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Les quatre similitudes

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Dans quatre domaines, les résultats de nos deux études de cas sont similaires.

5.1. Similitude 1 : la faible contribution au potentiel de développement de l’économie d’accueil

Dans les deux cas, il ne semble pas y avoir d’indices d’une contribution significative de la filiale au potentiel de développement de l’économie d’accueil.

La filiale maquiladora n’employait pas un personnel autochtone qualifié (les cadres étaient, dans leur grande majorité, des expatriés). Ses employés nicaraguayens, qui travaillaient sur la ligne de production, acquéraient une connaissance technique simple et fragmentée qui n’était pas d’une grande utilité pour l’économie locale. La même situation, en matière d’emploi, existait dans les établissements nicaraguayens des autres entreprises maquiladoras de capital asiatique (voir MEC, 2003 ; Bilbao, 2006). Comme l’écrit ironiquement J.-L. Rocha (2006), au sujet d’Elena, une ouvrière de la division de l’inspection finale d’une filiale maquiladora :

« Elena apprit à mieux observer les vêtements qu’elle achetait et à être un peu plus pointilleuse avec les sauts de couture et les mauvaises coutures. Il y eut un transfert tech-nologique dans le domaine de la détection de finitions défectueuses. »

La filiale maquiladora n’avait, mis à part avec les fournisseurs de pierre ponce, aucun lien avec des producteurs locaux d’inputs matériels. Cette absence de liens avec des pro-ducteurs locaux caractérise l’ensemble de l’industrie maquiladora de la confection de vêtements au Nicaragua (voir Bilbao, 2003).

De son côté, l’étude de Sony Manufacturing UK, a montré que la diffusion de connais-sances par l’entremise des employés dépendait de l’activité considérée. Comme nous l’avons vu, l’emploi d’ouvrier sur la chaîne de montage de téléviseurs est un emploi peu qualifié et routinier. J. Morris57 remarquait, à ce sujet :

« L’on n’a pas besoin d’un personnel qualifié sur une chaîne de montage de télévi-seurs ; tout au contraire. Tout ce qui est demandé aux ouvriers est de savoir lire et écrire et d’être présent à leur poste de travail. »

Dans les activités plus complexes (la production de tubes cathodiques et de caméras pro-fessionnelles), nous devons nous demander si les connaissances techniques et spécifiques acquises par les ouvriers, techniciens et ingénieurs étaient toujours utiles pour l’économie d’accueil. La formation reçue et l’expérience acquise par les anciens ouvriers de Sony-Bridgend (fabrication de tubes cathodiques) serviront-elles à leurs nouveaux employeurs ? Quant aux connaissances managériales58 acquises par les managers et ingénieurs britanni-ques de Sony Manufacturing UK, elles ne sont pas toujours appropriées par l’économie galloise lorsque ceux-ci changent d’emploi. En effet, le marché du travail des managers et des autres personnes hautement qualifiées et/ou expérimentées n’est pas régional (Pays de Galles), mais national (Royaume-Uni) (voir, par exemple, Rees et Thomas, 1994 ; Malecki, 1997). Il n’est donc pas du tout certain que l’ex-manager de Sony Manufacturing UK conti-nue à exercer son activité professionnelle au Pays de Galles.

Les liens de Sony Manufacturing UK avec les fournisseurs autochtones ne semblaient pas renforcer ces derniers, contrairement à ce qu’affirmait J. Potter (2003) (voir sous- section 2.4). Un fournisseur qui est soumis à une forte pression sur les prix et qui accepte de réduire sa marge de bénéfices de peur de perdre un important client voit sa situa-tion financière et sa capacité d’investissement affectées. À cela, il faut ajouter le fait que le fournisseur, qui livre uniquement un produit préalablement conçu par ses clients, n’a aucun besoin d’un département de R&D. En utilisant la terminologie d’I. Turok (1993 : 403), nous pourrions dire qu’au lieu de « liens de développement », nous étions plutôt en présence de « liens de dépendance », à savoir :

57 Entretien.

58 Dans la sous-section 2.1, nous définissons ces deux types de connaissances : techniques et managériales.

« (des liens qui) peuvent miner la capacité des fournisseurs (autochtones) de s’amélio-rer (upgrade) (...) en les privant des ressources nécessaires pour développer les fonctions d’une entreprise complète comme le développement du produit, le marketing et la gestion stratégique. »

On retrouve ces doutes concernant la qualité des liens entre la filiale manufacturière et les fournisseurs locaux chez d’autres auteurs ayant étudié cet aspect au Royaume-Uni (Turok, 1993 ; Driffield et al., 2002 ; Brown et al., 2000). Ces liens ne doivent donc pas néces-sairement contribuer au potentiel de développement de l’économie d’accueil. Ce constat pose des questions sur le bien-fondé des programmes, comme l’initiative Source Wales de l’agence de développement galloise (voir sous-section 4.1), qui cherchent à intégrer les filiales dans le territoire par l’entremise de leurs liens avec des fournisseurs locaux.

5.2. Similitude 2 : la dépendance d’un avantage de localisation politique59

La permanence de l’entreprise multinationale dans le territoire d’accueil dépendait, dans les deux cas, du maintien de, ce que nous pourrions appeler, un avantage de locali-sation politique. L’entreprise multinationale cherchait à éviter des barrières douanières, à obtenir des subventions, à bénéficier d’exonérations fiscales, etc. Le territoire offrait un avantage de localisation qui était artificiel et qui, de part sa propre nature, était fragile.

En 1998, le Nicaragua offrait à l’entreprise maquiladora un accès sans quotas au mar-ché des Etats-Unis quand l’accord multi-fibres était en vigueur. Cet avantage de localisa-tion politique avait une date limite : le premier janvier 2005 (la date du démantèlement de l’accord multi-fibres)60. Le Nicaragua fut sauvé de la suppression de cet avantage de localisation politique par la naissance d’un autre : le DR-CAFTA et les TPLs. En 2007, le Nicaragua offrait à l’entreprise maquiladora un accès au marché des Etats-Unis sans droits de douane et partiellement exempté du respect de la règle d’origine. Cependant, les TPLs ont aussi une date limite : 2016.

En 2001, Sony Manufacturing UK (25 ans après son installation au Pays de Galles), tout comme les autres filiales galloises des entreprises électroniques majoritairement japonaises, était menacée par des changements dans le contexte politique international :

- l’entrée des pays de l’Europe centrale et orientale, où les coûts salariaux étaient beau-coup moins élevés, dans l’Union Européenne ;

- l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce, qui fut accom-pagnée d’une forte réduction des barrières douanières sur les produits fabriqués en Chine (suppression des droits anti-dumping, réduction des droits de douane, etc.).

59 Pour qu’une entreprise multinationale décide de produire dans un territoire, celui-ci doit lui offrir des avantages de localisation, c’est-à-dire des avantages par rapport aux autres territoires dans les domaines : - du coût et de la qualité des ressources territoriales (le coût de la force de travail, la compétitivité des fournisseurs locaux (fournisseurs capables de livrer des inputs matériels d’une qualité satisfaisante, d’un coût assez bas et dans des délais courts), la présence de techniciens qualifiés et expérimentés qui peuvent se charger, entre autres, de l’entretien des machines, etc.) ;

- de l’accès à un marché (la réduction des coûts de transport, le contournement des barrières douanières, etc.).

60 Une observation de M. Mortimore (2003) reflète bien cette dépendance d’un avantage de localisation politique : les paýs du Bassin des Caraïbes exportent leurs vêtements uniquement vers le marché des Etats-Unis (en raison de l’existence d’accords commerciaux préférentiels), tandis que les pays asiatiques (Chine, Inde, Bangladesh, etc.) exportent leurs vêtements vers tous les marchés du monde.

Ces deux changements affectèrent la localisation de l’assemblage de biens électroni-ques, comme le téléviseur, qui sont potentiellement mobiles et qui se caractérisent par un poids relativement important des coûts salariaux dans les coûts de production (plus ou moins 10 % des coûts totaux).

En 2005, la menace devint réalité avec la fermeture au Pays de Galles des activités de Sony liées à l’assemblage de téléviseurs61. Il est vrai que la fermeture de Sony-Bridgend fut plutôt fruit d’une autre menace : celle de l’obsolescence technologique. Sony décida d’arrêter la fabrication de tubes cathodiques en Europe, parce qu’il s’agissait d’une tech-nologie qui avait été progressivement remplacée par celle des écrans plats (plasma et cris-taux liquides). Cependant, les produits électroniques ont un cycle de vie et la filiale doit obtenir les investissements pour fabriquer le produit suivant pour pouvoir survivre. Pour pouvoir les obtenir, le territoire d’accueil de la filiale doit continuer à offrir des avantages de localisation à l’entreprise multinationale.

5.3. Similitude 3 : l’inexistence de l’amélioration naturelle et automatique de la filiale manufacturière

Les deux cas ont montré que l’amélioration de la filiale manufacturière dans le temps n’est nullement garantie. En effet, de nombreuses conditions doivent être satisfaites pour que l’amélioration de la filiale puisse se produire : évolution du mandat et des responsa-bilités de la filiale dans son groupe, décentralisation des décisions en matière des achats d’inputs intermédiaires, présence de fournisseurs spécialisés et compétitifs dans le terri-toire d’accueil, etc. En outre, l’évolution de la filiale ne doit pas toujours être positive, elle peut aussi être négative et se traduire par une perte de fonctions, de productions ou d’autonomie (voir Birkinshaw et Hood, 1998).

Qualitativement, la filiale maquiladora en 2007 était la même qu’en 1998. Elle se caractérisait toujours par une absence d’intégration dans l’économie d’accueil. La filiale, tout comme les autres entreprises maquiladoras implantées au Nicaragua, confectionnait encore des articles standard. Elle n’avait pas évolué vers la confection d’articles de gamme supérieure62. C’est dommage, parce que cette évolution aurait permis au Nicaragua de tirer profit de son avantage de la proximité des Etats-Unis, vis-à-vis des pays asiatiques, et de ne plus dépendre uniquement d’un avantage de localisation politique précaire. En effet, la confection de ce type d’articles exige un temps de réponse rapide du fabricant aux commandes du client, ce qui favorise la proximité géographique entre le lieu d’assem-blage et le marché (OIT, 1997 ; The Economist, 2004)63.

61 Les établissements gallois de Hitachi (2000) et de Matsushita (2004), qui assemblaient des téléviseurs pour le marché européen, avaient déjà fermé auparavant leurs portes.

62 On distingue trois catégories de vêtements : standard (basic), fashion-basic et fashion. Les vêtements

« fashion-basic » et « fashion » se caractérisent par l’existence de différentes saisons d’achat, l’utilisation de séries courtes et l’exigence d’un temps de réponse rapide du fabricant aux commandes du client. Les vêtements

« fashion » se caractérisent en plus par un processus de fabrication plus complexe (OIT, 1997 ; Dicken, 2003).

63 Par exemple, les magasins Zara reçoivent leurs vêtements avec des nouveaux designs toutes les deux semaines. Ceci oblige Inditex (le groupe espagnol auquel appartient Zara) à fabriquer les deux-tiers de ses articles en Espagne et dans d’autres pays proches de son marché comme le Portugal, le Maroc et la Turquie (Rohwedder et Johnson, 2008).

Quant à Sony Manufacturing UK, nous avons constaté, par exemple, que les liens avec les fournisseurs autochtones ne s’améliorèrent pas avec le passage du temps. Ces derniers continuaient d’être des fournisseurs de composants simples qui maintenaient une relation déséquilibrée avec leur client Sony. Les fortes pressions pour minimiser les coûts64 et la tendance des entreprises OEM à avoir, de plus en plus souvent, des chaînes de production globales (global supply chains) rendent dfficile l’établissement de liens de qualité entre la filiale et les fournisseurs autochtones65. Notons également que Sony-Pencoed perdit, en 2004, une importante fonction : le département de design et développement. Sony décida de le transférer à son centre du sud-est de l’Angleterre (Evans, 2004).

5.4. Similitude (plus subtile) 4 : deux enclaves

Un aspect différencie les deux cas étudiés : la présence ou non de liens avec des four-nisseurs locaux d’inputs matériels.

À l’exception de la pierre ponce et des boîtes de cartons, les inputs intermédiaires (tissu, boutons, fermetures éclair, etc.) et les biens d’équipement (les machines à coudre, machines à laver, etc.) utilisés par la filiale maquiladora étaient importés. Cette filiale formait, tout comme les autres entreprises maquiladoras du secteur textile-habillement, une enclave simple (du point de vue de l’origine des inputs matériels) dans l’économie nicaraguayenne66.

En revanche, Sony Manufacturing UK avait, tout comme les autres entreprises OEM japonaises implantées au Pays de Galles (Matsushita, Sharp, Orion, etc.), des liens avec des fournisseurs locaux (des fournisseurs étrangers accompagnateurs et des fournis-seurs autochtones d’inputs matériels simples). Or, nous pouvons nous demander si nous n’étions pas en présence d’un autre type d’enclave ; de ce que N. Phelps et C. Fuller (2000) appellent l’enclave étendue. Les établissements des fournisseurs étrangers accom-pagnateurs et ceux de certains fournisseurs autochtones dépendaient des commandes des filiales des entreprises OEM et les fournisseurs accompagnateurs étaient, généralement, capables de suivre leur client quand celui-ci délocalisait sa production.

En résumé, ces quatre similitudes nous amènent à penser que plus qu’un développe-ment économique du territoire, ces deux filiales manufacturières semblent avoir plutôt occasionné le développement d’une enclave productive dans le territoire.

64 Rappelons que les coûts d’acquisition des composants représentaient la partie la plus importante des coûts de production du bien produit (téléviseur ou tube cathodique).

65 Les importantes économies d’échelle, la connaissance spécialisée, la diminution des coûts de transport et de coordination et la réduction des barrières douanières encouragent la centralisation, à une échelle mondiale, de la production de nombreux composants. En outre, cet approvisionnement global permet au donneur d’ordres de réaliser des économies d’achat: en achetant un composant spécifique pour toutes ses unités de production auprès d’un fournisseur, elle acquière un important pouvoir de négociation qui lui permet de négocier des accords plus intéressants (voir, entre autres, Munday, 1995 ; Turok, 1993 ; Brown et al., 2000 ; Sturgeon et Lester, 2003 ; Barnes et Kaplinsky, 2000).

66 « Une enclave (du point de vue des inputs intermédiaires utilisés) se caractérise, d’une part, par un rapport élevé entre les importations intermédiaires et le total des inputs intermédiaires utilisés et, d’autre part, par un rapport réduit entre la valeur ajoutée (locale) et l’output total » (Weiskoff et Wolff, 1977 : 615).

6. Les limites de l’investissement direct étranger manufacturier comme moteur

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