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CHAPITRE 7 : LES DÉBATS AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ QUAKER : DES PROGRÈS AU

I. LE PARALLÈLE QUAKERS-ESCLAVES-SERVITEURS SOUS CONTRATS : TROIS

Nous avons déjà pu observer que Moraley et Sprigs faisaient une comparaison entre leur condition de servant et celle des esclaves et que cette dernière affirmait même que certains esclaves étaient mieux traités qu’elle, mais c’est surtout dans le pamphlet de Benjamin Lay que cette comparaison est vraiment exprimée. Une comparaison du sort des victimes qui est aussi faite avec celui des Quakers. En effet, afin de convaincre son public quaker esclavagiste, Benjamin Lay leur rappelle la façon dont beaucoup d’entre eux sont venus en Amérique du Nord depuis l’Europe :

Et maintenant mes chers Amis et autres, vous qui êtes venus comme servants et esclaves dans ce pays, bien que ce fut pour une courte période et par votre volonté aussi, il est intolérable que vous plaidiez pour maintenir les Nègres. Je dis que vous qui êtes venus ici en étant pauvres, viles, misérables infortunés, destitués et tristes, et que vous étiez ici maintenus pour un dur labeur, ce qui était bon pour vous [etc.].240

Ce que Lay veut rappeler à ces camarades Quakers, c’est que comme la plupart des Européens arrivés dans les colonies anglaises dans la période coloniale, un grand nombre des membres de la Société des Amis sont venus par le moyen de l’engagement. Ce qui signifie qu’ils ont connu la servitude, et donc un état proche de ce que connaissent encore les esclaves au moment où Lay écrit son pamphlet. Il fait donc ici un parallèle entre les engagés et les esclaves. A l’inverse de Sprigs, il montre que l’esclavage est bien plus

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LAY Benjamin, All Slave-keepers that keep the Innocent in Bondage, Apostates, Arizona State University, Antislavery literature project, (1ère ed. 1737), pp. 81-82 : « And now my dear Friends and others, you that came in Servants to this Country, and Slaves, although for a short time by your own Consent too, for you to plead for Negroe-Keeping, is almost intolerable.I say, you that came here poor, vile, miserable wretches, destitute and forlorn, and here you were kept to hard Labor, which was good for you, and brought you to a sense of your filthy, abominable, undone, and woeful cursed condition which you [etc.]. » Annexe Lay n°9.

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terrible que la servitude sous contrat. Il affirme aussi que la nouvelle génération de colons qui asservi les Africains semble oublier que leurs parents se plaignaient de leurs conditions, et font subir les mêmes souffrances aux esclaves :

[…] toutes ces choses sont-elles oubliées par nous autres, et un millier de fois plus, le progéniture de cette âge font les mêmes choses eux-mêmes, des choses dont leurs géniteurs se plaignaient tant et à juste tire, mais cette progéniture a fait et fait mille fois pire et plus cruellement, car nos chers et adorés Amis étaient bannis d’Angleterre mais pour quelques années […] ; mais les pauvres esclaves et leur progénitures ont été enlevés, bannis, torturés et tourmentés toujours plus, pour le plus grand frein ineffable du Saint Évangile, de la paix et du salut, pour laquelle nos chers génitures ont tant souffert à cause de leurs persécuteurs.241

L’auteur tente ici de convaincre ses lecteurs en leur montrant que s’ils ont souffert de leurs années de servitude, le sort des Africains asservis à vie est bien pire. Le vieux Quaker tient à marquer les grandes différences entre ce qu’ont connu ses camarades et ce que vivent les esclaves des colonies. Il précise d’abord que les Quakers, comme beaucoup d’autres Européens, s’ils ont pu souffrir de leur engagement, sont venus par leur propre volonté, qu’ils ont donc accepté d’être asservis, et que cette situation pour eux, n’a duré que quelques années. Ceci lui permet aussi de rappeler aux Quakers, leurs préceptes de paix, mais aussi la souffrance que beaucoup d’entre eux ont connue en Angleterre mais aussi dans les colonies.242 Benjamin Lay fait donc un lien entre trois types de victimes : les esclaves, les engagés et les Quakers. En effet, les Quakers ont rapidement, après leur création par George Fox en 1652 étaient sujets de persécution, en Angleterre mais aussi

241 Ibid., p. 62 : « […] are all these Things forgotten by us, and a thousand times more; are the Progeny in this

Age, doing the same Things themselves, which their Progenitors so greatly complained of, and justly too; but this Progeny have been and are acting a Thousand times worse, and more cruelly; for our dear and worthy Friends and Progenitors were Banished from England but for a few Years, and where they might and did Preach and help forward the Gospel of Christ; but the poor Slaves and their Progeny, have been Stolen, Banished, Tortured and Tormented, for ever more; to the great unutterable hindrance of the Blessed Gospel of Peace and Salvation, for which our dear Progenitors, suffered so deeply by their Persecutors. » Annexe Lay n°8.

242 Ibid., p. 56-57 : « But my dear and tender Friends, how does this cruelty and partiality agree with our

Principles as a People, which have been preaching up Perfections in holiness of Life, for near a Hundred Years, and the universal Love of God to all People, of all colors and Countries, without respect of persons: Have we forgot this blessed Testimony for which our dear Friends suffered in Old and New England? » Annexe Lay n°6.

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dans les colonies, en raison de leur doctrine religieuse qui s’avère dérangeante pour plusieurs autres groupes religieux comme les Puritains de Nouvelle-Angleterre243. Les persécutions sont de diverses sortes, comme Lay l’affirme ; certains Quakers sont bannis d’Angleterre. Une fois en Amérique du Nord, certains sont emprisonnés et même exécutés par les autorités coloniales244. C’est donc aussi à propos de ces persécutions que Lay écrit245, les Quakers ont été des victimes, à la fois par les persécutions, et par l’engagement, et de ce fait, ils ne doivent pas faire subir ces mêmes souffrances sur les Africains en les gardant comme esclaves. Il dresse donc bien un parallèle entre les souffrances des esclaves et celles des Quakers, ce qui l’amène à parler de la servitude sous contrat, tout ceci dans le but de convaincre les gens de sa communauté religieuse de l’urgence d’abolir le commerce des esclaves et l’esclavage. Il exprime ainsi l’ambigüité de ceux qui se plaignent que leurs ancêtres aient souffert en étant asservis et qui, pourtant, possèdent à leur tour, des serviteurs ou des esclaves. Lay et Woolman montrent d’ailleurs que les positions de la Société des Amis sur le sujet de la servitude ne sont, à l’époque, ne sont pas claires du tout.

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AHLSTROM Sydney E., A Religious History of the American People, New Haven, Yale University Press, 1972, p. 178 : « It must be said too, that Quaker teaching was feared because it undermined the establishment by minimizing the liturgical and teaching function of an ordained ministry, abandoning the idea of objectives sacraments, and inspiring conduct which was attributed to the promptings of an inner voice. Most ominous of all to the authorities was the phenomenal missionary zeal which flowed from the Quaker conviction of the universality of the Holy Spirit’s work. »

244 BARBOUR Hugh, FROST William J., The Quakers, Greenwood Press, Westport, 1988, p. 59 : « The

missionary efforts of the earliest Friends, including founder George Fox, took them to North America where, as in England, they were persecuted. Massachusetts Bay Colony executed four. Quaker colonization of America, however, offered the prospect of a refuge and more. »

245 Benjamin Lay, Op. Cit., p. 58 : « How did William Penn and William Mead, at their Tryal, in the Old-

Baily, London, like such arbitrary Proceedings, as well as many, yea very many more of our Dear and

Worthy Friends and Elders, in the beginning, before and by wicked unjust Judges, in Old-England and New-

England too, in particular, as the Book of Sufferings largely sets forth, writ by George Bishop. But these

things are forgotten by many, that are doing the same thing themselves, according to their power and ability: Let any Friend read G. Whitehead’s Account of Friends Sufferings, which is written in his Works. How many profuse, profligate Creatures, have come in Servants to this Country, which have been stated not only as Members, but Ministers in full Unity, in less time then I have been here; it is not intolerable then, that three or four Men that has the Mark of the Beast, and the Number of his Name [etc.]. » Annexe Lay n°7.

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