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Les motifs des consultations en urgence aux Services des Urgences

7. Le patient : son point de vue

7.2. Les motifs des consultations en urgence aux Services des Urgences

La société a confié au médecin généraliste une lourde tâche, celle d’être le premier recours de consultation pour tout patient et pour tout motif. Pour un patient atteint d’un cancer, le médecin généraliste doit donc être compétent pour la prise en charge des effets secondaires de la chimiothérapie, savoir donner l’information sur l’évolution globale de la maladie, et mettre en place les soins de support à un moment donné.

En médecine générale, la détresse psycho-familiale d’un patient cancéreux, associée ou non à un autre symptôme ou à une autre difficulté, reste un motif de consultation fréquent et difficile à gérer, car cette dernière devient « longue et délicate ». Pourtant, il n’existe pas vraiment de « guide pratique » émis par les autorités, pour aider un professionnel à gérer ce genre de consultation. [33] Quelles sont alors les motivations et les difficultés d’un patient cancéreux lors d’une demande de soins non programmés ?

Cette même enquête menée auprès de 102 médecins généralistes du Sud-Ouest montre que un quart parmi eux ont reçu spécifiquement un patient en consultation pour la survenue d’un effet indésirable de la chimiothérapie. La moitié a déclaré qu’un patient a présenté un effet indésirable dans les 2 mois suivant le début de la chimiothérapie. Les motifs des consultations principaux, par ordre de décroissance, ont été les suivants : troubles digestifs 79 %, asthénie 56 %, alopécie 50 %, troubles hématologiques 33 % ou neurologiques, perte de poids. Selon la gravité de l’événement présenté, seuls 21 % des patients ont été hospitalisés, essentiellement pour des troubles hématologiques. [33] En règle générale, la mauvaise tolérance de la chimiothérapie ou ses effets indésirables sont souvent à l’origine des hospitalisations en urgence. [43]

41 L’insuffisance d’accès aux soins primaires en ambulatoire pour des patients atteints d’un cancer a des conséquences directes sur le nombre de consultations aux services des Urgences. Ces situations ne sont pas malheureusement rares [5], [44], et témoignent de la complexité de la gestion de ces patients à domicile. L’angoisse de la fin de vie ou le refus de l’acceptation, voire besoin d’une ultime chance : « Les services des Urgences deviennent un lieu d’un autre espoir ». [5]

Avant la réorganisation du fonctionnement des réseaux de soins palliatifs, notamment avant la mise en en place d’un système de la permanence médicale, du travail en collaboration avec le centre 15 et des directives anticipées, le recours aux Urgences semblait être la seule alternative pour pallier au manque de l’offre de soins primaires. Le problème de ces services est le fait qu’un tel fonctionnement ne peut pas leur être adapté, car la démarche est de « "sauver la vie" plutôt que "d'accompagner jusqu'à la fin" ». [5] Il est particulièrement difficile pour les médecins urgentistes d’envisager le traitement étiologique et de prendre des décisions appropriées sans négliger la situation carcinologique du patient.

L’équipe soignante fait alors face à la souffrance physique et morale du patient et de sa famille, qui est couplée au manque de la formation spécifique en domaine de cancérologie et participe à l’inadéquation de soins : de l’acharnement thérapeutique à nette perte de chances. Ces situations relèvent beaucoup de problèmes éthiques, générant un sentiment de l’abandon et la majoration de la détresse psychologique chez le patient, et un sentiment d’une frustration profonde chez le soignant. [5]

Dans sa thèse d’exercice publiée en 2013, M. Duval définit d’une manière arbitraire les motifs des consultations « inévitables » et « évitables ». Une situation jugée comme « inévitable » répondait aux critères suivants : l’apparition des symptômes aigus non gérables en ambulatoire, la nécessité d’un acte thérapeutique non réalisable en ville (par exemple, d’une ponction), l’impossibilité de l’intervention médicale à domicile, l’isolement du patient.

42 Pour une situation « évitable », les critères retenus ont été les suivants : la possibilité de la gestion d’un symptôme à domicile, la présence des directives anticipées, l’éducation du patient et de sa famille, le recours au médecin traitant à domicile possible, une présence de l’aidant à domicile. [44].

Elle étudie la répartition des motifs des consultations aux Urgences pour 68 patients suivi par le réseau de soins palliatifs « Arc-en-ciel ». Les deux tiers des consultations ont eu lieu sur les horaires de garde (entre 18h et 09h) ; 16 % des patients ont été adressés par leur médecin traitant, 10 % par SOS médecin, 7 % via SAMU, 6 % par leur infirmière à domicile, 1,5 % transférés d’un autre hôpital. Cinquante-huit pourcents ont consulté de leur propre volonté dont ¾ sans demander au préalable l’avis de la permanence du réseau. [44]

Parmi 28 de ces patients ayant consulté dans le CHU d’Avicenne, aucun ne présentait un état d’urgence immédiate, 32 % relevaient d’urgences relatives (vus dans 20 minutes suivant l’admission), 53 % d’une consultation en urgence (vus dans les 60 minutes suivant l’admission), 7 % d’une consultation d’urgence vus dans 120 minutes et 7 % d’une consultation en médecine générale (vus dans 240 minutes suivant l’admission). [44]

Concernant les motifs des recours, 16 % ont consulté pour une détresse respiratoire aiguë, autant pour l’altération de l’état général, 13 % pour une infection, 11 % pour une hémorragie, 5,9 % pour des douleurs abdominales, 4,4 % pour un problème de la chambre implantable, autant pour une plaie ou une chute et pour des anomalies du bilan biologique, 2,9 % pour chacun des 4 motifs : troubles du comportement, douleur d’un membre, œdèmes des membres inférieurs, 4,5 % pour une douleur thoracique et autant pour une fistule cutanée. Une hospitalisation a été nécessaire dans 85,3 % des cas. [44] Le service des Urgences est donc vu par un patient atteint d’un cancer comme un lieu du « dernier espoir » pour pouvoir changer quelque chose dans « le parcours fataliste prédéfini par la maladie ». [44]

La situation semble peu évoluer depuis plus de 10 ans, malgré toutes les démarches entreprises par le gouvernement, puisque la même problématique a été déjà évoquée en 2007 par M. Brinza-Latour dans sa thèse d’exercice.

43 Elle « a mis en lumière » l’inadéquation de la prise en charge des patients atteints d’un cancer résidant en région Parisienne dans le service des Urgences du CHU Bicêtre. Une enquête a été menée auprès de patients en phase palliative terminale qui ont été admis aux Urgences faute de place dans le service traitant, avec un sentiment de « désarroi de ne plus être considéré comme prioritaires pour une hospitalisation dans leur service d’origine ». [45] Cette étude comparait 43 « cas » de patients âgé de plus de 75 ans relevant de soins palliatifs et un groupe « témoin » de 43 patients de plus de 75 ans n’en relevant pas. Vingt patients soit 46,5 % ont été admis sur une décision de la famille, 1 seul patient (2,3 %) a demandé son transfert pour le déséquilibre antalgique, et 22 patients (soit 51,1 %) ont été adressés aux Urgences par leurs médecins traitants. [45]

Parmi ces derniers, 3 généralistes refusaient dans le courrier de poursuivre la prise en charge en raison de sa lourdeur. Dix ont évoqué dans le courrier accompagnant le patient, le motif des soins palliatifs et une demande d’un soulagement pour les familles à la recherche d’une structure appropriée. [45] En termes du diagnostic, 32,5 % des patients souffraient d’un cancer en phase terminale au-delà de toute ressource thérapeutique. [45] Concernant leur orientation, 13,9 % sont décédés à l’UHCD, autant ont été hospitalisés dans les services de médecine du CHU de Bicêtre, 2,3 % ont fait le retour à domicile, 82,8 % ont été hospitalisés dont 2/3 dans une structure publique et 1/3 dans une structure privée. A noter que les établissements privés ont accepté de prendre en charge autant de patients que les hôpitaux publics. Au moment de l’étude du motif de l’admission, il s’est avéré que 29,9 % ont été suivis à l’Institut Gustave Roussy et 27,6 % à l’Hôpital Privé de Thiais. Ces deux institutions ont systématiquement refusé le transfert des patients en stade palliative terminale faute du manque des places [45] ; le seul recours possible pour eux était les brancards des Urgences avec toutes les questions éthiques suscitées.

Parfois, les patients décident d’avoir un deuxième avis médical, espérant que celui-ci leur apportera une solution plus rapide ou plus convenable…

44 Une enquête menée par la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) sur les demandes de soins non programmés en médecine générale hospitalière et libérale, souligne qu’un quart des consultations « urgentes » peuvent avoir lieu quand un suivi médical ou une démarche de soins sont déjà initiés… guidées par le besoin du patient d’avoir un avis médical dans la journée. [46]

Il est également intéressant de noter que les affections chroniques stables représentent 5 % des recours urgents ou non programmés en médecine générale pour les patients âgés de 25 à 44 ans, 12 % pour les patients âgés de 45 à 69 ans, 16 % pour les patients âgés de plus de 70 ans. Les affections chroniques déstabilisées représentent respectivement pour les mêmes tranches de l’âge 7 %, 13 % et 22 %. La liste des motifs des consultations ne fait pas explicitement figurer le motif « cancérologie », mais le motif « hématologie » correspond à 2 % des consultations, « l’infectiologie » (une des complications fréquentes en cancérologie) à presque 10 % et « l’hépato-gastro-entérologie » qui est une autre sphère relevant des complications oncologiques aiguës, à presque 20% de ces 17 254 consultations. [47]

Un « état des lieux » des patients cancéreux admis aux Urgences et nécessitant l’hospitalisation non programmée, a été réalisé par E.Kerrouault dans sa thèse d’exercice. Une première remarque : le nombre de patients souffrant d’un cancer et admis aux Urgences est en hausse permanente, qu’il s’agisse des « vraies » urgences, ou des urgences « ressenties ». Cela est aggravé par la diminution de la capacité d’accueil des services oncologiques à cause de la chronicisation de la maladie. [48]

Une autre étude [48] menée sur 47 jours et incluant 123 patients a démontré que 2 à 3 patients cancéreux doivent être hospitalisés en urgence chaque jour, ce qui correspond à 3,4 % de toutes les admissions en médecine du CHU de Nantes. Ces patients ont été majoritairement admis en semaine entre 8 h 30 et 18 h 30 (40 %), 38 % le week-end et 21 % la nuit. Au total, les 2/3 des patients ont été admis pendant les plages horaires où ils auraient pu consulter le médecin traitant et le référent oncologue.

45 Le délai moyen d’attente a été de 147 minutes soit 2 h 27 avec une médiane de 90 minutes : moins de 30 minutes pour 14,75 %, entre ½ et 1 heure pour 16,39 %, entre 1 et 4 heures pour 47 %, entre 4 et 8 heures pour 14,75 %... et entre 8 et 12 heures pour 6,55 %. Ainsi, on peut constater qu’un patient atteint d’un cancer peut être amené à « patienter » pendant 8 à 12 heures en restant allongé sur le brancard, avant d’être examiné par un médecin … En même temps, 2/3 de ces patients fragiles ont été vus dans moins de 2 heures grâce aux efforts héroïques des urgentistes. [48]

Il nous a paru intéressant de citer la distribution détaillée des motifs de l’admission pour ces patients. Le plus fréquent était « une reprise évolutive et/ou une nouvelle manifestation clinique » (55,3 %), dont altération de l’état général 13 %, détresse respiratoire 8,9 %, signes de l’hypertension intracrânienne 7,3 %, hémorragie 5,7 %, malaise 4,9 %, anomalie du bilan biologique 6,4 % (cytopénies, troubles ioniques), syndrome occlusif 2 %, dysphagie 2,4 %, 1,6 % insuffisance rénale, 0,8 % compression médullaire et autant pour des vomissements incoercibles. Autres motifs d’admission, par l’ordre décroissant ont été les suivants : complications des traitements anticancéreux 15,4 %, infection ou fièvre 10,5 %, douleur 9,8 %.

Inévitablement, la problématique du maintien à domicile a été responsable de 4,9 % des admissions, l’anxiété majeure dans 2,5 % et l’évolution terminale dans 1,6 %. L’altération de l’état général est un terme très vaste qui, en pratique, inclut souvent les sous-entendus : l’épuisement des familles et du médecin traitant, le manque des places d’hospitalisation dans les structures oncologiques traitantes… Par contre, les urgences « vraies » représentaient quand même 65 % des patients. [48]

Les patients provenaient dans 91 % des cas du domicile, 75 % ont été régulièrement suivis par leur généraliste avec le passage d’une infirmière, 20 % ont été pris en charge exclusivement par l’oncologue et la famille, et 5 % ont été hospitalisés à domicile. Pour le suivi carcinologique de ces patients, dans 48 % des cas, il était assuré par une structure privée, 34 % par un CHU, 8,1 % par les deux. Le suivi est resté inconnu dans 8,9 % des cas. [48]

46 Une autre information qui paraît importante d’être citée, est la connaissance du diagnostic par ces patients : 96 % étaient informés ; 60 % des patients étant en soins palliatifs en avait pleinement conscience, contre 34 % le « découvrant » à leur admission aux Urgences. Les familles, parfois difficilement gérables dans le contexte de ces services, étaient au courant du pronostic dans 89,8 % des cas… [48]

8. Etude