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DEUXIÈME PARTIE

PROGRAMMES ELECTORAUX

1. Une configuration inter-partisane

1.2. Les manifestes

Les premiers manifestes des partis européens sont produits dans le cadre des premières élections européennes au suffrage universel qui ont eu lieu en 1979. Mais le processus d’élaboration des manifestes électoraux a mis en évidence les divergences, parfois très importantes, entre les composantes nationales des fédérations partisanes européennes. Ainsi, de manière paradoxale, la production de manifestes a opéré plutôt comme freinage qu’accélérateur, à une coopération plus poussée entre les partis nationaux au sein des partis européens. De plus, jusqu’aux années 1990 la production des manifestes au niveau européen ressemble davantage à une activité de formalité, dans le sens où les élections sont menées par des partis nationaux, avec des candidats nationaux, portant sur des enjeux essentiellement nationaux. En d’autres termes, le rôle des partis européens du point de vue du fonctionnement de l’Union européenne reste mineur (De Waele, Coman, 2004).

Une période de « renaissance » des fédérations européennes débute à partir de la fin des années 1990. En effet, l’article 191 du Traité de Maastricht institutionnalise les partis politiques européens, leur permettant un mode d’organisation plus poussé et une acquisition progressive de leur légitimité institutionnelle. Ceci se traduit en 2003 par l’adoption d’un Règlement sur le statut et le financement des partis politiques européens. Le règlement définit les partis

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européens et établit une liste minimale de conditions que les formations européennes doivent remplir afin de bénéficier d’un financement sur le budget communautaire.

Malgré ces développements concernant la légitimité institutionnelle et le financement des partis européens, la majorité des recherches portant sur les partis politiques insistent sur le fait que les partis européens ne parviennent pas à remplir de manière suffisante le rôle qui leur est conféré par le Traité sur l'Union européenne. En d’autres termes, leur contribution au développement d'une conscience européenne et à la formation d'une volonté commune reste modeste (Magnette, 2003). Ces travaux soulignent que le développement organisationnel des partis s’avère insuffisant pour les placer au centre de la décision européenne, dominée par les institutions de l'Union et par ses Etats membres, processus dans lequel s'insère aussi une multitude de groupes d'intérêt, d'associations, de partenaires sociaux, d'organisations non gouvernementales et d’autres composantes de la « société civile organisée » (Delwit, Kulahci, Van De Walle, 2001).

Pour P. Magnette (2003), il y a en effet trois facteurs principaux qui agissent de manière défavorable au développement des partis européens. En premier lieu, l’auteur souligne l'hétérogénéité des conceptions et des intérêts de leurs membres. En deuxième lieu, il soutient que l’absence de personnification de l'offre politique pendant les élections européennes éloigne les électeurs. Le troisième facteur considéré est celui de la segmentation des compétences de l'Union européenne. Dans le même ordre d’idée, Pascal Delwit rejette l’idée de l’attribution du label de « partis politiques » aux partis européens, car pour lui ils ne remplissent pas les mêmes fonctions que celles que leurs homologues assument au niveau national. En l’absence d'un gouvernement pour l’UE, les partis européens ne peuvent pas remplir la fonction de coordination et de contrôle des organes gouvernementaux. En effet, la sélection des élites au niveau européen demeure essentiellement une compétence des partis nationaux, d'où le rôle mineur des partis européens dans le recrutement du personnel dirigeant pour les postes de gouvernance. Par ailleurs, selon Delwit, les partis européens ne remplissent pas non plus la fonction d'intégration sociétale des individus puisque les liens entre les électeurs et les partis européens sont faibles. Enfin, dans l'Union européenne l'agrégation et la satisfaction des demandes sociales se réalisent plutôt à travers une multitude d'acteurs qui se constituent au

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niveau national ou européen et s'établissent à Bruxelles pour défendre des intérêts aussi privés que publics (Delwit, 1998).

Au sein de notre recherche, le fait de considérer ces groupements politiques comme de « véritables »35 partis politiques ou non n’a pas d’importance analytique. Nous les appréhendons plutôt comme des « partis du politique européen » que comme des partis politiques européens. En d’autres termes, ce qui nous intéresse au travers de l’étude de ces groupements inter-partisans au niveau européen est le fait qu’ils se présentent comme des entités du politique européen. Ils mettent ainsi en scène des représentations de l’UE par la production de discours interprétatifs de la réalité et constitutifs de ce que nous appelons des « mythes européens ».

Le rôle des partis européens dans le fonctionnement et l’organisation de l’UE est certes un enjeu important et il mérite en tant que tel d’être analysé. Dans cette recherche, par ailleurs, dans un moment postérieur, nous tenterons une articulation de la place que les partis occupent au sein des procédures décisionnelles de l’UE avec les mythes que ces mêmes partis produisent. Mais ce qui est essentiel pour la réalisation de notre analyse est de considérer que les groupements européens se présentent comme des espaces du politique, impliquant la participation des groupes d’acteurs divers et des types d’activités multiples, contribuant à la construction des représentations de l’UE, des visions sur la réalité du social européen. Et ceci, en partie, par le fait de produire des programmes électoraux.

1.2.1. L’élaboration des programmes européens

Au cours des dernières élections européennes, notamment à partir de celles de 1994, les grands groupements idéologico-politiques européens ont chacun tenté de mettre au point des programmes électoraux plus élaborés. Jusqu’aux élections de 2004 ceci renvoyait à

35 Au sens où ils ne remplissent pas les critères du concept de « parti » tel qu’il est défini par les politistes. A savoir, comme une forme et une structure politique essentielle pour fonctionnement de la démocratie (Raynaud et Rials, 2003).

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l’adoption au congrès des partis d’un document rédigé principalement par un nombre restreint de haut responsables des partis. Autrement dit, la participation des partis membres dans la production de ce type de texte politique se limitait à sa validation.

Or, au lendemain des élections de 2004, et face à la montée croissante de l’abstentionnisme36, plusieurs partis expriment la volonté de rompre avec ce type de pratiques tout en se fixant comme objectif pour les élections de 2009 de donner accès à l’élaboration des programmes à un plus grand nombre de cadres et de militants des partis membres. Plus encore, il s’agissait de donner une possibilité de participation à des instances extérieures aux structures des partis telles que les organisations de la « société civile européenne ».

« Le PSE considère que l’abstention n’est pas un problème des citoyens mais un problème des partis et leur fonctionnement. C’est aux partis de donner la possibilité aux citoyens de s’intéresser à l’UE en leur offrant l’occasion de s’exprimer non pas par le vote mais en donnant leur avis sur les projets envisagés avant les élections. » [Cadre PS, délégué au PSE]

Les procédures de la production des manifestes européens pour les élections de 2009 permettent de confirmer que les partis ont plus (PSE) ou moins (PPE, PGE) réalisé une écriture à de nombreuses mains, dépassant même les frontières de sous-structures partisanes, avec des échanges et des consultations des réseaux d’ONGs, d’organisations syndicales et d’associations civiques. La phase de production inter-partisane s’est étalée ainsi pendant plusieurs mois37 et elle a été finalisée de manière traditionnelle : par l’adoption du manifeste au sein du congrès de chaque parti, quelques mois avant les élections.

Plus précisément, cette phase inter-partisane s’est réalisée en deux temps. Dans un premier temps, l’objectif était l’élaboration d’une première version du manifeste. Dans le cas des partis PPE et GE, ce premier texte pylône a été rédigé par le secrétariat politique du parti. Il réfère aux principes fondamentaux des partis tels qu’ils sont présentés par des textes officiels, aux

36 Le taux d’abstention en moyenne européenne aux élections du PE a passé de 37% en 1979 à 54,3% en 2004.

37 Nos interviewés ainsi que les textes officiels revendiquent une durée entre dix et quatorze mois selon le parti.

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positions déjà validées par les instances du parti et aux propositions nouvelles qui ont découlé des working groups des partis.

Dans le cas du PSE, le champ de production du texte pylône a été élargi au-delà même des frontières du parti. Le PSE a invité ses composants nationaux et régionaux ainsi qu’un nombre d’organisations externes qui partagent « le même cadre de principes » à participer de manière directe dans l’élaboration des manifestes en y apportant des propositions politiques. Autrement dit, la première version du manifeste de PSE renvoie à un texte brossant de grandes lignes, issues des propositions et des projets politiques apportés à la fois par des partis-membres nationaux et des représentants d’organisations externes aux partis (bien que proches). Ce premier texte a fait l’objet de discussions entre les composantes des partis européens ayant comme objectif la définition des axes généraux acceptés par l’ensemble des délégations nationales et qui sont donc susceptibles de structurer le manifeste final.

Dans un deuxième temps, ces textes-pylônes ont été définis comme la base commune en vue d’un débat plus approfondi sur le contenu. La première version du manifeste (draft) a été distribuée à toutes les délégations nationales afin que chaque parti national puisse l’étudier, l’évaluer, proposer des modifications, y apporter des précisions etc. Dans cette logique, en parallèle des réunions « concrètes » entre les délégués de chaque parti, ont eu lieu également des échanges « virtuels », par Internet. Le PSE est allé même jusqu’au point de mettre en place un site Internet ad hoc (forum numérique) afin de rendre l’échange possible « en permanence et à distance » selon les paroles de la responsable de la coordination des partis nationaux du PSE.

« Vous voyez, ce n’est pas compliqué, il suffit d’être enregistré. Après, vous repérez le thème sur lequel vous souhaitez vous exprimer, vous cliquez … et voilà, ici vous pouvez rédiger vos commentaires, lire d’autres commentaires etc. C’est une participation à distance en fait et en plus permanente » [Cadre PSE, Responsable de coordination des partis membres]

Ainsi pour la première fois les partis européens ont tenté d’élaborer leurs programmes électoraux à partir des contributions de ses militants ou groupes de militants. Cette tentative sera analysée plus loin au sein de ce travail tout en l’articulant avec le contenu même des

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programmes européens ainsi qu’avec les procédures de la production des programmes domestiques. En effet, cette face inter-partisane a été suivie par une phase intra-partisane. Celle-ci renvoie à la production des programmes domestiques par les partis membres des partis européens.