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Les mythes

Dans le document L'Anthropologie pour tous. (Page 45-47)

Un mythe, c’est une histoire qui aide, par sa composition et sa structure, à comprendre le fonctionnement du monde dans lequel on vit. La plupart du temps, ceux qui sont dépositaires des mythes n’en connaissent pas la fonction. Pour Lévi-Strauss, le mythe existe en soi et pour soi et son simple fait d’être suffit pour donner sa cohérence au monde. J’ai tendance à penser que c’est encore mieux si les gens ont connais- sance du bienfait qu’ils en tirent, mais je ne sais pas ! Une histoire mythique est d’abord une his- toire, comme celles qu’on lit aux enfants, avec des personnages récurrents, qui jouent un rôle récurrent et qui aide à comprendre comment les choses se passent ; pourquoi le renard est-il fa- cétieux et voleur, par exemple. Je ne dirais pas que chez nous, les fables de La Fontaine sont des mythes, mais elles rendent compte d’un certain type de rapports de force, entre le corbeau et le renard par exemple. Des grands mythes d’ori- gine, il y en a un peu partout, au Proche-Orient bien entendu, et tous les mythes amérindiens sont fabuleux. L’Afrique n’est pas très riche en mythes, ou tout au moins ce sont des mythes qui ont une valeur moins globale, moins géné- rale, ce sont des mythes qui ont des rapport avec des familles, avec des tribus, ou alors avec des institutions.

Par exemple, il y a un mythe en Afrique de l’Ouest, dont on trouve aussi des traces dans d’autres régions d’Afrique, toujours un peu sous la même forme. Il explique la domi- nation masculine. Au départ, une divinité a

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L’Anthropologie pour tous Françoise Héritier — Le goût des autres

créé le monde, les hommes et les femmes. Ce sont des groupes séparés : les hommes vivent ensemble ; les femmes vivent ensemble ; ils se reproduisent directement par eux-mêmes : les femmes font des filles et les hommes font, par leur corps, des garçons. Ils chassent, ils pêchent, ils cultivent. Le mythe se passe hors temps, au temps de la préhistoire, au temps des chasseurs-cueilleurs. Un jour, sur leur terrain de chasse, le groupe des hommes rencontre le groupe des femmes. À ce moment-là, mus par on ne sait trop quel réflexe, ils découvrent la façon de se servir de leurs corps. Alors Dieu, très fâché quand il s’en aperçoit, leur dit : si c’était cela que j’avais voulu pour vous, je vous l’aurais dit, je vous aurais fait vous rencontrer plus tôt ; non ! Vous devez vivre comme par le passé. Mais les hommes y ont pris goût (les femmes aussi vraisemblablement, même si le mythe n’en parle pas), et ils continuent. Dieu se fâche encore plus et décide d’intervenir. Il sépare les deux groupes par un tapis de feuilles sèches, pour les empêcher de se rejoindre : en passant sur les feuilles, ils le réveilleraient. Les hommes montrent alors toute leur mauvaise foi en allant quand même voir le groupe des femmes, de nuit, en emportant des grandes calebasses d’eau pour mouiller les feuilles mortes et ne pas faire de bruit. Mais comme la divinité voit tout, elle s’en aperçoit ; elle se fâche tout rouge et dit : désormais, puisque vous le voulez, vous allez vivre ensemble (c’est donc un mythe d’origine de la famille) avec tous les inconvénients que vous allez vite dé- couvrir ; et comme les hommes ont été les

plus coupables d’infraction à mon égard, je leur enlève le privilège de faire leurs fils, et je le donne aux femmes. Donc, ce mythe d’ori- gine de la famille est aussi le mythe de tout ce que j’appelle la valence différentielle des sexes, parce qu’il permet aux hommes de dire, par un retournement : on nous donne un vase pour faire nos fils, et ainsi nous n’avons pas à souffrir des inconvénients physiques de la grossesse et du travail qui va avec, mais tout cela implique que nous ayons des femmes à nous. D’où l’appropriation des femmes par les hommes et toute une série de choses qui s’en suivent.

Le mythe postule un monde d’avant l’ori- gine de l’institution qu’il dévoile, et ce monde originel fonctionnait de façon différente, et très bien. Il faut donc montrer aux enfants que l’espèce humaine a tout pensé dans sa tête. Ce n’est pas la nature des choses qui fait que les hommes sont supérieurs aux femmes : tout a été pensé, comme étant ce qui convenait le mieux. Ce qui est pensé dans la tête n’est pas naturel, n’est pas inné et peut donc être chan- gé. Toutes les actions que nous menons visent à faire changer des ordres que les gens présentent comme naturels et qui sont des ordres inégali- taires, qui tiennent aux représentations d’il y a 200 ou 300 000 ans, qui nous ont été trans- mises, des représentations mentales faites en un temps où la connaissance n’était pas celle qu’elle est maintenant. Évidemment, on ne sa- vait pas qu’il fallait des spermatozoïdes et des ovules pour faire un enfant, chose que l’on ne sait que depuis la fin du xviiie siècle !

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