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Les logiques familiales de gestion du capital

AMBANI 2 ème génération

T. V. Sundaram Iyengar

22. Les logiques familiales de gestion du capital

ENJEU DE LA PARENTE – Les lieux de production constituent avant tout le berceau familial des entrepreneurs, où continue de vivre en joint family (cf. § I-12) l'essentiel de leur famille. A Madras, la plupart d'entre eux vivent en famille nucléaire, mais affirment leur attachement à la notion de famille élargie et aux solidarités qui en découlent. Le chef d'entreprise est également chef de famille. Il porte la responsabilité de la richesse de celle-ci, de son niveau de prestige dans la ville, et de ses possibilités d'expansion à travers la stratégie privilégiée du mariage. A Ambur, les familles des propriétaires des entreprises les plus importantes sont toutes liées par des intermariages (cf. schéma de parenté ci-après). En fait, tous les entrepreneurs du secteur du cuir de cette ville sont apparentés de façon plus ou moins proche, mais une hiérarchie s'établit en fonction du niveau de prospérité des familles. Les critères de sélection des partenaires matrimoniaux sont déterminés, d'une part par les règles sociales du mariage des musulmans en Inde du Sud et, d'autre part, dans le cas de familles d'industriels, par l'enjeu majeur de la transmission et du devenir du capital.

REGLES D'ALLIANCE – Les règles sociales d'alliance, tel que nous l'avons vu plus haut, sont : 1) l'endogamie, c'est-à-dire le mariage à l'intérieur de la communauté Labbai ;

2) l'isogamie – le choix d'un allié de statut social équivalent – prévalante dans le Sud de l'Inde ; cela se traduit ici par un niveau de richesse équivalent ;

3) la possibilité de se marier avec un cousin croisé ou un cousin parallèle. Contrairement aux modèles hindous, le mariage avec l'oncle croisé maternel est considéré comme incestueux. HERITAGE – Les règles d'héritage sont prescrites par la shariah. Les fils comme les filles héritent de leurs parents. Le partage s'effectue selon la règle de deux tiers pour les hommes et un tiers pour les femmes si le père décédé n'a pas laissé de testament. Mais de son vivant, il peut organiser lui même les héritages comme il l'entend. La femme reste propriétaire de ses biens après son mariage (elle les conserve en cas de divorce), mais ceux-ci sont gérés par son mari. Ainsi, ce dernier peut apparaître dans les affaires comme chef d'entreprise alors qu'il n’est en fait que le gérant des biens de son épouse. Pour la famille de l'héritière, le problème consiste à choisir un gendre qui sera capable de faire fructifier la part transmise à son épouse et d'assurer la prospérité de leur descendance.

CHOIX DU GENDRE – A partir de ces règles sociales prévalantes et en fonction des enjeux considérés, trois types de stratégies peuvent être mises en œuvre :

1) s'allier à une autre famille d’industriels Labbai ayant un niveau de richesse équivalent. Le mariage est ainsi l'occasion de développer des affaires par une association de capitaux et de moyens.

2) choisir un cousin parallèle ou croisé afin de conserver le capital au sein de la famille. Cette stratégie est mise en œuvre lorsque la jeune femme hérite d'un capital important que l'on souhaite conserver, ou lorsqu'on ne trouve aucun jeune homme correspondant à la première solution. Ainsi, dans certaines familles, les hommes peuvent être mariés avec des femmes issues d'autres familles de la ville, parfois même hors de la communauté Labbai au nom de préceptes égalitaristes et universalistes musulmans, alors que leurs sœurs seront mariées à leurs cousins germains (cf. schéma de parenté).

3) Si aucune de ces deux solutions n'est envisageable, il est possible de choisir dans une famille non industrielle mais prospère de la ville (commerce du cuir ou des peaux, propriétaires terriens) un gendre répondant aux qualité requises. Souvent, ce dernier a préalablement occupé un poste à responsabilité dans l'entreprise du père de la fille pendant

quelques années. Ayant fait la preuve de sa capacité d'encadrement et de gestion, il se voit proposé de l’épouser.

CHOIX DE LA BRU – Alors que le fonctionnement des entreprises est dirigé des bureaux de Periamet, c'est à partir d'Ambur que s'élaborent les choix stratégiques d'alliances entre leurs propriétaires. Cette dimension relève pour une part essentielle du domaine de décision des femmes. Si le chef d'entreprise a appris l'existence d'une bru potentielle (la fille d'un autre industriel, ou d'un associé), il s'en remettra tout de même à sa femme ou à sa mère pour arrêter le choix définitif. Dans tous les cas, la mère du futur marié a la responsabilité de sélectionner sa bru39. Une fois la décision prise et l'accord de principe de la future belle-famille obtenu, les conditions du mariage vont être négociées par les hommes. Il apparaît donc que les stratégies capitalistes à long terme correspondent à des stratégies familiales d'alliances qui relèvent en partie du pouvoir de décision des femmes de la famille. Mais à court terme, les résultats de l'entreprise constituent une sorte de baromètre social de la famille et déterminent les possibilités stratégiques d'alliances. Si au moment de marier sa fille, un entrepreneur subit des pertes remarquables, il risque de ne pas pouvoir réaliser l'alliance avec la famille qu'il convoitait. L'étroitesse du cercle et la densité des intermariages permet une surveillance collective permanente de chacune des familles et de leur entreprise, à partir de laquelle se déterminent les choix.

CHOIX DES PARTENAIRES – Les stratégies d'alliances structurent les relations de coopération et de compétition entre les entreprises. La relation de parenté suppose une solidarité étroite passant par divers échanges de services (le prêt gratuit de machines, de produits tannants, de bus de ramassages pour les ouvriers...) Cette solidarité est particulièrement déterminante dans le choix des fournisseurs et des sous-traitants. Lorsque l'usine de chaussure ne s'approvisionne pas dans la tannerie de son propre groupe, elle achète son cuir à celle d'un allié proche ou du gendre (c'est-à-dire une tannerie familiale léguée à la fille du chef d'entreprise). Il en va de même avec les activités de sous-traitance de l'assemblage (collage et couture des pièces) qui seront prioritairement attribuées aux unités des apparentés. Souvent, ces derniers (neveux, gendres) ont été salariés plusieurs années dans l'entreprise familiale avant de démarrer leur propre affaire, éventuellement soutenus par les conseils et le réseau de leur parent-ex-employeur. Ce système offre aux uns le bénéfice de l'apprentissage et l'assurance d'obtenir ensuite des commandes. Il permet aux autres de constituer un réseau fiable de sous-traitants grâce auxquels ils peuvent externaliser une partie plus ou moins importante de leur production. Mais cette solidarité fondatrice comporte des risques non négligeables. Considérant les commandes comme garanties, certains sous-traitants mal préparés à la gestion d'entreprise s'enferment dans l'attentisme et périclitent par défaut d'anticipation des fluctuations, ou faute de gestion des marges étroites que leurs laissent leurs donneurs d'ordres40. La solidarité familiale trouve là ses limites. Certes, elle permet de "mettre le pied à l'étrier" du gendre, du cousin ou du beau-frère. Pour autant, celui-ci entre dans les règles de compétition et de concurrence vis-à-vis desquelles on attend qu'il joue le jeu. Cette attitude dans la conduite des affaires est une autre facette de ce modèle entrepreneurial, fonctionnant sur l'articulation d'individualisme et de solidarité communautaire.

39 Eventuellement accompagnée de ses proches parentes (ses sœurs, ses filles mariées, les épouses de ses fils aînés), elle se rend au domicile des jeunes filles disponibles pour les rencontrer et arrêter son choix. La règle du

purdah interdit à tout homme – y compris le père de la jeune fille – d'assister à cette séquence.

40 Sur 25 roupies que lui coûte un upper le donneur d'ordre, verse 5 roupies au sous-traitant qui assemblera les pièces. Sur ces 5 roupies, le sous-traitant doit rembourser ses investissements, payer sa main d’œuvre et se procurer les matériaux d'assemblage (fils et colle).

Réseau de parenté des principaux chefs d'entreprise du cuir à Ambur

z

Ameen Afroze

Siddique

Abdul Raffeeque Shafeeque

Firdaus Racheed Hussain Farook Altaf Khalleel

Stratégies d'alliance et de transmission du capital

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