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CHAPITRE 7 : LES DÉBATS AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ QUAKER : DES PROGRÈS AU

II. LES POSITIONS AMBIGUËS SUR L’USAGE DES ESCLAVES

Si les Quakers sont connus aujourd’hui pour avoir été le premier groupe de pression à condamner esclavage, cela ne semble pas encore être le cas à l’époque de Lay et de Woolman, malgré message de paix et d’harmonie qu’ils portent et dont William Penn s’est fait le messager en créant province colonial de Pennsylvanie : l’esclavage est tout de même autorisé dans la province et de nombreux Quakers possèdent des esclaves. Il est intéressant de noter, qu’on trouve de nombreux membres de la Société des Amis esclavagistes dans nos sources. William Moraley nous l’avons vu, est acheté en Pennsylvanie par un Quaker et emmené dans le New Jersey, une autre province avec une population quaker importante. Ce propriétaire, un certain Isaac Pearson, nous dit Moraley, en plus de posséder des serviteurs sous contrat, possède un esclave246. Et même si ce Quaker finit par se montrer conciliant avec l’auteur et consent à le libérer plus tôt que prévu après que celui-ci ait tenté de prendre la fuite et ait été rattrapé :

[…] je fus vite relâché avec une promesse de satisfaire ma demande. Une quinzaine de jours plus tard, nous allâmes voir le Maire de Philadelphie, son nom était Griffith, un homme d’une justice exacte, bien qu’Irlandais, qui nous réconcilia. Je suis alors retourné à Burlington et continuais à le servir [Isaac Pearson] pendant trois ans, il me faisait grâce des deux ans. J’étais parfaitement heureux du comportement que mon maître, qui était généreux, avait avec moi.247

Dans le cas de Moraley, Pearson finit par devenir généreux en le traitant bien et en la laissant partir avant d’avoir passé les cinq années à son service, comme le contrat de l’auteur l’indiquait. Mais Isaac Pearson ne paraît pas arrêter de posséder des engagés après départ de Moraley comme en témoigne l’appendis F de l’édition utilisée248. Celle-ci fait état, en plus de plusieurs annonces envoyées par le Quaker dans le journal pour informer de la fuite de trois de ces serviteurs entre 1727 et 1737. Ce qui montre que Pearson

246 Ibid., p. 82-83 : « Our Family consisted of a Wife and two Daughters, with a Nephew, a Negro Slave, a

bought Servant, and myself, with the aforesaid Gentlewoman. » Annexe Moraley n°7.

247 Ibid., pp. 82-83 : « […] but was soon released, with a promise to satisfy my Demand. About a Fortnight

after, we went to the Mayor of Philadelphia, his Name was Griffith, a Man of exact Justice, tho’ an Irishman, who reconciled us; so I returned back to Burlington, and continued with him three Years, he forgiving me the other Two: I was ever perfectly pleased with my Master’s Behaviour to me, which was generous.»

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continue à avoir des engagés à son service bien après le départ de Moraley en 1732, et qu’il les traite assez durement pour que ceux-ci tentent de prendre la fuite.

On est alors en 1737 et l’action de Woolman n’en est qu’à son commencement. En revanche, le pamphlet de Lay vient tout juste d’être publié, et si l’on croit la note d’introduction de l’éditeur, il était assez connu dans la Société des Amis. Malgré cela, la note dit que de nombreux Quakers le considèrent comme extérieur à cette communauté. Nous pouvons penser que le maître de Moraley ne se préoccupait pas du combat de Lay et qu’il avait plus d’intérêt à garder esclaves et serviteurs blancs à son service, ou tout simplement qu’il n’en avait jamais entendu parler.

Gustavus Vassa ou Equiano raconte avoir eu pour dernier maître un Quaker de Philadelphie, un certain Robert King249, marchand et propriétaire d’esclaves. C’est d’ailleurs par cet homme qu’Equiano obtient sa liberté. Mais si King est décrit par l’auteur comme un maître généreux qui traite bien l’auteur, ce dernier affirme que ce dernier achète et vend des esclaves. De plus, il apparaît moins humain quand il apprend qu’Equiano est tenté de prendre la fuite :

[…] un dimanche, mon maître me fit appeler dans sa résidence. Lorsque j’y arrivai, je le trouvai en compagnie du capitaine ; et, en entrant, je fus frappe d’étonnement de l’entendre me dire qu’il avait entendu que je pensais m’enfuir quand j’arriverais à Philadelphie : « Et par conséquent », dit-il « je dois te répéter ceci : tu m’as coûté beaucoup d’argent, pas moins de quarante livres sterling ; et il ne convient pas de perdre autant. Tu es une personne de valeur », continua-t-il ; « et je peux à tout moment obtenir cent guinées pour toi, de la part de plusieurs personnes dans cette île » Pus il me parla du beau-frère du capitaine Doran, un maître sévère, qui voulait toujours m’acheter pour faire de moi son contremaître.250

249 VASSA Gustavus, The Interesting life of Oldaudah Equiano or Gustavus Vassa, Vol. II, Londres, publié

par l’auteur, 1789, pp. 191-193.

250 Ibid., pp. 255-256 : « When I came there I found him and the captain together; and, on my going in, I was

struck with astonishment at his telling me he heard that I meant to run away from him when I got to Philadelphia: 'And therefore,' said he, 'I must sell you again: you cost me a great deal of money, no less than forty pounds sterling; and it will not do to lose so much. You are a valuable fellow,' continued he; 'and I can get any day for you one hundred guineas, from many gentlemen in this island.' And then he told me of Captain Doran's brother-in-law, a severe master, who ever wanted to buy me to make me his overseer. »

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Robert King, bien que non violent, menace ainsi Gustavus Vassa de le vendre à des maîtres qui eux, pourraient être violents, et lui rappelle à quel prix il l’a acheté.

Vassa raconte que sa liberté ne lui est pas rendue par son maître, mais qu’il doit travailler dur afin de l’acheter contre une somme d’argent importante251. Et en effet, Vassa raconte avoir dû travailler dur, en faisant du commerce à son compte, tout en travaillant pour Robert King, entre 1763 et 1766, année de son affranchissement. De plus, Vassa est, à ce moment, un privilégié : les autres esclaves ne bénéficient pas du même traitement de faveur, et restent au service du Quaker. Ce qui prouve que Robert King est toujours esclavagiste après le départ d’Equiano. Le manifeste écrit par Benjamin Lay en 1737 et le militantisme de Woolman ne semblent donc pas avoir d’effet sur lui. Bien que plus généreux et conciliant que d’autres esclavagistes, et bien qu’il soit non violent, Robert King ne colle pas totalement à l’image des Quakers que donnent Lay et Woolman. Un Quaker bon et pieux, qui prêche pour le bien et la fraternité entre tous les hommes. Le marchand paraît en effet, privilégier son propre intérêt, et ceux de son business, plutôt que ceux de la liberté et du bien des Africains qu’il achète, exploite et vend.

C’est donc pour des gens comme Isaac Pearson et Robert King, membres de la Société des Amis que Lay et Woolman écrivent principalement. Des gens qui, bien que non violents en apparence, achètent des esclaves noirs ou blancs et continuent de les exploiter à leur service. John Woolman fréquente lui-même plusieurs personnes de ce genre, eux aussi membres à part entière de la communauté quaker, mais qui détiennent des malheureux à leur service. Lorsqu’il est jeune en 1742, il travaille d’ailleurs chez l’un d’entre eux. Il raconte que son patron, bien que Quaker, achète et vend plusieurs engagés serviteurs irlandais et qu’il possède une femme esclave qu’il désire vendre252. C’est ce qui fait réaliser au jeune Woolman l’injustice de l’esclavage. Tout comme Lay, il rencontre ensuite de nombreux Amis esclavagistes pour les convaincre durant la plus grande partie de sa vie. Ce qui montre, que parmi les Quakers malgré leur message d’harmonie et de paix, beaucoup d’entre eux sont partisans de la vente, de l’achet et de l’usage d’être humains comme esclaves. Ainsi tous les membres de la Société des Amis ne sont pas, au

251 Ibid. p. 260. Annexe Vassa n°7.

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milieu du XVIIIe siècle, partisans de l’abolition de l’esclavage. Ceci donne d’ailleurs des discussions virulentes au sein de cette communauté pendant cette période.

III.

Des débats houleux et des recherches de justifications bibliques sur les