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Les qualifications pénales incriminant les actes des Patrons

Les distinctions élaborées entre les actions des Patrons et ceux des Prestataires permettent de rendre compte des différents niveaux d’implication des individus engagés dans cette activité. Néanmoins, elles n’ont pas de valeur juridique. Tous les actes qui facilitent, participent, organisent, tirent profit de la prostitution tombent en effet sous la qualification de proxénétisme ainsi que cela a été précédemment évoqué.

En revanche, la distinction proposée entre le Patron et les différents Prestataires pourra revêtir une réelle importance en termes de détermination et personnalisation de la peine. On sait en effet que les articles 131-1 et suivants du Code pénal donnent au juge répressif un important pouvoir en ce domaine. L’identification de la nature exacte de l’activité dans l’organisation criminelle semble, à ce titre, déterminante. A ce titre, celui qui assume un rôle de leader pourra être plus sévèrement sanctionné que les Prestataires qui ne font qu’exécuter des ordres.

Au-delà, la possibilité de recourir à la qualification de traite des êtres humains pour sanctionner l’activité doit être envisagée. La qualification de traite des êtres humains implique que l’ensemble des actes identifiés a ab initio été accompli, de manière délibérée, en vue d’un même but, à savoir l’exploitation de la personne. La traite incrimine différents actes (recrutement, transport, transfert, hébergement…) accomplis en vue de l’exploitation de la personne et au moyen de différents moyens définis à l'article 225-4-1 du Code pénal. Si la description du processus conduisant à la prostitution de mineures comprend incontestablement les actes de recrutement, transport, transfert, hébergement, la caractérisation des moyens mis en œuvre et la preuve du lien entre les agissements et l’exploitation peut en revanche susciter davantage de discussion.

Nous avons évoqué le fait que les agissements accomplis en vue de conduire à l’exploitation étaient susceptibles de varier en fonction du profil des victimes. Le recours à des formes de violence comme le viol, la menace ou la séquestration apparaît nécessaire pour recruter des filles qui entretiennent des relations sécurisées avec leurs parents ou leurs référents éducatifs

77 (entourage familial ou éducatif au moment de la rencontre d’un recruteur potentiel). Les actes commis pourront constituer le moyen incriminé dans l’infraction de traite des êtres humains, via la référence à « l’emploi de menace, de contrainte, de violence ».

A l’inverse, plus la victime cumulera les formes de vulnérabilités, plus elle risque d’être en demande et moins il sera nécessaire de recourir à des modes de contrainte. Juridiquement, il pourra être pertinent d’identifier l’existence d’une stratégie destinée à séduire et de caractériser les éléments matériels associés. Commis à des fins d’exploitation, l’invitation à une soirée festive, le paiement d’un billet de train, l’invitation à l’hôtel, l’instauration d’une prétendue relation amoureuse, le vol du portable, le fait d’effacer le carnet d’adresse, la fourniture gratuite de stupéfiants en vue d’instaurer une dépendance ou le « test sexuel » sont autant d’agissements susceptibles de caractériser un des moyens destinés à forcer le consentement de la personne recrutée. En l’espèce, les « manœuvres dolosives » figurant à l’article 225-4-1 1° du Code pénal semblent pouvoir être caractérisées.

Que l’on envisage la qualification de proxénétisme ou de traite des êtres humains, il doit en toute hypothèse être rappelé que le consentement aux faits est pénalement indifférent à la caractérisation de l’infraction. Seul l’accomplissement des éléments constitutifs par l’auteur est nécessaire à la consommation de l’infraction. Ce principe résulte du droit pénal général. Dès lors, le discours des intéressés tendant à banaliser les pratiques, à les justifier par un contexte générationnel ou encore par une relation amoureuse est juridiquement inopérant. Surtout, l’analyse des faits telle qu’elle résulte de la recherche met en évidence le décalage considérable entre le discours tenu et les faits matériellement identifiés. Le caractère récurrent des mode opératoires, l’efficacité des stratégies mises en œuvre et la cohérence des pratiques identifiées sont autant d’éléments permettant d’écarter le caractère fortuit des agissements identifiés. Ils mettent au contraire en évidence leur dimension délibérée et organisée et peuvent alors être interprétés comme s’inscrivant dans une stratégie criminelle qualifiant donc la dimension intentionnelle des actes.

Malgré certaines différences de contexte121, les éléments qui précèdent permettent de procéder à un rapprochement entre la prostitution de mineures et les pratiques identifiées dans d’autres

121 LAVAUD-LEGENDRE Bénédicte et QUATTONI Bérénise, « Désir migratoire, emprise et traite des êtres humains »,

Prostitution nigériane, Du rêve de migration aux réalités de la traite, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2013,

78 formes de traite. Dans l’un et l’autre cas, l’instauration de la relation d’exploitation va résulter de pratiques visant d’une part, soit à instaurer, soit à profiter de l’isolement de la victime et d’autre part à créer une relation de dépendance122. Au titre de l’isolement, on retiendra notamment la mise en relation des agissements avec l’existence d’une rupture familiale. Une fois la relation instaurée, le recours à la soustraction du portable, l’interdiction de sortir seule de la chambre, la permanence de la surveillance sont autant d’éléments renforçant l’isolement. Au titre de la dépendance, outre la dimension affective déjà évoquée, on retiendra l’instauration d’une dépendance aux stupéfiants ainsi que la dépendance financière et matérielle, puisque ce sont ceux qui organisent la prostitution qui récupèrent l’argent gagné avant de restituer (ou non) sa part, à celle qui se prostitue.

Bon nombre des éléments qui précèdent s’appliquent de la même manière au rôle de Tuteur.

§3 - Le rôle de Tuteur

Comme pour le Patron, il n’existe pas réellement d’action spécifique au Tuteur. Ainsi, le Tuteur sera défini comme un « assistant du Patron » (A). Ce rôle a été attribué à peu d’individus. Aussi, l’identification du profil socio-démographique des Tuteurs (B), précédera la présentation de quelques éléments juridiques, bien que, là encore, l’étude de ce rôle ne présente pas de grandes difficultés (C).