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5 LES IMPACTS POTENTIELS SUR LA SANTÉ DES CONSOMMATEURS

5.3 Les problématiques de santé appréhendées : les hypothèses

Les données épidémiologiques ne sont actuellement pas assez probantes pour mettre au banc des accusés les pesticides résiduels dans les denrées alimentaires en raison de leur innocuité sanitaire aux doses règlementaires (Canada. Santé Canada, 2010; Samuel, 2013). Les difficultés d’analyse tiennent aux faits que (1) les effets néfastes d’expositions répétées à des faibles doses peuvent prendre quelques dizaines d’années à se manifester; (2) les pesticides sont retrouvés dans les aliments à l’échelle planétaire, donc les populations témoins sont pratiquement inexistantes; (3) les évidences scientifiques relèvent surtout d’expériences sur les animaux de laboratoire, dont les temps d’exposition sont beaucoup plus courts que les expositions à l’échelle d’une vie humaine; (4) les maladies sont souvent multifactorielles et parfois de cause génétiques19 et d’autres facteurs environnants comme la présence d’autres toxines - tels les métaux

(nickel, plomb, mercure) - l’environnement social, la nutrition générale, ou l’exposition à la fumée secondaire des cigarettes.

Au Canada, plusieurs pesticides sont détectés dans les aliments de base ou transformés comme l’eau, la farine, le maïs, le lait maternel, les jus de fruit et le lait de soya,. Les bébés et les enfants en développement sont plus vulnérables aux impacts néfastes potentiels en raison de l’interférence de certains pesticides avec la synthèse de l’acide déoxyribonucléique et de l’immaturité de leurs mécanismes de détoxification (Shettler et autres, 2000). Ces auteurs considèrent que les OP sont toxiques pour le développement neurologique en raison d’une déficience de la quantité de cellules nerveuses. Par ailleurs, l’exposition à ces produits, tel le chlorpyrifos20, pourrait être identifiée comme un facteur de risque de

troubles d’hyperactivité des enfants (Bouchard et autres, 2010). À ce propos, l’équipe de Shettler (2000) a publié que ce pesticide était présent dans l’urine de 90 % des enfants de populations américaines représentatives. L’abandon graduel de ce pesticide en agriculture n’est pas prévu à court terme par l’ARLA, procurant ainsi un facteur d’exposition et donc de risque additionnel dans le développement des troubles du développement.

19 À titre d’exemple, l’allèle APOE4*ε4 est un facteur qui augmente la susceptibilité de développer la

maladie d’Alzheimer en raison de la persistance du DDE dans l’environnement (Richardson et autres, 2013).

20 À titre de rappel, le chlorpyrifos a été détecté dans l’eau potable ainsi que dans plusieurs aliments au

Les néonicotinoïdes ont la réputation d’avoir une faible affinité pour le récepteur d’acétylcholine nicotinique des mammifères. Toutefois, des études récentes ont montré leur aptitude à traverser la barrière hématoencéphalique et à moduler ce récepteur chez les petits mammifères utilisés en laboratoire. Chez l’humain, son dérèglement serait impliqué dans les maladies neurodégénératives comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson et dans les psychoses comme la schizophrénie et la dépression (Benbrook, 2002; Chen et autres, 2014) puisque ce récepteur est situé au niveau du thalamus. L’utilisation en prophylaxie des composés de cette famille sur les semis augmente leurs présences dans les cours d’eau, ce qui résulte en un risque d’exposition accrue, d’autant plus que leurs LMR n’ont pas été déterminées par l’ARLA, contrairement aux pays de l’Union Européenne qui ont émis un moratoire sur leur utilisation. En conséquence, au Canada, cette famille pourrait théoriquement contribuer à accroître l’épidémie des maladies neurologiques multifactorielles des citoyens après leur phase de développement.

Ceci étant, la population canadienne est susceptible d’ingérer des pesticides qualifiés de «cancérigènes probables» selon l’IRPeQ. En fait, selon les résultats d’échantillonnage de 2002 à 2005, les pesticides les plus concernés, lorsqu’on considère leur fréquence de détection et leur probabilité de consommation, sont le captane, le carbaryl, le diméthoate, l’imazalil, l’iprodione, le manèbe, le mancozèbe, l’O-phényphénol et la perméthrine (Samuel et autres, 2010). Certains autres pesticides sont aussi susceptibles de perturber le système endocrinien comme le mancozèbe, le manèbe, l’iprodione et le thiabenzadole. Même si certains d’entre eux, comme le manèbe et l’O-phényphénol, ne sont plus homologués par l’ARLA en 2014, il n’en demeure pas moins que les Canadiens risquent d’y être exposés par la consommation de produits internationaux en raison non seulement de l’échantillonnage de contrôle insuffisant, mais également parce que les stocks sont distribués avant que les résultats des contrôles ne soient connus (Samuel et autres, 2010).

Dans le contexte du Québec, peu d’études épidémiologiques ont été réalisées pour étudier la relation entre différentes maladies et l’exposition aux pesticides. Toutefois, les données de l’étude de Godon et de ses collaborateurs (1993) supportent l’hypothèse d’un lien entre l’incidence de la leucémie et l’exposition chronique à de faibles concentrations de pesticides présents dans l’eau potable. Brièvement, les auteurs rapportent un excès significatif d’incidence de leucémie chez les hommes qui s’alimentent en eau potable tirée des puits du bassin hydrographique de la rivière Yamaska, une des rivières les plus polluées par les pesticides au Québec (Godon et autres, 1993).

Même si les pesticides des familles des OC, des OP et des carbamates bannis ou en voie de l’être par l’ARLA sont nombreux, leurs présences à long terme dans les denrées alimentaires demeurent toutefois prévisibles en raison de leur faible potentiel à la biodégradation et de leur stabilité chimique dans l’eau et dans le sol. Leurs impacts sanitaires néfastes ne s’amenuisant pas avec les années passées dans un biome, les incidences de cancers, de troubles reproductifs, de problèmes liés à la glande thyroïde et aux organes détoxifiants comme les reins et le foie risquent de prendre de l’ampleur chez les adultes. Également, l’augmentation de l’incidence d’infections pourrait être causée par l’affaiblissement du système immunitaire attribuable à certains pesticides. Ce dernier aspect est une problématique de santé publique d’autant plus pertinente que les antibiotiques actuels perdent en efficacité en raison de la prolifération de microorganismes résistants (Nordmann et autres, 2007).

La problématique des impacts sanitaires causés par une variété de pesticides détectée dans un seul aliment ou dans un échantillon d’eau potable est reconnue par la communauté internationale (les Nations Unies, notamment). Le Canada et les États-Unis font actuellement des études en ce sens et la US EPA révise présentement les risques associés au cumul de pesticides qui ont un même mécanisme d’action (FAO, 2014).

Sans conteste, les CC profiteront aux ravageurs des cultures à la surface de la planète. Ceci étant, dans les pays où les règles sanitaires sont souples et/ou peu respectées, l’emploi accru des pesticides menace la santé des consommateurs locaux, mais aussi des pays importateurs, en l’occurrence le Canada, qui ne mettent pas en œuvre les effectifs adéquats pour assurer la conformité à leur règlementation relative aux pesticides résiduels dans les aliments. En outre, compte tenu des modèles des CC pour le Québec, qui prévoient à la hausse l’intensité des vents et des pluies tout en ayant une humidité relative plus basse, les pesticides seront portés à s’évaporer plus rapidement, à dériver plus loin et à ruisseler davantage. En somme, la qualité de l’air et de l’eau risque d’être affectée négativement, ce qui aura probablement des répercussions sanitaires pour le citoyen de même que pour les organismes aquatiques.

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