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Chapitre 2. Recension des écrits

2.1. Portrait du délirium postopératoire

2.1.4. L’évaluation du délirium : la détection et le monitoring

Les guides des meilleures pratiques soulèvent la nécessité d’évaluer le délirium de façon systématique (Barr et al., 2013; Canadian Coalition for Senior’s Mental Health, 2014; Cook & APA, 2004; Inouye et al., 1999; NICE guidelines, 2014; RNAO, 2010). Cette évaluation sert à la détection du délirium, soit le repérage des premières manifestations ainsi qu’au monitoring, soit le suivi de celui-ci une fois qu’il est installé.

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La détection du délirium. L’utilisation d’un outil permet d’accélérer la détection du délirium et par ricochet d’augmenter la rapidité de la prise en charge (Inouye et al., 1999; Barr et al., 2013; Canadian Coalition for Senior’s Mental Health, 2014; Cook & APA, 2004; NICE guidelines, 2014; RNAO, 2010).

Les outils actuels se basent essentiellement sur les manifestations observables du délirium. Plusieurs outils sont validés pour des clientèles de soins aigus et longue durée tels le Confusion Assessment Method (CAM), le Delirium Rating Scale (DRS), le Delirium Rating Scale-revised 98 (DRS-98) et le Memorial Delirium Assessment (MDA) (Breitbart et al., 1997; Inouye et al., 1990; Trzepacz, Baker, & Greenhouse, 1988). Ces outils présentent quelques variantes, par exemple, sur le plan des manifestations incluses dans les items, des scores attribués et de la durée de collecte. Ils démontrent des propriétés psychométriques plus ou moins bonnes, soit des sensibilités entre 65 et 91% et des spécificités entre 63 et 100 % (Breitbart et al., 1997; Trzepacz et al., 2001; Wei, Fearing, Sternberg, & Inouye, 2008). Cependant, ces outils ne répondent pas aux particularités de la clientèle de soins critiques, par exemple celle sous ventilation mécanique via un tube endotrachéal. Cette clientèle nécessite donc l’utilisation d’outils spécifiques (Devlin, Fong, Fraser, & Riker, 2007).

En soins critiques, les outils de détection valides les plus fréquents sont présentés dans l’annexe A. Ces outils sont généralement basés sur les critères diagnostiques du Manuel Diagnostique des Troubles Mentaux et peuvent être complétés par différents professionnels dont les infirmières (APA, 2000, 2013; Devlin et al., 2007). De ces outils, les deux plus fréquemment rencontrés sont l’Intensive Care Delirium Screening Checklist (ICDSC) et le Confusion Assessment Method-Intensive Care Unit (CAM-ICU) (Gusmao-Flores, Salluh, Chalhub, & Quarantini, 2012). Ces deux outils présentent une sensibilité et une spécificité qui varient entre 46 et 96 % et entre 73 et 95 % pour l’ICDSC et entre 47 et 73 % et entre 71 et 100 % pour le CAM-ICU (Van Eijk et al., 2011). Les valeurs basses de sensibilité (43 % pour l’ICDSC et 47 % pour le CAM-ICU) ont été observées chez une clientèle de soins intensifs neurologiques chez qui les manifestations observables s’avèrent complexes à différencier de la modification de l’état de conscience secondaire à la médication de sédation ou aux troubles neurologiques (Van Eijk, 2009, 2011). Outre les caractéristiques psychométriques, chaque outil présente ses avantages. En termes d’appréciation par les professionnels, l’ICDSC a été

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identifié par des infirmières comme étant facile d'utilisation, malgré qu’il comprend huit items et est plus long à compléter que le CAM-ICU (Brisebois & Doyon, 2010). Le CAM-ICU et l’ICDSC fournissent un score dichotomique de présence ou d’absence de délirium.

Le monitoring du délirium. (Notons que le terme anglophone « Monitoring » a été préféré à son pendant francophone « Monitorage » à cause de son utilisation courante dans les milieux cliniques et de recherche.)

Généralement, trois objectifs sont visés par le monitoring d'un paramètre, soit 1) effectuer une collecte de données pour comparer cette information à l'état de base et évaluer la réponse aux interventions, 2) détecter les effets secondaires des interventions et 3) guider la décision quant à la modification des interventions (Lapane, Hughes, Daiello, Cameron, & Feinberg, 2011).

Dans le cas du délirium, l’approche la plus fréquemment rencontrée est basée sur l'évaluation clinique réalisée par les intervenants à partir d'outils qui permettent de structurer les observations (Guenther et al., 2012; Page, Navarange, Gama, & McAuley, 2009). Le Delirium Rating Scale-98 (DRS-98) et le Delirium Index (DI) permettent de juger de la sévérité des manifestations chez une clientèle de soins critiques, et donc, en plus de la détection, de faire le monitoring du délirium en attribuant une gravité aux différentes manifestations observées, ce que les outils avec un score dichotomique, par exemple l’ICDSC et le CTD, ne permettent pas (McCusker et al., 1998; Trzepacz et al., 2001). Ces deux outils mesurant la sévérité sont présentés dans l’annexe A (McCusker et al., 2004; Scheffer et al., 2011; Trzepacz et al., 2001). De façon similaire aux outils utilisés en détection, ceux utilisés pour le monitoring relèvent de l'observation des manifestations du délirium et sont tributaires de la constance dans l’utilisation des critères d’observation et du jugement clinique de chaque intervenant qui les complète (Guenther et al., 2012). Récemment, des chercheurs ont exploré la possibilité d'utiliser, de concert avec les outils actuels, des valeurs objectives, soit des biomarqueurs reflétant les changements physiologiques associés au délirium.

L’évaluation des changements physiologiques associés au délirium serait particulièrement pertinente en chirurgie cardiaque puisque les médicaments de sédation peuvent altérer l’état de conscience et que l’intubation complique la communication avec le

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patient, ce qui rend plus difficile d’identifier les manifestations du délirium (Olson, 2012). De plus, la léthargie observée en délirium hypoactif peut être assimilée à de la fatigue ou aux effets de la sédation, qui surviennent fréquemment suite à une chirurgie cardiaque (Devlin, Fraser, Joffe, Riker, & Skrobik, 2013). Bref, l’utilisation d’un biomarqueur reflétant les manifestations physiologiques permettrait d’améliorer le monitoring du délirium pour mieux intervenir.

La recherche d’un biomarqueur du délirium repose, entre autres, sur les deux principales hypothèses quant aux mécanismes physiologiques cérébraux impliqués dans le délirium mentionnées précédemment, soit une altération des neurotransmetteurs complémentaire à une réaction inflammatoire lesquels résulteraient en une modification dans la perfusion cérébrale (Cerejeira et al., 2014; Khan et al., 2011; Maclullich et al., 2013; Maldonado, 2008a, 2013). À l'heure actuelle, le niveau de preuve est insuffisant pour recommander un changement de pratique, mais certaines pistes sont prometteuses (Hshieh, Fong, Marcantonio, & Inouye, 2008; Khan et al., 2011).

Une première avenue consiste à mesurer la perfusion cérébrale à l’aide de l’imagerie cérébrale par tomodensitométrie. Cette mesure a permis d'identifier une hypoperfusion en présence de délirium dans certaines régions du cerveau dont les régions frontale et occipitale (Alsop et al., 2006; Fong et al., 2006). Par contre, la limite de l’imagerie cérébrale est l’impossibilité de la réaliser au chevet du patient. Le déplacement de patients de soins critiques vers la salle d’imagerie suite à une chirurgie cardiaque est accompagné de risques de complications respiratoires, d’instabilité hémodynamique et même de mortalité (Schwebel et al., 2013). En plus de ces risques, les patients qui subissent un délirium de forme hyperactive ou mixte présentent de l’agitation ce qui limite aussi l'utilisation de l’imagerie cérébrale.

Une deuxième avenue consiste à mesurer la saturation cérébrale en oxygène, appelée l'oxymétrie cérébrale. L’oxymétrie cérébrale obtenue à l’aide de la spectroscopie proche infrarouge mesure la perfusion cérébrale (Denault et al., 2014; Taussky et al., 2012). Pour obtenir cette mesure, des électrodes avec un émetteur et un récepteur de faisceaux lumineux infrarouge sont apposées sur le front du patient et laissées en place quelques secondes. À ce moment, l’émetteur envoi la lumière infrarouge qui pénètre le cerveau pour ensuite revenir au récepteur de l’électrode. La différence d’intensité lumineuse entre l’envoi et la réception est

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calculée et reflétée par une valeur d’oxymétrie cérébrale sur un moniteur au chevet du patient. Cette mesure indirecte de la perfusion cérébrale, est non-invasive et peut être réalisée au chevet et même en présence d’instabilité hémodynamique. Des valeurs basses d’oxymétrie cérébrale avant et pendant la chirurgie cardiaque ont été associées à un risque plus élevé de délirium et de déficit cognitif postopératoires (de Tournay-Jette et al., 2011 ; Schoen et al., 2011 ; Zheng et al., 2013).

Cette dernière avenue sera explorée dans la présente étude afin d’optimiser l’évaluation monitoring du délirium. Par ailleurs, parallèlement à cette évaluation, la prise en charge, soit la gestion du délirium est cruciale pour assurer la sécurité du patient, limiter les complications et éviter une exacerbation des manifestations.

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