grenoble de rassembler plus de 600 acteurs de l’économie numérique à Grenoble en 2011. Les collectivités locales, avec la Métropole de Grenoble et deux autres inter-collectivités, sont une des catégories des sociétaires de la Scic et ont trois représentants dans le conseil de surveillance… De plus, le Totem, immeuble où sont

61 Cf. sa conférence dans le cadre de l’IHEDATE (institut des hautes études en aménagement et développement des territoires en Europe).

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situés ses bureaux administratifs, un espace de co-working et des salles de réunion, a été aménagé grâce aux financements de la Métropole.

Sur le territoire Romans-Bourg de Péage, l’action publique a été centrale aussi dans les initiatives multi-partenariales tournant beaucoup autour du groupe Archer, initiatives auxquelles nous avons vu que certaines Scop locales se rattachaient. Par exemple, l’immeuble Pôle Sud rassemblant un grand nombre d’acteurs de l’ESS a été acquis grâce à l’aide de la Mairie de Romans. La labellisation de Pôle Sud en « pôle territorial de coopération économique » (PTCE62) a permis d’obtenir un

financement de l’Etat sur la période 2014-2017. C’est d’ailleurs le service économique de la communauté de communes du pays de Romans qui a cogéré avec le groupe Archer l’association support du PTCE. Cette collectivité territoriale est aussi à l’origine du rachat des machines-outils de l’ancienne usine Jourdan de fabrication de chaussures qui ont permis de relancer cette industrie à travers une entreprise, « Made in Romans », filiale du groupe Archer. La SAS holding du groupe Archer compte parmi ses actionnaires et ses administrateurs des élus ou techniciens de collectivités territoriales. C’est aussi au niveau de ces liens personnels que l’on retrouve cette « nouvelle alliance des initiatives privées et publiques » dont parle Pecqueur (op. cit.).

C’est le dernier fait remarquable que nous avons choisi de présenter ici et qui est apparu à travers les citations de noms recueillies au cours de nos entretiens, noms de personnes dont la présence active sur le territoire remontait au démarrage des initiatives dont on nous rendait compte. Ainsi, les prémices des actions de promotion de l’ESS se trouvent sans nul doute dans les mandats du maire socialiste de Grenoble de 1965 à 1983, Hubert Dubedout. L’association Cap Berriat, vieille de 50 ans, est l’héritière des mouvements d’éducation populaire très présents sur Grenoble, en relation avec la résistance et l’école d’Uriage63. Sans remonter aussi loin, on a pu rencontrer parmi les dirigeants de

Scop et Scic les représentants d’une génération qui a accédé à l’action collective dans les années 1990. Les relations nouées entre ces acteurs se sont construites au cours des décennies et à la suite de rencontres autour de différents projets dont certains ont abouti aux structures bien installées que l’on peut repérer aujourd’hui sur l’agglomération. Certes, le mouvement de renouvellement actuel des Scop et la création récente de nouvelles Scic viennent nuancer ce sentiment de maturation nécessaire aux actions collectives portées par les Scop et Scic ou les impliquant.

Cette conjonction entre temps long et renouvellement se retrouve également sur le territoire de Romans-Bourg de Péage. L’histoire du groupe Archer remonte à la fin des années 1980, Christophe chevalier, son PDG actuel ayant pris la présidence de l’association originelle dès le début des années 1990. Les noms des actionnaires du groupe illustrent clairement la constitution d’un réseau qui a rassemblé depuis 20 ou 30 ans des membres de fédérations comme la Coorace (fédération des structures d’insertion), l’UrScop, la Cress, des représentants d’entreprises ou d’associations locales ou encore des élus et techniciens de collectivités territoriales en place depuis longtemps. Les relations d’inter-coopération que nous avons également évoquées sur ce territoire ont été établies au cours d’un temps long entre des dirigeants de Scop arrivées à leur poste depuis les années 1980 ou 1990. Certes, cela n’exclut pas l’arrivée de nouveaux acteurs, dont les représentants d’un entrepreneuriat social que symbolisent bien l’entreprise de confection locale 1083 et son jeune dirigeant, Thomas

62 Cf. le dossier spécial PTCE dans la Revue internationale de l'économie sociale : Recma (N°343, février 2017). 63 Cf. A. Artis et alii (op. cit.).

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Huriez. La question de la transmission à de nouvelles générations de ces initiatives collectives est de fait très importante de même que la personnalisation des porteurs de projet.

Les études de terrain menées par notre équipe nous ont permis de faire ressortir quelques faits remarquables communs aux deux territoires explorés concernant les Scop et Scic. Leur propension à l’inter-coopération, leur intégration à des réseaux multi-acteurs mêlant les OESS et les entreprises classiques, l’engagement des collectivités territoriales dans des initiatives innovantes dans lesquelles les Scop et Scic sont impliquées ainsi que les liens personnels et de longue date entre les porteurs de projet collectifs où l’on repère ces entreprises sont les enseignements marquants que nous retirons de nos observations.

Nous allons maintenant opérer une montée en généralité pour donner un cadre analytique à l’impact qualitatif sur la dynamique territoriale que l’on peut attendre de la présence des Scop et Scic.

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B/ La contribution variable des Scop et Scic aux « dispositions à coopérer » sur un territoire

Nous commencerons d’abord à voir le lien qu’ont établi les économistes spécialistes du territoire entre la qualité des relations entre les acteurs au sein d’un territoire et sa performance (1°). Nous montrerons ensuite que les Scop et Scic sont susceptibles de contribuer de façon importante aux « dispositions à coopérer » et de ce fait, à activer ce qui constitue une ressource territoriale majeure (2°). Nous finirons en introduisant de la nuance quant à l’importance de cette contribution et de la diversité quant à sa nature selon les cas (3°).