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I.3. Protéines prions

I.3.2. Les protéines prions de champignons

Bien que les prions soient généralement associés à des agents infectieux responsables d’encéphalopathies spongiformes subaïgues transmissibles (ESST) chez les mammifères, le concept de prion a été étendu à des protéines de champignons en 1994 lorsque Wickner proposa que le comportement génétique de l’élément non mendélien [URE3] de

Saccharomyces cerevisiae pouvait être expliqué si la protéine Ure2 formait un prion (Wickner

R.B., 1994). A l’heure actuelle, six prions fongiques sont connus, incluant quatre protéines amyloïdes et deux enzymes (celles-ci ne seront pas abordées dans ce chapitre). Ces protéines amyloïdes correspondent aux protéines Ure2, Sup35 et Rnq1 de la levure Saccharomyces

cerevisiae et à la protéine HET-s du champignon filamenteux Podospora anserina (Wickner

R.B. et al., 2007). Ces prions sont transmis par l’intermédiaire d’un changement de conformation des protéines natives, la transconformation pouvant se propager par la configuration anormale. Les prions de levure sont caractérisés par un domaine riche en Q/N qui porte l’activité prion. Ces prions peuvent fournir différentes lignées héritées de façon non mendélienne (Sherman M.Y., 2004 ; Fowler D.M. et al., 2007).

I.3.2.1. Description des prions de champignons

[PSI+] et [URE3] sont deux éléments non chromosomiques de la levure Saccharomyces

cerevisiae qui ont respectivement été découverts par Brian Cox (Cox B.S., 1965) et François

Lacroute (Lacroute F., 1971) et correspondent aux formes prions de Sup35p et Ure2p. Ure2p est une protéine de 354 acides aminés qui joue un rôle important dans la réponse cellulaire aux sources d’azote. Elle régule le catabolisme de l’azote et réprime les gènes codant pour les enzymes et transporteurs requis pour l’utilisation des sources pauvres en azote lorsque de bonnes sources d’azote ne sont pas disponibles (Lian H.Y. et al., 2006). Cette protéine présente une homologie avec la glutathione S-transferase et se divise en deux domaines ; le domaine prion, qui correspond à la région N-terminale riche en asparagine et glutamine, et le domaine C-terminal qui porte la fonction de régulation du catabolisme de l’azote (Figure 23). Le domaine prion n’est pas structuré sous forme native (Pierce M.M. et al., 2005). Le prion de la protéine Ure2 correspond à une forme amyloïde non fonctionnelle de la protéine Ure2 capable de s’autopropager.

Figure 23 : Comparaison structurelle et fonctionnelle des protéines prions de champignons. Hormis pour la protéine Het-s, les domaines prions correspondent à des régions de poly-Q/N (Lian H.Y. et al., 2006).

Sup35p est une protéine de 685 acides aminés qui agit comme facteur de terminaison de la traduction, assurant la fin de la synthèse protéique à un codon stop. L’agrégation de Sup35p empêche ce mécanisme et génère des protéines avec une extension du côté C- terminal. Sup35p est donc importante pour la fidélité de la traduction (Cox B.S., 1965). Sup35p est composée d’un domaine prion N-terminal (N) riche en asparagine et en glutamine de 123 résidus qui forme les fibrilles amyloïdes ; d’un domaine central (M) très chargé de 130 résidus et d’un domaine C-terminal (C) qui est suffisant pour la terminaison de la traduction

(TerAvanesyan A. et al., 1994). Le domaine N-terminal n’est pas nécessaire à la fonction de Sup35p mais est requis pour la formation et la propagation de [PSI+], qui résulte d’un changement de conformation s’autopropageant de Sup35p. (Derkatch I.L. et al. 2004) La délétion du gène SUP35 ou uniquement de la partie codant pour le domaine C-terminal est létale (Kushnirov V.V. et al., 1998).

Rnq1 est une protéine de 405 acides aminés dont le nom signifie “riche en résidus N et Q”. Cette protéine est associée à l’élément non chromosomique [PIN+] correspondant à la forme amyloïde de Rnq1. [PIN+] est requis pour l’induction de [PSI+] (Derkatch I.L. et al., 2001 ; Sondheimer N. et al., 2000).

HET-s est une protéine de 289 acides aminés qui possède deux domaines distincts, le domaine globulaire N-terminal de 230 résidus et le domaine flexible C-terminal (230-289). Ce dernier forme le corps des fibrilles et peut induire seul la propagation du prion et la formation de fibrilles (Nazabal A. et al. 2005). Cette protéine est impliquée dans une réaction de mort cellulaire génétiquement programmée appelée incompatibilité végétative (“heterokaryon incompatibility”). Lorsque les hyphes de colonies adjacentes se rencontrent, ils peuvent fusionner et générer une cellule multinucléée, appelée hétérocaryon. Le locus het-s possède deux allèles, HET-s et HET-S qui ne diffèrent de HET-s que par 13 résidus. Seul le premier est capable de former des fibrilles amyloïdes. Il y a incompatibilité lorsqu’un hyphe contenant HET-s agrégé fusionne avec un hyphe contenant HET-S (les autres combinaisons ne posent pas de problème), ce qui tue l’hétérocaryon et crée une barrière entre les deux colonies (Dalstra H.J. et al., 2005).

I.3.2.2. Propriétés des prions et structures amyloïdes

Les prions fongiques possèdent trois traits génétiques caractéristiques qui les distinguent des virus et plasmides. Premièrement, même si un prion peut être traité, il peut néanmoins se représenter de novo dans la souche traitée parce que la protéine est encore présente dans la cellule et peut se retransformer en prion. Deuxièmement, une surproduction transitoire de la protéine devrait augmenter la fréquence d’apparition de la forme prion, simplement parce que plus de protéines sont susceptibles de se transformer. Troisièmement, le gène encodant la protéine est nécessaire à la propagation du prion et, pour les prions qui correspondent à la forme inactive d’une protéine, une mutation de ce gène peut produire le même phénotype que la présence du prion (Wickner R.B. et al., 2007).

[PSI+], [URE3], [Het-s] et [PIN+] correspondent aux formes amyloïdes de Sup35p, Ure2p, HET-s et Rnq1 et il a été montré que chacun de ces prions est transmissible à des cellules non infectées en introduisant dans ces dernières des fibrilles amyloïdes formées in

vitro à partir de la protéine recombinante correspondante (King C.Y. et al., 1997 ; Baxa U. et al., 2005 ; Dos Reis S. et al., 2002 ; Brachmann A.B.U. et al., 2005 ; Maddelein M.L. et al.,

2002 ; King C.Y. et al., 2004 ; Patel B.K. et al., 2007).

Le mélange aléatoire des acides aminés des domaines prions de Ure2p et de Sup35p n’empêche pas la formation des prions par ces protéines (Ross E.D. et al., 2004 ; 2005). Ces résultats montreraient que ce n’est pas la séquence d’acides aminés qui détermine la capacité à former des prions mais le type d’acides aminés présents. Selon Wickner et al., la structure la plus probable des fibrilles amyloïdes correspondrait à un feuillet β parallèle au sein duquel les acides aminés identiques de deux chaînes sont adjacents (Ross E.D. et al., 2005 ; Chan J.C.C.

et al., 2005 ; Wickner R.B. et al., 2007). Cette hypothèse est supportée par une étude réalisée

par Shewmaker et al. en RMN du solide de fibrilles amyloïdes comportant des tyrosines marquées au 13C (Shewmaker F. et al., 2006). De plus, l’analyse par diffraction aux rayons X de structures amyloïdes formées par un peptide de sept résidus de Sup35N montre également cette structure (Nelson R. et al., 2005).

I.3.2.3. Le rôle des chaperonnes

Pour Saccharomyces cerevisiae, plusieurs chaperonnes et leurs cofacteurs sont cruciaux pour la propagation des prions, incluant les chaperonnes Hsp104, Hsp70s, Hsp40s. La protéine “heat shock” 104 (Hsp104) est requise pour chacun des prions de levure (Wickner R.B. et al., 2007 ; Chernoff Y.O. et al., 1995 ; Moriyama H. et al., 2000). En coopération avec Hsp70s et Hsp40s, Hsp104 peut désagréger les protéines dénaturées par la chaleur et l’on pense qu’elle intervient dans la propagation des prions en fragmentant les filaments amyloïdes pour former de nouveaux noyaux de nucléation. La surproduction de Hsp104 élimine [PSI+] mais pas [URE3] ou [PIN+] (Glover J.R. et al., 1998 ; Tuite M.F. et al., 2004 ; Wickner R.B. et al., 2007).

I.3.2.4. La barrière inter-espèce et les souches de prions

Des souches de prions de levures ont été identifiées sur base de différences dans la stabilité et l’intensité du phénotype (Schlumpberger M. et al., 2001 ; Bradley M.E. et al.,

2002) et il a été montré que la différence entre souches [PSI+] se base sur une différence dans la structure amyloïde. Tanaka et al. ont montré que SupNM, fragment de Sup35p comprenant les domaines N et M, peut adopter des conformations différentes dans les fibrilles amyloïdes lorsque la polymérisation est initiée à 4°C ou à 37°C. L’introduction de ces conformations, appelée Sc4 et Sc37, dans des levures induit respectivement un phénotype fort ou faible in

vivo (Tanaka M. et al., 2004). Ces différences héritables, associées à des souches de prions,

sont donc dues à des différences de conformation entre Sc4 et Sc37. Toyama et al. montrent que la structure amyloïde de Sc4 couvre les acides aminés 4-37, tandis que celle de Sc37 comprend les acides aminés 4-70 ; de plus, l’introduction de mutations (proline) au niveau des résidus 38-70 affecte la croissance des fibrilles de Sc37 mais pas celle de Sc4 (Figure 24) (Toyama B.H. et al., 2007). Ces données expliquent pourquoi Sc37 forme des fibrilles plus stables et montre une capacité réduite à subir la propagation due à Hsp104 (Tanaka M. et al., 2006).

Tout comme chez les prions de mammifères, une barrière des espèces bloque l’induction de prions entre protéines Sup35 de différentes espèces de levures. Cette barrière serait également due aux différentes conformations que chacune des protéines Sup35 serait capable d’adopter (Santoso A. et al., 2000 ; Tanaka M. et al., 2005 ; Wickner R.B. et al., 2007).

Figure 24 : Schéma montrant que l’introduction de mutations (disque jaune) dans les régions importantes pour la formation des fibrilles dans la conformation A (mais pas dans la conformation B) résulte en une diminution de la vitesse de polymérisation qui dépend de la conformation adoptée (Toyama B.H. et al., 2007).

I.3.2.5. Fonctions biologiques des prions de champignons

Le prion [Het-s] est à la base de l’incompatibilité végétative, un processus utilisé par beaucoup de champignons filamenteux, pour prévenir l’infection par des virus fongiques, ce qui suggère que le prion de la protéine HET-s assume une fonction biologique (Wickner R.B.

et al., 2007). Le prion HET-s permettrait ainsi de limiter la progression d’infections virales en

bloquant la fusion entre colonies différentes génétiquement (Fowler D.M. et al., 2007). Au sein des populations naturelles, les prions [PSI+] et [URE3] peuvent se déclarer de

novo avec une fréquence aussi élevée que 10-6. Cependant, des études récentes montrent que les prions [PSI+] et [URE3] ne seraient pas fréquemment rencontrés au sein de différents isolats sauvages. Ceci laisse penser qu’un prion qui n’est pas trouvé au sein de levure sauvage doit être dommageable pour son hôte (Nakayashiki T. et al., 2005 ; Resende C.G. et al., 2003 ; Wickner R.B. et al., 2007), bien que des levures [PSI+] ou [URE3] montrent des avantages de croissance sélectifs dans certaines conditions (True H.L. et al., 2004). Un argument pour le rôle fonctionnel des prions [PSI+] et [URE3] est que le domaine N-terminal n’est pas essentiel à la fonction de la protéine mais qu’il a pourtant été maintenu au cours de l’évolution (Chernoff Y.O. et al., 2000). Cependant, il a été montré que le domaine riche en N/Q de Ure2p de Saccharomyces paradoxus, qui ne diffère que légèrement de celui de S.

cerevisiae, ne forme pas de prion et qu’il pourrait en fait avoir une fonction indépendante de

la formation prion (Talarek N. et al., 2005 ; Shewmaker F. et al., 2007 ; Urakov V.N. et al., 2006 ; Wickner R.B. et al., 2007).