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Chapitre 2. Recension des écrits

2.2. La gestion du delirium

2.2.3. Les interventions non pharmacologiques

Des interventions non pharmacologiques peuvent être mises en place avant et pendant le délirium pour espérer le prévenir, diminuer l’ampleur des manifestations ou limiter les complications associées.

La grande majorité des interventions non pharmacologiques proposées dans les guides de pratique clinique relèvent de la pratique autonome des infirmières (AGS, 2014; Canadian Coalition for Senior’s Mental Health, 2014; Cook & APA, 2004; NICE guidelines, 2014; RNAO, 2010). Ces interventions proviennent de revues systématiques et d’essais cliniques ayant évalué leur effet préventif auprès de personnes âgées en soins de longue durée ou en médecine (Milisen, Lemiengre, Braes & Foreman, 2005; Siddiqi et al., 2009; Clegg et al., 2013; Martinez, Tobar & Hill, 2015).

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Plusieurs de ces interventions sont issues du modèle Hospital Elder Life Program (HELP) qui a fait l’objet d’un des premiers essais cliniques avec groupe contrôle réalisé dans le but d’évaluer l’effet préventif des interventions non pharmacologiques (Inouye et al., 2000). Le modèle HELP a été repris dans plusieurs études auprès de personnes âgées dans différents contextes de soins dont des soins de longue durée, ou des hôpitaux de soins généraux sur des unités de médecine (Caplan & Harper, 2007; Inouye et al., 1999; Rubin et al., 2006 Rubin, Neal, Fenlon, Hassan, & Inouye, 2011; Zaubler et al., 2013) ou de chirurgie abdominale (Chen, Lin, Tien, Yen, Huang & Inouye, 2011). À notre connaissance, le modèle HELP n’a pas été évalué auprès d’une clientèle de chirurgie cardiaque. Il comprend huit protocoles d’interventions qui ciblent des facteurs de risque du délirium présents chez les personnes âgées en soins de longue durée. Ces protocoles ont été élaborés pour être implantés par les infirmières et comprennent par exemple l’orientation, les activités thérapeutiques et la mobilisation précoce (tableau 1). Plusieurs des interventions prévues dans le modèle HELP ont été bonifiées dans différentes études et reprises dans les guides de pratique (Barr et al., 2013; Canadian Coalition for Senior’s Mental Health, 2014; Cook & APA, 2004; Inouye et al., 1999; NICE guidelines, 2014; RNAO, 2010). Celles-ci sont présentées dans le tableau 1.

Malgré les effets préventifs de ces interventions, le délirium ne peut pas toujours être évité chez les clientèles vulnérables. Ainsi, dans certaines études, ces interventions d’abord préventives ont été aussi utilisées lorsque le délirium était débuté pour faciliter sa gestion. Une diminution du déclin cognitif et fonctionnel en plus d’un nombre de chute moins important ont été observés chez des personnes âgées qui ont continué à recevoir ces interventions pendant le délirium (Clegg et al., 2013; Inouye et al., 2000; Martinez, Tobar & Hill, 2015; Milisen et al., 2005; Siddiqi et al., 2011).

22 Tableau 1.

Interventions ayant un effet préventif issues du modèle HELP et des guides de pratique Éléments du modèle HELP (Inouye et al., 1999)

Protocole Exemples d’interventions

Orientation  Expliquer au patient où il se trouve et pourquoi

Activités thérapeutiques  Stimuler le patient sur le plan cognitif trois fois par jour, par exemple en discutant de l’actualité, en jouant à des jeux avec des mots, en utilisant la réminiscence

Sommeil  Favoriser le sommeil en diminuant le bruit sur l’unité de soins ou avec de la musique apaisante

Mobilisation précoce  Mobiliser le patient trois fois par jour Vision  S’assurer du port de lunettes

Ouïe  S’assurer du port d’appareil auditif Déshydration  Encourager l’hydratation

Interventions non pharmacologiques des guides des meilleures pratiques a  Être attentif aux signes précurseurs du délirium (par exemple, manque d’attention)  Utiliser un système de détection systématique à l’aide d’outils de détection

 Connaitre la différence entre le vieillissement normal, le délirium, la démence et la dépression

 Favoriser l’orientation à la réalité :

 Laisser des objets familiers dans la chambre  S’assurer du port de lunettes et d’appareils auditifs  Utiliser la réminiscence

 Éviter les environnements chargés en stimuli dans le cas de délirium hyperactif  Éviter les changements de chambre

 Assurer le maintien de l’équilibre hémodynamique  Éviter les mesures de contention physique

 Diminuer les changements de personnel

 Proposer des activités de soins scindées en petites étapes  Procurer des explications claires et précises sur les soins à faire  Favoriser la présence de la famille

 Procurer un enseignement à la famille sur le délirium  Développer et maintenir une alliance avec la famille  Discuter du délirium et des souvenirs associés

 Personnalisation des interventions selon la personnalité et l’histoire de vie du patient (Bol, Edwards & Heuvelmans, 2003; Brown, 2014; NICE guidelines, 2012)

Note. a Interventions qui s’ajoutent aux interventions du HELP Interventions tirées de Barr et al.,

2013; Cook & APA, 2004; Inouye et al., 1999 ; AGS, 2014; CCSMH, 2014; NICE, 2012; RNAO, 2010

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Devant le potentiel bénéfique de ces interventions pour diminuer les complications associées au délirium, certains auteurs ont évalué leur effet lorsque celles-ci étaient débutées pendant le délirium et non avant. Nous avons repéré quatre études auprès d’une clientèle similaire à celle de chirurgie cardiaque c’est-à-dire atteinte d’une maladie aigue ou chronique, mais en stade non-palliatif. Nous n’avons par retenu les études en soins palliatifs car cette clientèle diffère de celle en postopératoire. Dans les quatre études retenues, les interventions ont été réalisées par différents professionnels de la santé, incluant des infirmières (Lundstrom et al., 2005; Pitkala, Laurila, Standberg & Trilvis, 2006) en collaboration avec des physiothérapeutes et travailleurs sociaux (Pitkala et al., 2006) ou des médecins (Cole et al., 1994; Cole et al., 2002).

Sur le plan des devis, ces quatre essais cliniques randomisées ont été réalisés auprès d’une clientèle de médecine âgée de plus de 70 ans incluant des tailles d’échantillon variant entre 80 (Cole et al., 1994) et 400 (Lundstrom et al., 2005). Les participants présentaient tous un délirium, selon les critères du DSM-IV ou du DSM-IV-TR (APA, 1994, 2000) lors de l’entrée dans l’étude. Le délirium a été détecté avec le CAM dans deux études (Cole et al., 2002 ; Pitkala et al., 2005). Dans l’une des études c’était plutôt les critères du DSM qui étaient utilisés pour diagnostiquer le délirium (Cole et al., 1994). Finalement, le Organic Brain Syndrome (OBS) a été utilisé dans la quatrième étude (Lundstrom et al., 2005). Cette échelle a été développée pour évaluer l’état cognitif des personnes âgées (orientation, confusion, perception) atteinte de délirium et de démence. Celle-ci n’est pas spécifique au délirium et comprend des éléments d’évaluation qui font appel aux critères diagnostiques, mais ne permettent cependant pas de le différencier de la démence (Bjorkman, Larsson, Gustafson & Andersson, 2006).

Sur le plan des interventions, les quatre études diffèrent en termes de professionnels impliqués et d’intensité d’interventions. Dans deux études, une détection systématique du délirium était réalisée par les infirmières et celles-ci bénéficiaient d’une formation sur le délirium chez la personne âgée et sur les interventions à mettre en place pour limiter les complications associées (Lundstrom et al., 2005; Pitkala et al., 2006). À ces deux éléments de détection et de formation, Lundstrom et al. ont ajouté une réorganisation des soins infirmiers pour diminuer les changements de personnel fréquents ainsi qu’un soutien mensuel aux

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infirmières de l’unité par une infirmière experte du délirium. Pitkala et al. ont ajouté aux deux éléments des séances de physiothérapie en guise de protocole de mobilisation ainsi que la planification du congé avec un travailleur social et l’aidant familial. Les deux autres études ont plutôt ciblé les interventions de médecins gériatres ainsi qu’une infirmière experte (Cole et al., 1994 ; Cole et al., 2002). Dans une première étude, une évaluation hebdomadaire des patients en délirium était réalisée par un gériatre et par la suite un suivi quotidien était réalisée (Cole et al., 1994). Dans une deuxième étude, la fréquence des visites de l’infirmière-experte a été augmentée (Cole et al., 2002).

En termes de résultats, les deux études dans lesquelles les infirmières étaient impliquées de façon plus importante ont permis d’observer une diminution de la durée du délirium (Pitkala et al., 2006; Lundstrom et al., 2005), un meilleur rétablissement cognitif (Pitkala et al., 2006) ainsi qu’une diminution de la durée du séjour hospitalier et du taux de mortalité (Lundstrom et al., 2005). Dans les deux autres études, malgré une tendance vers un meilleur état cognitif favorisant les patients ayant reçu l’intervention, les différences entre les deux groupes n’ont pas permis d’observer d’effets statistiquement significatifs (Cole et al., 1994 ; Cole et al., 2002). Il faut noter que dans ces deux dernières études, la proportion importante de patients qui présentait un délirium surajouté à la démence était susceptible de limiter l’effet d’une intervention sur l’état cognitif (Cole et al., 2002).

À partir de ces études, nous remarquons que l’excellence des soins infirmiers semble être un préalable au succès des interventions non pharmacologiques (Lundstrom et al., 2005; Pitkala et al., 2006). Nous concluons aussi que très peu d’études ont été menées dans le but d’évaluer l’effet d’interventions réalisées pendant le délirium sur ses complications. Nous n’avons pas repéré d’études ayant évalué la faisabilité de réaliser des interventions non- pharmacologiques une fois le délirium débuté dans un contexte de chirurgie cardiaque. Dans les études qui ont observé les effets d’interventions, aucune n’a évalué l’effet sur la sévérité du délirium, alors que ce serait une mesure plus précise (Trzepacz, Bourne & Zhang, 2008). De plus, nous n’avons repéré aucune étude réalisée chez la clientèle de chirurgie cardiaque qui est l’une des plus à risque de délirium. Une dernière limite associée aux interventions testées est l’absence de personnalisation de celles-ci alors que plusieurs auteurs et guides de pratique clinique suggèrent que cet aspect pourrait en rehausser l’effet bénéfique (Barr et al., 2013;

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Bol, Edwards & Heuvelmans, 2003; Brown, 2014; AGS, 2014; CCSMH, 2014; NICE, 2012; RNAO, 2010). Une avenue qui a été explorée dans certaines études pour la personnalisation de ces interventions consiste à intégrer la participation d’aidants familiaux avant et pendant le délirium (Black et al., 2011 ; Martinez et al., 2012 ; Rosenbloom et al., 2010). Ces aidants détiennent une expertise de leur proche que les professionnels de la santé en soins aigus n’ont pas toujours l’opportunité de développer.

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