• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4. Des questions importantes pour le développement des soins palliatifs

II. Les questions éthiques

II.3. Les questions posées par l’alimentation artificielle

Le recours à la gastrotomie (ou sonde GPE) tend à se répandre et intervient très souvent dans

les prises en charge palliatives. Cette option qui engage une intervention chirurgicale, est un

acte lourd qui suppose un jugement d’opportunité au regard de la situation de la personne. Il

pose plusieurs questions d’ordre éthique dont se font l’écho beaucoup de professionnels

rencontrés.

1. Qui décide de la pose d’une sonde GPE ? A priori, le médecin du service au vu des

difficultés d’alimentation, des fausses routes mais aussi, très souvent, au regard de la

difficulté à soigner des escarres. La question majeure est de savoir si l’avis de la personne

concernée est pris en compte. Bien souvent, en effet, cette intervention concerne des

personnes grabataires non-communicantes.

2. L’approche des soins palliatifs se fait-elle obligation de nourrir et d’hydrater un patient

qui est en phase ultime ou dans un quasi-coma ? Cette question se pose surtout quand la

famille assimile cet acte à de l’acharnement.

3. Le recours à la gastrotomie a pour effet, dans la plupart des cas, de prolonger la vie. Cet

effet est important, par exemple dans le cas des handicapés paraplégiques (voir rapport sur

les soins palliatifs dans le secteur médico-social). La question que pose l’alimentation

artificielle, comme la réanimation par ailleurs, est de savoir quel est le sens que revêt le

fait de prolonger la fin de vie.

Cette dernière question est très révélatrice des limites de beaucoup de démarches de soins

palliatifs décrites dans cette enquête. En effet, la motivation du recours à la sonde GPE se

cantonne très souvent au raisonnement médical consistant à éviter la dégradation de l’état

général par suite d’une dénutrition. Peu nombreux sont les médecins qui font entrer en ligne

de compte, au moins explicitement, un principe d’opportunité dans leur décision : mieux

alimenter la personne certes, mais pour quel bénéfice sur le plan de la qualité de vie ? Dans

quelques cas néanmoins, le médecin considère que la décision ne doit être prise que si elle se

justifie en fonction du projet de fin de vie que l’équipe met en oeuvre pour la personne.

« Soins palliatifs, c’est pallier à quelque chose ; y’a des troubles de déglutition, ça passe pas ; hier on a essayé avec de l’eau gélifiée, elle a fait une grosse fausse route ; donc il faut pallier à cette voie ; et la voie palliative, c’est la GPE. Comme elle est dénutrie, il faut récupérer ça ! » (médecin, 18 F, L-R).

« On a proposé de lui mettre une gastrostomie (GPE). La sonde nasogastrique par le nez c’est désagréable pour elle, elle bouge beaucoup, elle essaye de l’enlever, donc on a proposé la GPE. Mais ça a été refusé, parce qu’elle n’était pas assez dénutrie. » (inf., 26 D IdF).

« Son état général s’est dégradé parce qu’elle n’arrivait pas à manger. Un week-end un médecin de garde a installé une sonde gastrique parce qu’elle faisait des fausses routes, sans en parler, sans m’en parler par exemple, ni à elle, ni à la famille. J’ai trouvé ça un peu violent, enfin voilà. Parce que quand vous mettez en place une prise en charge palliative, on en parle à la famille, à la patiente ! » (médecin, 9 H ChA).

« Pour certains la sonde est vécue comme une agression. La question qui se pose quand on est en soins palliatifs : est-ce qu’on est en droit de donner à manger ou pas ? C’est une question éthique. Si on lui enlève la sonde, elle va mourir certainement : pas dans un jour ou deux jours, mais dans un mois ou deux mois. On peut lui mettre une perfusion sous-cutanée mais… Si c’était un cas de démence avancé, on se poserait la question de pourquoi cette sonde. Des études ont montré qu’à la phase terminale de la démence, l’espérance de vie n’est pas améliorée par l’alimentation. » (médecin, 18 F L-R).

Un cas de pose de sonde GPE pour une patiente encore jeune, mais refusée par la famille soutenue par le médecin traitant

Femme de 64 ans, non-communicante (centre hospitalier, 18F L-R). Va et vient entre hôpital et maison de retraite

« On l’a eue pour la première fois en service de cardio, pour dysarthrie, et ralentissement psychomoteur ; ils ont fait un scanner, il y avait une récidive d’ AVC, on l’a récupérée chez nous [service de gériatrie en centre hospitalier]. La communication et le contact se sont rétablis, elle mangeait… mais, vu l’épuisement familial, en accord avec la famille, on l’a placée… dans une maison de retraite… et au bout de deux trois mois, on nous l’a renvoyée pour prise en charge d’escarres parce que le week-end, il n’y avait pas d’infirmières… Elle est arrivée, c’était plus la dame qu’on avait envoyée… avec des escarres... surdosage morphinique, complètement cassée, ne s’alimentant plus. » (interne)

Refus de la pose de sonde par la famille et le médecin traitant

« On a levé le pied sur certains médicaments, elle s’est repris un petit peu, mais les troubles de déglutition sont importants… donc, on a demandé à la famille pour éventuellement poser une GPE… Dans un premier temps, ils étaient d’accord, et ensuite, ils ont bien discuté avec le médecin traitant, et en fin de compte, ils sont revenus sur leur décision…. Moi, j’ai eu le coup de fil du médecin traitant, il m’a dit : bon… vous vous acharnez pourquoi ? Gagner un mois, deux mois… Moi j’ai dit : ce que je vois, c’est soulager la patiente, et qu’elle ne meure pas de faim, ni de déshydratation, ni de quoi que ce soit !

Il a convaincu la famille de ne pas poser la GPE ; ensuite, on a essayé de les revoir, et comme on a engagé le processus, le chirurgien les a convoqués et a discuté avec eux un bon moment… Ils se sont opposés catégoriquement. L’infirmière des soins palliatifs a rediscuté ça avec eux… Maintenant, qu’est ce qu’on fait ? Est-ce qu’on la renvoie comme ça dans sa maison de retraite ? La garder chez nous, combien de temps ? C’est une femme qui n’est pas prête de mourir du jour au lendemain ! Il y a pas une pathologie léthale… que faire ? » (interne).

Le point de vue de la famille

« On a contacté notre médecin soignant. On nous propose la GPE, et lui, il ne nous la conseille pas. Le problème c’est : est-ce que ça vaut le coup de rester dans cet état là ? Si c’est pour qu’ils lui mettent une sonde dans l’estomac, et nourrir l’estomac, si ça marche pas, c’est pas la peine… On nous parle de semaines, de mois… Ca serait bien, si ça n’allait pas plus loin…Mais si ça dure des années…. Ça sert à rien ! » « On nous dit toujours, vous savez, elle est jeune… mais, il y a le mal ! Si c’est pour qu’elle dure jusqu’à 84 ans comme ça ! (…) La pose de la sonde GPE, « C’est des décisions dures à prendre ! On prendra peut être pas la bonne, allez savoir ! On vous fait un peu peur, parce qu’on vous dit : elle va dépérir ! Mais moi je pense autrement : ils vont la faire durer 5-6 ans comme ça ; elle aura vécu un calvaire 6 ans de plus, et on va se trouver devant le même problème le jour ou ils pourront plus apporter de soins (…). Ils sont obligés de conseiller l’avis médical ; mais le côté humain et la décision à prendre… Eux ils ont le côté pratique, nous c’est le coté affectif. On parle tous ensemble, mais chacun reste de son coté. » (conjoint et fils)