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La pédagogie spécialisée aujourd’hui au travers du regard de divers auteurs

2.1.1 Les principes fondateurs de l’inclusion/intégration

Il serait difficile d’aborder notre thématique sans parler des enjeux et des clivages actuels de la société en ce qui concerne l’enseignement spécialisé. La politique d’inclusion de tous les élèves à l’école régulière a indéniablement des répercussions sur le travail d’enseignant spécialisé. L’école défend le principe d’éducabilité pour tous. Cependant, inconsciemment, cette volonté d’éducation pour tous appelle à l’exclusion de ce qui est différent, de ce qui n’est pas dans la norme sociale.

Cela voudrait dire que l’école n’accepterait pas tous les élèves, avec leurs difficultés et leurs handicaps, et qu’il y aurait, à un moment donné, un seuil à franchir pour être éducable.

En effet, autrefois, les personnes dites « idiotes » ou « imbéciles » n’avaient pas accès à l’éducation. Aujourd’hui, cela voudrait dire que celui qui était exclu auparavant est désormais « à inclure ».

Tania Pecorelli & Seraina Utiger juin 2014 45 Comme le souligne Florence Giust-Desprairies (2004) :

Les acteurs de l’école se débattent dans des contradictions douloureusement vécues entre adhésion à un mythe égalitaire et inscription dans des logiques discriminatoires, l’image de l’unification s’associant à celle de l’exclusion impure ou gênant la logique du tout inclus appelant celle du tout exclu. (p.71).

Nos politiques sont convaincues de l’inclusion et nous exhorte à mettre en pratique ce principe d’éducabilité pour tous. Se pose alors la question de comment on appréhende l’autre ; cet autre qui peut être pris positivement, comme un être doué de raison, ou négativement, comme étant un obstacle gênant qu’on préférerait écarter.

Florence Giust-Desprairies (2004) soutient cette vision en disant que « la menace vécue face aux caractéristiques actuelles dans les classes tient au fait que, derrière l’élève, c’est un ensemble de représentations concernant le statut de la différence et de l’autre qui pose problème » (p. 70).

Dans notre société actuelle, l’inclusion devient le moteur d’une idée qui s’est imposée, progressivement, dans nos sociétés, en lien avec l’émergence de la démocratie et de la pensée humaniste. Tous les êtres humains devraient être égaux en droits. Idée qui a mis du temps à se légaliser et qui ne l’est pas encore partout dans le monde. Le handicap prend ce tournant, entre l’envie que tous les élèves soient intégrés et la réalité qui nous montre chaque jour les limites de cette volonté. Le domaine de la pédagogie spécialisée s’est élargi et est devenu un champ disciplinaire qui prend de plus en plus d’essor.

46 Tania Pecorelli et Seraina Utiger juin 2014 Dans leur ouvrage, Chatelanat et Pelgrims (2003) nous disent que :

Le domaine de la pédagogie spécialisée concernerait les personnes ayant des besoins spécifiques. Ces besoins sont reconnus aux personnes de tout âge présentant une déficience visuelle, auditive, motrice, physique, un retard mental, des handicaps multiples, un polyhandicap, des troubles du langage, de l’apprentissage, du comportement ou encore de la personnalité. (p.10).

Elles poursuivent enénumérant les différents intervenants qui travaillent dans le champ de la pédagogie spécialisée :

Les intervenants en éducation précoce spécialisée exercent des activités de dépistage (…) les enseignants spécialisés dispensent un enseignement dans le cadre des écoles, classes, institutions spécialisées, groupes d’appui ou de soutien à l’intégration scolaire à des élèves en âge de scolarité (…)

Les éducateurs spécialisés exercent, quant à eux, une action éducative auprès d’enfants, d’adolescents ou d’adultes dans des lieux institutionnels variables. (pp.12-13).

Sans oublier que la pédagogie spécialisée est associée à l’intervention de différents thérapeutes : logopédistes, psychomotriciens, psychologues,.... La multiplicité des professions amenées à travailler autour de l’élève à besoins éducatifs particuliers constitue une caractéristique majeure de la pédagogie spécialisée et correspond à une multiplicité d’actions diverses.

Les sciences de l’éducation, qui englobent la pédagogie spécialisée, ont pris un essor considérable ces dernières années et constituent le sujet de plusieurs recherches en éducation spéciale. « Les connaissances produites dans des contextes d’éducation et d’enseignement spécialisés pourraient contribuer au développement des connaissances dans les différents champs de recherche constitutifs des sciences de l’éducation et inversement ». (Chatelanat & Pelgrims, 2003, p.18).

Tania Pecorelli & Seraina Utiger juin 2014 47 Dès la fin du 19ème siècle, on assiste au développement des systèmes éducatifs nationaux et à l’émergence d’un nouveau champ traitant des phénomènes éducatifs.

Hoffstetter et Scheuwly (1999, 2001, 2007, 2009) ont traité de l’avènement et de l’importance de ce champ dans plusieurs ouvrages.

L’universalité des droits pour les élèves nous amène à penser comment on perçoit l’autre, comment on l’accepte. Ce principe de l’autre, Giust-Desprairies (2004) nous le dépeint comme un incontournable, une entité avec laquelle il est difficile d’interagir, mais qui enrichit notre quotidien. C’est à nous de choisir si nous le prenons comme un égal ou comme un obstacle. L’enseignement est arrivé à un changement de direction: celui de l’intégration des élèves à besoins éducatifs particuliers à l’école ordinaire.

Les repères changent, les enseignants titulaires de classe sont mis devant le fait accompli. Dès lors, il leur faudra accepter des intervenants multiples (soutien pédagogique, renfort pédagogique, aide à l’enseignant, maître d’appui, etc.) au sein de leur classe.

L’image de l’Enseignant, avec E majuscule, n’est plus la même. Cette figure de proue, qui menait seule son bateau, doit désormais accueillir d’autres personnes pour former un équipage. « La fondation perdue est celle de l’unité autour de l’imaginaire d’un tous idéalement semblables par un retour dans l’Ecole contemporaine des identités multiples, hétérogènes et mobiles » (Giust-Desprairies, 2004, p. 70).

La pédagogie spécialisée en Suisse ne peut pas se concevoir hors de son environnement et de sa toile de fond. Elle ne vit ni sur une île ni dans un ghetto, mais elle est dépendante et influencée par son contexte. Alois Bürli (2005) nous explique que :

les Règles pour l’égalisation des chances des handicapés sont une nouvelle étape majeure dans l'élaboration d'une politique moderne internationale concernant les personnes handicapées.(…)Le programme d'action mondial en faveur des personnes handicapées,

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décidé par la plénière des Nations Unies en 1982, part du principe que les personnes handicapées sont des citoyens comme les autres, et en tant que tels, elles ont le droit à participer au développement de la société et les obstacles à leurs activités doivent être éliminés. (…) Cette nouvelle manière de voir traite le problème des handicapés dans une perspective de droits civils et non pas de philanthropie. Le refus de ces droits équivaut à une discrimination. (p.29).

Cette nouvelle manière de voir les personnes en situation de handicap, de modifier ou d’élargir les lois en leur faveur, comme c’est le cas de la nouvelle loi sur la pédagogie spécialisée (LPS), s’est construite pas à pas, grâce à des mobilisations, des revendications. Plusieurs traités, accords de collaboration et autres documents ont contribué à cette construction d’un regard nouveau. La déclaration de Salamanque en fait partie.

La déclaration de Salamanque

C’est en 1994, que ce sont réunis pas moins de 300 participants représentant 92 gouvernements et 2 organisations internationales, afin de promouvoir une société plus inclusive. L’idée étant que l’école puisse être au service de tous les enfants en leur proposant un accompagnement adapté à leurs possibilités, à leurs forces et leurs faiblesses. Ils ont voulu mettre en avant le principe de l’intégration et la reconnaissance de la nécessité de travailler à la création d’« écoles pour tous ».

L'introduction de la Déclaration met en évidence la prise de conscience de la nécessité d'offrir aux enfants, adolescents et adultes ayant des besoins particuliers, des possibilités de formation dans le cadre du système ordinaire. Dans la Déclaration, on part entre autres de l'idée que tous les enfants ont un droit fondamental à l'éducation, qui permet d'acquérir et de maintenir un niveau de formation approprié. Les systèmes scolaires et les plans d'études doivent être organisés de manière à tenir compte de la grande hétérogénéité des enfants. Les enfants ayant un besoin d'un soutien particulier doivent avoir accès aux écoles générales; elles les intègrent dans leur système adapté aux enfants et qui correspond à leurs besoins. En outre, on part de l’idée que les écoles générales ayant une

Tania Pecorelli & Seraina Utiger juin 2014 49 orientation intégrative sont les mieux armées pour lutter contre les attitudes discriminantes et qu’une société intégrative peut exister en garantissant la formation pour tous. (…)

L’appel adressé aux gouvernements de tous les pays insiste sur deux points clés:

- accorder la priorité maximale tant au niveau politique que financier pour améliorer les systèmes de formation afin qu’ils puissent accueillir tous les enfants, indépendamment de leurs conditions et difficultés de départ.

- adopter le principe de l’intégration au niveau légal et politique pour que tous les enfants puissent fréquenter l’école générale à moins que des raisons de force majeure incitent les gouvernements à prendre une autre décision » (Bürli, 2005, p.30).