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Chapitre 2 État des connaissances

2.2 La gouvernance clinique

2.2.1 Les leviers de gouvernance clinique

Dans cette thèse, nous définissons les leviers de gouvernance clinique comme les moyens qu’utilisent les acteurs en position d’autorité pour produire des changements dans les relations entre les acteurs impliqués dans l’offre de soins et dans les pratiques des ces derniers (inspiré de De Bruijn & Ten Heuvelhof (1997), Denis et al. (2006), Salamon (2002), Schneider & Ingram (1990)). Dans une perspective d’amélioration continue de la qualité et la sécurité des soins, l’utilisation de ces moyens visent d’une part, à faciliter

l’implantation d’un contexte organisationnel potentialisant les pratiques professionnelles et d’autre part, à agir directement sur les pratiques professionnelles pour assurer une meilleure qualité des soins. Les leviers de gouvernance clinique peuvent donc limiter ou faciliter les activités des professionnels dans l’atteinte de la performance et de la qualité. Cette section vise à décrire les différents types de leviers rencontrés dans les écrits scientifiques, à présenter certaines dimensions de leur classification, à offrir des exemples de représentations des leviers dans le système de santé et à considérer les limites qui leur sont associées.

De nombreux écrits scientifiques sur le changement et la gouvernance des organisations publiques préconisent l’utilisation de leviers, d’instruments ou d’outils pour introduire des changements (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997; Denis et al., 2006; Gilbert, Brault, Breton, & Denis, 2007; Salamon, 2002; Schneider & Ingram, 1990). Les instruments et les outils de gouvernance ainsi que les leviers de changements sont des termes différents pour discuter d’une même réalité : les moyens utilisés pour introduire des changements dans les organisations publiques.

Les instruments et les outils de gouvernance ainsi que les leviers de changement peuvent se regrouper en 4 grands types : les leviers légaux, les leviers structurels, les leviers d’échange et de communication et les leviers économiques. Les instruments légaux sont constitués des lois et des prohibitions (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997). La mobilisation de ce type d’instrument agit directement sur les organisations et nécessite une autorité formelle et un pouvoir hiérarchique (Gilbert et al., 2007). Les leviers structurels visent la modification délibérée des frontières formelles des organisations (Denis et al., 2006). Les changements structurels créent de nouveaux espaces d’échange et de collaboration entre les acteurs et incite à l’utilisation des autres types de leviers (Denis et al., 2006). Les leviers structurels et légaux donnent un signal clair et puissant aux acteurs pour favoriser un changement (Denis et al., 2006) et visent à transformer de façon radicale (Greenwood & Hinings, 1996) l’organisation en modifiant de façon fondamentale la trajectoire et les buts poursuivis par l’établissement de nouvelles frontières organisationnelles. Les nouvelles

formes organisationnelles telles que les réseaux de services intégrés ou les groupes de médecine familiale sont des exemples de représentations concrètes des leviers structurels tandis que l’ensemble des lois modifiant la dispensation des soins de santé telles que les politiques de santé et les fusions d’établissements sont des exemples de leviers légaux.

Les leviers d’échange et de communication favorisent le transfert d’informations (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997) et visent à provoquer le changement par la délibération et les conversations entre les acteurs (Denis et al., 2006). Selon ces auteurs, ce type de levier agit de façon non-intrusive sur le comportement des acteurs et permet aux groupes aux intérêts divergents de se prononcer et de participer aux transformations de l’organisation. Ces leviers poursuivent principalement des fonctions de persuasion et d’influence. Les échanges de points de vue, les discussions et les dialogues favorisent le partage des représentations que possèdent les acteurs. Ces leviers peuvent permettre l’appropriation d’une problématique par les acteurs et sa traduction en actions concrètes dans sa résolution. Ils s’intéressent davantage aux questions d’apprentissage que peuvent retirer les acteurs de l’utilisation des leviers d’échange et de communication. Leur utilisation provoquent des changements de nature convergente (Greenwood & Hinings, 1996) avec les buts de l’organisation. La planification des orientations stratégiques, le développement de protocoles de soins, les tables de concertation, la participation à des projets spéciaux, les communautés de pratiques, l’intégration des équipes professionnelles aux développements de nouveaux programmes de soins comptent parmi les leviers d’échange et de communication.

Les leviers économiques réfèrent aux incitations financières accordés à l’implantation de projets spéciaux ou aux transformations dans les modes de rémunération (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997). L’injection d’argent conditionnelle à l’atteinte de résultats cliniques spécifiques peut avoir un potentiel de transformation important. L’exemple du «pay-for-performance» au Royaume-Uni illustre ce fait. Dans ce pays, une rémunération supplémentaire de certains actes médicaux est liée à l’atteinte de critères de qualité dans les soins de santé (Roland, 2004). Les leviers économiques comprennent

l’ensemble des incitations financières qui visent à modifier les modalités de financement entre les différents paliers gouvernementaux, à créer de nouveaux projets et à attirer les acteurs à y participer et à exiger des résultats en termes de qualité des soins en regard d’interventions de soins spécifiques.

Salamon (2002) soulève des enjeux dans la classification des outils de gouvernance. Selon cet auteur, une multitude de dimensions pourraient être comparées et contrastées entre les outils. Ils n’apparaissent que rarement dans leur forme pure, ce qui rend difficile leur classification. Malgré ce fait, Salamon (2002) propose 4 dimensions pour comparer les outils de gouvernance entre eux: le degré de coercition, la dimension directe des outils, le degré d’automaticité et la transparence. Chacune de ces dimensions est associée à différents degrés allant de faible à élevé.

En s’appuyant sur les travaux de Salamon (2002) un outil à caractère coercitif vise à contraindre le comportement des individus. Selon cet auteur, un haut degré de coercition rend l’outil hautement efficace, mais ces outils sont plus difficiles à gérer puisqu’ils remettent en question de nombreuses décisions prises par les entités des réseaux. La dimension directe des outils réfère à la capacité d’une organisation ou d’une entité à autoriser, financer ou inaugurer par elle-même une activité publique (Salamon, 2002). L’organisation est autonome dans la production et le financement de ses services. Le degré d’automaticité d’un outil renvoie à son utilisation via une structure administrative existante ou à la création d’une nouvelle structure pour sa mobilisation (Salamon, 2002). Un outil comportant un degré élevé d’automaticité se mobilise dans les frontières existantes des organisations. La dernière dimension concerne la visibilité ou la transparence de l’outil. Salamon (2002) évoque qu’un outil transparent informe les utilisateurs des résultats et des ressources nécessaires à l’atteinte de ces résultats.

Le choix des types de leviers à mobiliser repose sur 4 principaux éléments : 1) le type d’acteurs à cibler dans le changement (Salamon, 2002), 2) les objectifs à atteindre, 3) les caractéristiques spécifiques au contexte qui peuvent faciliter ou contraindre l’activité de

gouvernance (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997) et, 4) le niveau ciblé par le changement (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997). Selon Bruijn et Ten Heuvelhof (1997), les instruments utilisés au niveau opérationnel visent à changer les comportements des acteurs tandis que les instruments utilisés au niveau institutionnel visent à transformer les relations entre les acteurs.

Certaines limites dans la capacité à produire des changements sont associées aux différents types de leviers. Les acteurs ciblés par le changement, l’environnement à transformer et la capacité des individus à mobiliser les leviers agissent sur leurs capacités à produire de réelles transformations. Certains acteurs répondront qu’à un seul type d’instruments puisqu’ils détiennent l’expertise et le savoir nécessaire à la manipulation de ce type d’instrument (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997). De plus, un environnement composé de structures organisationnelles hiérarchiques impose des exigences spécifiques dans la mobilisation des instruments et diffère des structures par réseaux. Selon Salamon (2002), chaque outil ou instrument de gouvernance détient son propre mécanisme de fonctionnement et ses propres règles ce qui exige de la part des gestionnaires et des professionnels qui les utilisent de développer des compétences spécifiques à l’activation et à la mobilisation des différents leviers. Toutefois, le succès des instruments ne doit pas dépendre uniquement de l’atteinte des objectifs fixés au départ (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997) mais aussi des apprentissages faits par les acteurs par leur utilisation.

Dans une perspective de gouvernance clinique, les leviers décris ci-haut doivent tenter de produire une synergie entre les composantes clés nécessaires à l’implantation des principes de qualité des soins et de la sécurité des patients. Certains auteurs affirment que pour produire de véritables changements, les leviers doivent être mobilisés de façon simultanée et agir à de multiples niveaux (Denis et al., 2006). La gouvernance clinique nécessite de poser un regard systémique en matière de qualité des soins et de proposer des changements à plusieurs niveaux (McSherry & Pearce, 2002). La littérature propose de s’attarder aux caractéristiques des contextes de mobilisation des leviers de gouvernance clinique et leur utilisation doit répondre aux exigences de la nouvelle gouvernance. La

nouvelle gouvernance repose sur une gestion publique davantage axée sur les réseaux et sur l’implication des acteurs publics et privés dans l’offre des services (Salamon, 2002). Dans ce contexte, les moyens d’action vers le changement doivent reposer davantage sur leur pouvoir de négociation, de persuasion, de coercition et d’implication (Salamon, 2002) et répondre aux particularités de la gestion des réseaux publics : la pluriformité (qui implique un nombre élevé d’acteurs), l’autonomie des acteurs, l’interdépendance des acteurs et les variations entre les réseaux (De Bruijn & Ten Heuvelhof, 1997). Dans les organisations de santé, les moyens d’action vers le changement visent à influencer les forces d’inertie associées à l’autonomie individuelle des différents acteurs, au pouvoir diffus et aux objectifs divergents poursuivis par ces acteurs (Denis et al., 2006). La spécificité des leviers de gouvernance clinique réside donc dans leur capacité à agir dans un contexte particulier, celui de soins de santé et à produire une synergie entre les diverses composantes associées à la qualité des soins et à la sécurité des patients dans les milieux de soins.

En résumé, la littérature démontre que l’amélioration continue de la qualité des soins et des services de santé implique un ensemble de transformations organisationnelles et professionnelles. L’implantation de changement semble être facilitée par la mobilisation de leviers qui agissent à la fois sur le contexte organisationnel et sur les pratiques des professionnels. Dans la prochaine section, nous abordons la perspective des professionnels et du rôle des pratiques dans le développement de stratégies pouvant transformer les professions et changer les organisations.