• Aucun résultat trouvé

DEUXIÈME PARTIE

PROGRAMMES ELECTORAUX

2. La configuration intra-partisane

2.2. Le département d’organisation

Le « départementd’organisation » est beaucoup plus volumineux en nombre de personnes qui y contribuent et il est d’ailleurs composé d’un nombre considérable d’équipes, chacune ayant des tâches différentes. Cela s’explique par l’impératif d’un contact avec l’ensemble de la population, chaque équipe étant responsable ou s’adressant à des groupes particuliers de la population.

« (…) toute campagne électorale comprend deux parties. La première est celle de la communication, donc, le domaine communicationnel ; et la deuxième c’est le travail d’organisation. Le domaine communicationnel est celui qui détermine la stratégie à suivre dans le cas particulier, qui est ici celui de la campagne des européennes. Le domaine de l’organisation est celui qui permet la mise en œuvre de cette stratégie. Par exemple, l’organisation des réunions, l’organisation des évènements aussi bien au niveau local qu’au niveau régional et national (…) » [Cadre AKEL, département d’organisation]

40 Notons ici que ces trois bureaux du département de communication, sont liés à une compagnie privée de publicité. Cette compagnie fonctionne comme une extension externe d’un parti, mais qui ne dépend pas de lui au niveau administratif. Cette, coopération du département de communication avec une entreprise publicitaire concerne la production des spots télévisuels, des publicités radiophoniques, des affiches, des tracts, et plus précisément la fabrication des slogans, des logos, des images etc. Le plus souvent il s’agit de « suggestions théoriques » de la part du comité de communication, transformées en propositions concrètes, matérialisées, par la compagnie. Le choix final appartient aux partis. Notons également que nos nombreuses tentatives d’interviewer des agents de ces « boites » sont restées sans succès. Ainsi les informations sur l’activité de ces individus émanent principalement des acteurs des comités électoraux qui collaborent avec eux.

147

Il existe, en effet, un département central d’organisation ; puis il existe des sous-départements (fédération), le plus souvent régionaux. Au sein du département d’organisation central, mais aussi au sein des équipes régionales, il existe également une division des tâches. Il s’agit d’une division basée sur une logique de découpage de la population électorale en différentes catégories d’individus, selon l’âge, le sexe, le statut professionnel, etc. Autrement dit, le département et les sous-départements d’organisation sont composés de plusieurs équipes. Chacune s’occupe du contact avec des groupes différents et ciblésde la population électorale. Ces équipes sont composées notamment par des cadres, des membres, des militants du parti et d’autres volontaires.

Ces différentes équipes, bien qu’elles soient rattachées au département d’organisation, sont par ailleurs en contact avec le département de communication. Il s’agit d’une coopération dans le cadre du processus d’élaboration du programme politique du parti. En effet, chacune de ces équipes participe activement à l’élaboration des chapitres-thématiques du programme électoral, correspondant à son propre domaine d’activité. Par exemple, l’organisation partisane qui est focalisée sur les enjeux qui concernent en particulier les femmes est chargée de faire des propositions concernant le contenu du chapitre qui concerne en particulier la catégorie « femmes ».

« C’est un rôle actif… de participation à travers le discours, du début et jusqu’à la fin de l’élaboration de ce programme. Et en raison de ma position au sein du Bureau politique de AKEL, mais, également en raison de ma position comme secrétaire général du mouvement féminin de POGO. Je n’ai pas encore vu la forme finale du programme, mais les sections du programme qui concernent les femmes, les positions programmatiques à l’égard des conditions sociales et familiales de la vie des femmes, sont faites essentiellement par nous. » [Secrétaire Générale POGO, Cadre AKEL]

« On a donné nos positions… notamment en ce qui concerne la lutte contre les discriminations envers les femmes, et en particulier l’articulation entre sphère publique et sphère privée, ou les familles monoparentales. Alors, on a proposé la mise en place de structures qui permettent aux femmes de sortir des stéréotypes, euh… de sortir de cette dépendance à l’égard de ses enfants, de ses vieux, etc. (…) Nous, ce que nous avons fait… Au niveau de la préparation du programme, nous avons donné certaines de

148

nos positions qui y ont été introduites dans le programme. » [Présidente GODISI, Cadre DISI]

Ces propositions sont examinées, puis reformulées et formalisées par le département de communication. Elles sont enfin renvoyées à l’équipe de rédaction et au Bureau politique des partis pour la confirmation finale.

Nous pouvons alors comprendre que le département central d’organisation est constitué d’une équipe d’individus qui sont à la fois en contact avec le secrétariat général du comité électoral, le département de communication, mais aussi avec les équipes régionales d’organisation. L’association de ce département avec le secrétariat général du comité et le département de communication consiste à mettre en cohérence, d’un côté, les décisions prises par ces instances décisionnelles du comité et, de l’autre, les actions du département d’organisation. Le rapport du département d’organisation aux équipes régionales est plus hiérarchique : il consiste à distribuer à chacune d’entre elles, des activités précises à mettre en œuvre au niveau local.

« (…) les équipes de communication produisent ce qu’elles produisent… et les équipes d’organisation sont censées transférer cela aux gens. Et ça, c’est une des tâches les plus compliquées au cours de la campagne. C'est-à-dire, il y a des bonnes idées, des bons slogans, des bons programmes, mais ça ne suffit absolument pas. Il faut qu’on puisse transmettre le bon message au bon électeur. Sinon, toutes bonnes choses peuvent devenir de mauvaises choses, de très mauvais messages » [Membre PS, Comité d’Organisation]

Comme nous l’explique ce membre du département d’organisation de PS, la diffusion des thèses programmatiques est l’une des tâches les plus essentielles au sein d’un comité électoral. Cette instance « exécutive », est chargée, notamment, de l’organisation des réunions dans les grandes villes mais aussi dans les villages, de la distribution des tracts41, de la diffusion des messages. Et comme nous avons souligné, toutes ces actions s’inscrivent dans une continuité avec les stratégies précises de la campagne. Par exemple, si le département de communication

41 Nous avons eu en effet l’occasion de suivre un élu local du parti socialiste (et cadre du Mouvement Jeunes Socialistes [MJS]) pendant la campagne de porte à porte réalisée auprès des foyers de sa commune et des passants. L’élu en question possédait en effet deux tracts différents ; l’un étant destiné aux jeunes en particulier.

149

estime, à partir de ses recherches, qu’il faut insister davantage sur les jeunes électeurs, le département d’organisation organise des événements destinés à attirer un public jeune. Les candidats ou les représentants du parti peuvent ainsi se retrouver face au public cible et adresser un discours porté sur des enjeux qui concernent particulièrement le public présent.

En ce qui concerne plus précisément l’« implication » des discours européens dans la production des discours domestiques, les acteurs-participants des tous les partis (à l’exception d’AKEL)42 soulignent le fait que les manifestes des partis européens dont ils sont membres a fortement influencé l’élaboration des discours domestiques. Ils estiment par ailleurs que le programme de leur parti est semblable à celui du parti européen correspondant.

« On s’est appuyé sur le manifeste du PPE pour élaborer notre programme. On l’a soumis à nos organes pour l’examiner et notre programme a été rédigé selon les procédures normales de rédaction des projets électoraux. Au final, les deux textes se ressemblent…certes le notre est plus court, parce que nous avons synthétisé certains éléments, mais sur le fond il n’y a pratiquement pas des différences » [Cadre DISI, bureau de l’Union Européenne]

De manière plus radicale, pour les membres des partis PS et EDEK, c’est-à-dire les deux partis-membres du PSE, les textes électoraux produits par leurs partis ne constituent pas de « vrais » programmes électoraux. Ces textes ont été élaborés pour apporter des ajustements et des précisions sur les projets déjà proposés par le manifeste électoral du PSE.

« Non, ceci n’est pas en programme électoral…c’est un texte électoral certes mais pas un programme. Notre programme pour les élections est le même que les trente-deux autres partis-membres du PSE, c'est-à-dire le manifeste « les citoyens d’abord ». C’est notre engagement commun. » [Conseiller politique PS, candidat aux élections du PE de 2009]

Les discours des membres de ces deux partis nationaux mettent en évidence une volonté de la part des partis membres du PSE à faire campagne pour un même programme électoral, un programme électoral commun. En observant les textes électoraux des partis EDEK et PS,

150

effectivement, dans l’intitulé ne figure pas le label « programme électoral » ou « plateforme électorale ». Pourtant la problématique de notre démarche se trouve renforcée. Pour quelles raisons ces deux partis malgré leur engagement de faire campagne en s’appuyant sur un programme commun élaborent-ils au final leurs propres textes électoraux ? Dans quelle mesure ces discours supplémentaires opèrent-ils des modifications des mythes construits par le discours programmatique du PSE ?

Cette observation in situ des partis permet de mettre en avant l’idée que les espaces de la production des manifestes et des programmes domestiques sont en lien. Un lien qu’il s’agit d’interroger et qui peut être observable et analysable par l’étude du contenu même de ces programmes et leurs articulations. Si les programmes électoraux peuvent être appréhendés comme la scène du politique où se donnent à voir les normes et les valeurs présentes dans une société à une période donnée, les départements de communication des partis, alors, peuvent être considérés comme des coulisses du politique. Mais, l’organisation de la production des discours ne prend véritablement sens que si elle est ramenée au discours qui est produit lui-même. Ainsi, dans les chapitres suivants, nous nous focaliserons sur l’analyse des discours programmatiques produits dans le cadre de la campagne des élections du Parlement Européen. Dans un deuxième temps, nous tenterons d’articuler (et d’approfondir) les constats issus de la description analytique du processus de production du sens et des modalités de sens que les discours programmatiques produisent.

C

HAPITRE

II L

ES PROXIMITES INTERTEXTUELLES

:

D

UN TYPE

DE DISCOURS CLINIQUE A LA RHETORIQUE DU CONSENSUS ET AU