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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

2.3 L’expérience professionnelle

2.3.2.1 Les savoirs professionnels

Les savoirs dits professionnels « ont pour objet une activité de professionnels » (Leplay, 2008, p.66), en l’occurrence, ils s’acquièrent à même les situations, les visées, les actions et les résultats qui fondent l’expérience professionnelle. Paquay (2012) les décrit comme suit : « les savoirs professionnels des enseignants experts ne sont pas des connaissances théoriques : si même ils se réfèrent à des connaissances théoriques, il s’agit d’abord de savoirs enracinés dans le travail et le vécu des enseignants » (p.18). Pour Vanhulle (2009), ils sont la réélaboration subjective « de connaissances à la fois issues des expériences en situations, des savoirs scientifiques appris, des prescriptions institutionnelles en circulation, et du contact avec les pratiques sociales du terrain » (p.167-168). Dans un cas comme dans l’autre, les savoirs professionnels portent les traces des évènements et des interactions avec autrui.

Constatant l’usage fréquent de la notion de savoirs professionnels, tout comme le manque d’explicitations de ces derniers, Malo (2005) propose quatre composantes, associées au concept de répertoire, pour les circonscrire. Elles permettent de décrire la mise en disponibilité des ressources construites au cœur du processus itératif entre la

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forme active et la forme passive de l’expérience. Ainsi, les savoirs professionnels contenus dans le répertoire d’actions de l’enseignant s’avèrent :

1) Uniques et partagés, car ils réfèrent à des manières d’agir diverses et propres à chaque personne dans leurs contextes professionnels, mais dont les préoccupations centrales, elles, demeurent partagées, généralisables, parmi les groupes auxquels appartiennent les professionnels.

2) Interreliés, puisque les répertoires et les savoirs répondent à une vision systémique. Lorsque des transformations s’opèrent, et c’est constamment le cas par le biais des interactions, elles entrainent des répercussions dans les autres répertoires. Il n’y a, en ce sens, pas de savoirs isolés, ils s’intègrent aux structures plus complexes des répertoires qui s’avèrent également reliées entre elles.

3) Hiérarchisés, parce que tout en étant par nature reliés les uns aux autres, les savoirs et les répertoires n’ont pas la même importance relative pour les individus. Cette hiérarchisation diffère d’une personne à l’autre et s’enracine dans un passé, un présent et un avenir propre à lui. Dès lors, certains savoirs priment sur d’autres à travers les activités professionnelles de l’individu. 4) Dynamiques, car ils se positionnent selon une logique adaptative. La

dynamique des savoirs professionnels répond aux objectifs poursuivis et aux résultats obtenus par la personne.

Ces dimensions rejoignent également les caractéristiques exposées dans les travaux antérieurs de Tardif et Lessard (1999), pour qui le savoir professionnel s’avère :

1) Ouvragé et pratique, donc étroitement lié aux tâches à accomplir. 2) Social et interactif, il se mobilise et se façonne par et dans l’interaction. 3) Syncrétique, pluriel et hétérogène, c’est-à-dire qu’il provient de sources

multiples et qu’il se constitue d’une multitude de ressources mobilisables en contexte.

4) Complexe, peu formel, personnalisé et existentiel, autrement dit, il s’enracine dans l’histoire de chaque individu et imprègne sa conduite sans même en être conscient.

5) Ouvert, perméable, temporel, évolutif et dynamique, il se construit, se transforme, s’ajuste en fonction des situations et des changements.

Ces éléments rappellent sans conteste des aspects de la théorie des identités (Burke et Stets, 2009). Tout comme l’identité des EA, leurs savoirs s’inscrivent à la fois dans les pôles individuels et collectifs. Identités et savoirs s’avèrent le fruit de constructions enracinées dans l’expérience vécue et mises en sens par l’individu. Les savoirs demeurent pluriels et sujets à évoluer selon les réalités. Ces constructions se composent d’éléments interreliés au sein de systèmes hiérarchisés et dynamiques indissociables des contextes, des interactions et de la conduite de l’individu, tout comme les identités décrites précédemment.

Dans sa thèse, Morales Perleza (2016) recense pas moins de neuf typologies des savoirs enseignants. Elle définit le savoir de l’enseignant comme

une relation entre une pluralité de savoirs qui proviennent de différents champs de recherche scientifique, que ce soit en sciences sociales et humaines, les didactiques des disciplines et la recherche pédagogique – et qui sont « formalisés » à travers un programme de formation sous forme de cours théoriques – ainsi qu’une pluralité de savoirs qui proviennent de l’expérience – soit les savoirs pratiques auxquels les enseignants ont accès à travers les stages de formation et, plus tard, à travers l’exercice de leur profession (p.259).

À partir des typologies recensées par Morales Perleza (2016), et complétées d’autres travaux sur les savoirs professionnels (Koehler et Mishra, 2009; Mialaret et Barbier, 2011; Vanhulle, 2009), différents types de savoirs enseignants peuvent être définis :

• Les savoirs théoriques correspondent aux références académiques et scientifiques, aux réflexions, analyses réflexives, théories et principes propres aux sciences de l’éducation (Mialaret et Barbier, 2011; Tardif, Lessard et Lahaye, 1999, cités par Morales, 2016).

• Les savoirs disciplinaires ou curriculaires constituent les aspects, les concepts et les principes des différentes disciplines (matières) à enseigner. Ils se retrouvent sous la forme de programmes et de curriculum de formation

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(Carlsen, 1999; Grossman, 1990; Shulman, 1987; Tardif, Lessard et Lahaye, 1999, tous cités par Morales Perleza, 2016)

• Les savoirs didactiques comprennent les stratégies pour enseigner un contenu spécifique à une discipline (Carlsen, 1999, cité par Morales Perlaza, 2016). • Les savoirs pédagogiques se rapportent à des connaissances et des

compétences génériques qui transcendent les contenus à enseigner. Ils portent sur la gestion et l’organisation de la classe, les méthodes et les stratégies pédagogiques à mettre en place pour faire apprendre (Carlsen, 1999; Churukian, 1993; Grossman, 1990; Shulman, 1987, tous cités par Morales Perleza, 2016).

• Les savoirs sur les élèves correspondent à la connaissance de leurs caractéristiques et leurs besoins, ainsi que les manières d’en tenir compte et d’y répondre (Churikian, 1993; Shulman, 1987, tous deux cités par Morales Perleza, 2016).

• Les savoirs technologiques portent davantage sur la compréhension que la connaissance de la technologie. Ils portent sur la manière productive d’utiliser les technologies au travail, en classe et au quotidien (Koehler et Mishra, 2009). • Les savoirs contextuels ou éducatifs réfèrent à la connaissance des finalités de l’éducation, ainsi qu’aux objectifs, aux fondements et aux valeurs de l’école. Cette connaissance se lie à celle des enjeux organisationnels, sociaux, philosophiques, historiques, économiques et politiques (Grossman, 1990; Shulman, 1987, tous deux cités par Morales Perleza, 2016; Vanhulle, 2009). • Les savoirs expérientiels, décrits comme implicites, non conscientisés et

imprégnés de représentations forgées tout au long de la vie, se construisent dans la pratique du métier et ils sont validés par elle. Ils prennent la forme d’habiletés, de savoir-faire et de savoir-être. (Churikian, 1993; Desjardins et Dezutter, 2009; Tamir, 1991; Tardif et Borges, 2009; Tardif, Lessard et Lahaye 1991, tous cités par Morales Perlaza, 2016; Vanhulle, 2009).

Concernant le dernier type, Morales Perleza (2016) souligne que les enseignants considèrent les savoirs d’expérience comme la base de leur compétence et de leur identité professionnelle. Vanhulle (2009) retient également deux types de savoirs qu’elle nomme les savoirs de référence, qui s’apparentent aux savoirs formalisés, et les savoirs pratiques, qui eux, proviennent de l’expérience. Les premiers désignent donc les savoirs académiques et institutionnels, soient les normes, les références

scientifiques et les principes d’action attendus par la société et les employeurs. Quant aux seconds, ils « s’acquièrent au contact de situations et interactions au sein des milieux de pratique et de l’expérience propre » (Vanhulle, 2009, p.170) et correspondent aux savoirs expérientiels. À en croire les propos de Tardif et Lessard (1999), les savoirs d’expérience ne constitueraient pas qu’un type de savoirs, mais bien une base pour tout autre type de savoirs soulignant leur importance pour l’individu.

Par ailleurs, tel qu’énoncé dans cette section, il s’agit là des savoirs professionnels des enseignants, plus particulièrement des enseignants de la formation générale. Ils comprennent les savoirs transmis par la formation universitaire, incluant les stages, et ceux construits à même l’exercice de la profession en milieu scolaire. Toutefois, ils ne correspondent qu’en partie aux savoirs des EA et, possiblement de manière encore plus limitée, à ceux des EA de l’enseignement professionnel.

Pour faire le lien avec les trois grandes périodes relevées en problématique, la carrière initiale recouvre l’ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-être du métier. Ces savoirs, très diversifiés en raison des divers secteurs d’activités et formations associées, sont nommés savoirs de métier dans cette recherche. Par rapport à la période liée à la profession enseignante, les typologies détaillent largement les différents types de savoirs professionnels construits. Toutefois, concernant la période de l’accompagnement, aucune recherche consultée n’a tenté de formaliser les savoirs professionnels de l’EA, et encore moins par rapport à leur rôle en enseignement professionnel. Ainsi, pour pouvoir repérer ces savoirs, il apparait essentiel de circonscrire ce rôle, notamment en faisant appel aux dimensions de l’accompagnement qu’il sous-entend (Balleux et al., 2016; Balleux et Gagnon, 2011, 2016; Gagnon, 2013).

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