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Les maisons du Fayoum : modes architecturales ?

Dès la première moitié du iiie siècle av. J.-C., l’oasis du Fayoum fut le théâtre d’un important mouvement de remaniement des villes et des villages. Les bourgades agricoles pharaoniques locales furent ainsi équipées par l’administration lagide de bâtiments institutionnels (gymnases) ou cultuels propres au monde grec. Ce mouvement s’accompagna de l’implantation dans la région d’une population hellénophone. Dans un article récent Grégory Marouard est revenu sur l’apport des deux dernières décennies de fouilles dans cette région montrant que l’habitat de ces villes nouvelles ne correspondait pas à celui en usage dans le monde grec mais s’apparentait à celui que l’on connaît dans le Delta à la Basse Époque26 notamment par le recours aux fondations à caissons27 et une tendance à une « verticalisation ».

L’emploi de caissons de fondation soulève une question passionnante. À travers eux, nous pourrions en effet tenir un trait d’architecture régionale indiquant qu’une partie significative des populations hellénophones venues s’implanter dans le Fayoum avait séjourné dans le Delta suffisamment longtemps pour s’imprégner des techniques de construction locales. Il pourrait alors s’agir de familles grecques installées d’abord dans cette partie du pays qui auraient ensuite été incitées à venir s’établir plus au sud. Il se peut cependant que la technique du caisson de fondation ait été progressivement adoptée dans toute l’Égypte au Ier millénaire av. J.-C. et ne constituerait donc pas un marqueur géographique pertinent. De la même façon, la multiplication à l’époque ptolémaïque, de maisons de ville à étages (jusqu’à trois) appelle une explication d’autant que ces habitats se caractérisent aussi par une autre innovation, la présence de caves voûtées. Ces structures furent en effet employées pour élaborer les plafonds des sous-sols de manière à soutenir l’escalier maçonné en briques de terre crue qui permettait d’atteindre l’étage supérieur. Malgré un emploi plus fréquent du bois dans les huisseries, les maisons des époques ptolémaïque et romaine demeurèrent des constructions de terre.

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« La maison est au cœur de la vie ordinaire, pour tous. On y voit se rencontrer, parfois se contredire, technique, économie, culture collective, choix personnel, contraintes, accommodements. Pour la consommation et la production, elle pose toutes les questions sur les instances qui organisent le réel, sur les acteurs qui le produisent, de l’architecte au maçon, sur les habitudes des habitants que les modes d’appropriation de l’espace distinguent. »28 La maison des Égyptiens « ordinaires » n’échappe pas à la réalité décrite par Daniel Roche dans son Histoire des choses banales. Son étude permet de se saisir de nombreux éléments de la vie familiale mais aussi intimes de populations que l’on peine à atteindre par les textes. L’étude de l’habitat en brique crue constitue donc un élément essentiel pour qui veut comprendre le fonctionnement des communautés locales. Rassemblées et organisées, ces données permettent d’affiner notre analyse des catégories les plus basses des différentes populations nilotiques.

L’étude des maisons « banales » autorise de surcroît à penser le rapport que les Égyptiens nourrissaient avec le milieu nilotique en faisant abstraction des périodisations politiques. L’histoire de la brique crue égyptienne court en effet jusqu’à la seconde partie du XXe siècle de notre ère, jusqu’à ce que la diffusion du « Assiut Portland Ciment » à tout le pays mette fin au règne de près de six millénaires de la brique d’adobe dans la vallée du Nil29. La maison de béton de l’Égypte contemporaine a ceci de commun

26 Marouard, 2012. 27 Spencer, 1999. 28 Roche, 1997 : 95. 29 Voir à ce sujet les importantes analyses économiques, techniques et esthétiques développées dans Fathy, 1989.

Introduction

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THÈME VIII

avec les édifices de pierres antiques ou médiévaux d’être réalisés avec des matériaux extérieurs au milieu nilotique. En cela l’usage du gypse et du machefer présents dans le ciment d’Assiout prolonge l’emploi du granit rose d’Assouan ou du calcaire du Tourah. Avec le haut-barrage, la diffusion du moteur à explosion, l’électrification des foyers, l’usage de ces nouveaux matériaux de construction marque un changement d’univers technique et inaugure une nouvelle manière de vivre aux bords du Nil.

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