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CHAPITRE 1 : LA PROBLÉMATIQUE

1.2 Revue de littérature

1.2.4 Les manuels d'histoire entre historiens et didacticiens

Sur le plan de la méthodologie, il y a plusieurs moyens par lesquels il est possible d’étudier les contenus prescrits par rapport à un cours particulier. C’est du moins vers une pareille observation que nous conduit l’article de Warren (2013). Rappelons que l’auteur a choisi d’étudier les cours d’HEC dans l’optique des examens ministériels. Comment donc étudier l’évolution des connaissances disciplinaires dans l’enseignement de l’histoire au Québec entre 2006 et 2017? Il est très stimulant de remarquer qu’Olivier Lemieux s’est attaqué similairement au problème que nous soulevons en analysant spécialement le matériel didactique approuvé par le ministère. Spécialiste de l’évolution des programmes de l’École québécoise et des cours d’histoire, Olivier Lemieux a cherché à lier les références faites aux historiens du Canada français aux manuels associés aux différents programmes (Lemieux, 2014). Attardons-nous sur son analyse pour ouvrir le dernier aspect de notre problématique : le rôle des manuels d’histoire dans la réforme de 2006.

Dans ses réflexions, Lemieux commence par mettre l’accent sur les rôles sociétaux de l’école moderne (Lemieux et Côté 2014). À ses dires, l’école moderne des sociétés occidentales a généralement la tâche de faire une certaine construction identitaire en introduisant les nouvelles générations à un patrimoine culturel et à des valeurs nationales notamment à travers

l’enseignement de l’histoire. Lemieux révèle aussi que si les spécialistes de l’éducation et des sciences humaines sociales discutent de part et d’autre de ce sujet, les premiers s’intéressent davantage à la didactique et les seconds au rôle sociétal de l’école. Relier ces deux thèmes est donc important. C’est dans cet ordre d’idée, pour mieux cerner les fondements de cet enseignement, que Lemieux pose la question dans son article à savoir « qui sont les historien(ne)s qui ont laissé davantage leur marque au sein des trois grands programmes d’histoire du Québec du secondaire? ». Lemieux cerne bien l’angle par lequel il veut contribuer : soit celui de la relation qui existe entre les programmes et les manuels d’histoire avec l’historiographie savante. Son objet de recherche, la filiation entre les connaissances disciplinaires et les historiens, est pratiquement le même que celui que nous sommes en train de cibler pour la présente recherche.

La recherche de Lemieux est longitudinale. Ce dernier a un défi de taille en voulant baliser 50 ans d’enseignement d’histoire. Dans la version longue de sa recherche, soit dans son mémoire, Lemieux (2014) touche aux « grands courants idéologiques » multidisciplinaires. En s’étant forgé une grille de lecture vaste, Lemieux pose les questions à savoir si ses sources, manuels et programmes, sont « béhavoristes », « constructivistes », « socioconstructivistes », « libérales ou conservatrices », « multiculturalistes ou nationalistes ». Mais surtout, à côté de cet examen, Lemieux codifie parallèlement les manuels selon leurs références aux historiens et à leurs approches qu’ils regroupent dans des « courants historiques ». C’est ainsi qu’il touche à toutes ces questions que nous développons ici, au chapitre de la problématique : les connaissances disciplinaires du cours d’histoire ont-elles un lien avec les connaissances produites des historiens de formation? A-t-on complètement évacué le travail de ces derniers? Où se situe-t-on en 2006 par rapport à la contribution des historiens? Lemieux regroupe les historiens dans des ensembles générationnels que voici :

Figure 1. Les courants historiques selon Lemieux (2014)

Afin d’étudier ces générations d’historiens et leur influence sur les connaissances disciplinaires, Lemieux (2014) procède à deux examens quantitatifs. Il utilise premièrement le contenu des programmes et des manuels pour vérifier le nombre de références qui est fait à chacun de ces six courants historiographiques. Il vérifie la bibliographie des programmes et fait une lecture ciblant les sujets suivants dans les manuels :

1) les premiers contacts 2) la fondation de Québec 3) la fondation de Ville-Marie 4) la paix de Montréal 5) la déportation des Acadiens 6) la Proclamation royale 7) l’Acte de Québec 8) l’arrivée des loyalistes 9) l’Acte constitutionnel de 1791 10) les 92 résolutions

11) l’Acte d’Union

12) l’Acte de l’Amérique du Nord britannique 13) les grandes migrations

14) la Crise de la conscription 15) la Grande Dépression 17) la grève d’Asbestos

18) la nationalisation de l’électricité 19) la crise d’octobre ;

20) la première élection du Parti québécois grève d’Asbestos

Peut-être que cette lecture est pertinente pour une analyse des courants idéologiques politiques, mais il semble qu’ici, Lemieux se soit surtout fié à des événements de nature politique pour faire son examen. Pourtant en lisant Warren (2013), on comprend désormais qu’il est sans doute réducteur de concevoir l’histoire du Canada et du Québec sans toucher à l’histoire sociale. Quoiqu’il en soit, avec les bibliographies et une lecture pareillement ciblée, Lemieux présente les résultats suivants :

Revenons à ses constats en les comparant parallèlement au deuxième examen quantitatif que Lemieux opère : celui du pourcentage des sections allouées aux grandes époques dans les manuels. Lemieux définit ses périodes comme celles de la Pré-colonisation (L’avant-1608), de la Nouvelle de France (1608-1760), du Régime anglais (1760-1867), du Canada français (1867-1959) et de la Révolution tranquille jusqu’à nos jours (1959-2012). Lemieux mentionne un détail important. Les manuels comportent des sections « Autre » faisant référence à d’autres thèmes que ceux de l’histoire du Québec et du Canada :

Avec ces résultats, Lemieux (et Côté en 2014) argumente par la suite que 1) c’est la première fois, avec la réforme de 2006, que le programme d’histoire du Québec de deuxième cycle du secondaire ne fasse référence à aucun historien québécois et que la majorité des titres qui s’y trouvent proviennent plutôt de spécialistes de sciences de l’éducation, 2) qu’est là sûrement la principale raison du débat qui a fait rage avec l’adoption de ce programme en 2006-2007, 3) que le programme de 2006 favorise de plus en plus l’introduction d’une histoire internationale et de moins en moins d’espace à l’histoire du Québec.

Vers quoi nous poussent les réflexions de Lemieux? Tout d’abord, en parcourant sa recherche nous constatons une opportunité. La refonte du programme ouvre une dernière période caractérisant les manuels par rapport à la chronologie proposée par Lemieux. Nous cherchons à contribuer à la conversation qu’il a entamée en se penchant sur les ruptures et les continuités marquant la transition entre le cours de 2006 au cours de 2017. Du nouveau matériel pédagogique peut être mise à l’étude. Or, si Warren (2013) étudie les changements dans les cours d’histoire à l’aide des examens, on comprend pourquoi Lemieux utilise les manuels pour s’intéresser aux connaissances disciplinaires. Warren argumentait que les examens offraient un prétexte idéal pour évaluer la manière par laquelle le programme était réalisé et comment très directement il prenait forme en contexte d’évaluation. Le manuel scolaire lui est une voie d’interprétation du programme. Si le manuel scolaire est privilégié par Lemieux pour s’intéresser à la nature de l’enseignement de l’histoire au Québec, c’est que le programme établit un squelette, une progression des apprentissages, auquel le manuel donne vie sous la plume des maisons d’édition. Évidemment, l’utilisation du manuel et la place qu’il occupe dans l’enseignement posent un débat en soi. Yves Yanick Minla Etoua (2014) nous permet de le confirmer en s’intéressant lui-même au statut des savoirs historiques dans certains manuels scolaires utilisés à l’école primaire camerounaise. Le chercheur cite notamment Lebrun et Niclot (2009) pour définir la fonction des manuels scolaires comme celle d’occuper « une position d’interface au sein du système éducatif, notion qui implique à la fois un contact et des échanges croisés avec leur environnement ». Ainsi les manuels feraient « la jonction du curriculum formel et du curriculum réel » et soutiendraient « la jonction entre le savoir savant et le savoir scolaire » (Minla Etoua, 2014). Le manuel donne vie au curriculum défini par le ministère. Évaluer son degré de filiation comme le fait Lemieux aux discours des historiens semble être un choix judicieux, car le manuel est sans doute l’outil prescrit par le ministère le plus prêt de la salle de classe. Mais on reste sur notre faim avec l’utilisation que Lemieux fait des

manuels. Lemieux renforce le constat de Prud’homme au sujet de l’éloignement de la contribution des historiens par rapport à la réforme de 2006, mais ne va pas plus loin. Son examen quantitatif ne lui permet pas de risquer d’analyser les générations d’historiens qu’il liste. Il se limite à compter des références sans qualifier les changements observés. Cet éloignement qu’il note dans les manuels par rapport aux historiens signifie-t-il que les connaissances historiques stagnent et n’évoluent que peu depuis l’élaboration d’un programme axé sur les compétences?

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