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I. Pseudomonas aeruginosa, un pathogène opportuniste

3. Les infections chroniques

Les personnes touchées par les infections chroniques sont principalement les patients atteints de mucoviscidose ainsi que les patients souffrant d’infections pulmonaires telles que les bronchiectasies répétées ou les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO).

i. Infection de patients atteints de mucoviscidose

La mucoviscidose ou fibrose kystique est une maladie génétique rare qui touche principalement les voies respiratoires et digestives. Elle est provoquée par la mutation du gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) présent sur le chromosome 7. Ce gène code pour des canaux chloriques dépendants de l’AMP cyclique (AMPc) qui permettent le transport du chlore à travers la membrane des cellules épithéliales. La mutation du gène CFTR peut entraîner deux situations : une absence ou une anomalie de la protéine, qui dans les deux cas entraine une absence du canal. Ce dysfonctionnement provoque une augmentation de la viscosité du mucus empêchant son élimination par le système de clairance muco-ciliaire. Les voies aériennes partiellement obstruées deviennent alors un lieu favorable pour l’installation de bactéries opportunistes, entraînant des infections respiratoires (Gellatly and Hancock, 2013). P. aeruginosa est la première cause de décès par infection chez les patients souffrant de mucoviscidose. En effet 80% des patients atteints de mucoviscidose développent une infection à P. aeruginosa à l’âge adulte. A la naissance, plusieurs pathogènes colonisent les poumons de ces patients comme Staphylococcus aureus ou encore Haemophilus influenza. Le nombre de bactéries pulmonaires augmente avec l’âge et leur proportion varie. P. aeruginosa devient la bactérie la plus représentée chez l’adulte. De la naissance à l’adolescence des phases d’infections intermittentes et récurrentes à P. aeruginosa ont lieu, puis elles évoluent en infections chroniques ; cette évolution est corrélée avec la diminution des fonctions pulmonaires des patients. (Figure 2) (Folkesson et al., 2012).

Introduction – Chapitre I

Figure 2 : Prévalence de différents pathogènes lors d’infections pulmonaires chez des patients atteints de mucoviscidose (d’après (Folkesson et al., 2012).

Dans ce contexte chronique, P. aeruginosa se développe sous forme de biofilm au sein du mucus. Dans cet environnement, la bactérie se protège du système immunitaire et de toutes les attaques antimicrobiennes. Malgré la présence des macrophages pulmonaires et le recrutement de neutrophiles, P. aeruginosa persiste, et cette situation entraine la destruction progressive des tissus pulmonaires par exacerbation de l’inflammation locale. Le traitement ultime pour la guérison du patient est la transplantation pulmonaire (Hoiby et al., 2010).

ii. Les autres infections chroniques

Les infections chroniques à P. aeruginosa sont également associées à d’autres infections pulmonaires comme les bronchiectasies ou les BPCO.

La bronchiectasie est associée à une dilation et un épaississement permanents des voies respiratoires ainsi qu’à un mauvais fonctionnement des cils vibratiles. Des poches se créent dans les voies respiratoires entrainant une accumulation de mucus et une mauvaise clairance muco-ciliaire ce qui favorise les infections chroniques. Comme chez les patients atteints de mucoviscidose, P. aeruginosa s’adapte à cet environnement muqueux et se développe sous forme de biofilm, la protégeant du système immunitaire et des antibiothérapies (Woo et al., 2016; Hilliam et al., 2017).

Introduction – Chapitre I

Les BPCO sont également un terrain favorable à l’infection chronique par P. aeruginosa. En effet il s’agit d’une inflammation chronique qui conduit à un rétrécissement des voies respiratoires et une diminution du flux d’air (Gellatly and Hancock, 2013).

P. aeruginosa peut également engendrer d’autres infections chroniques non pulmonaires. Les infections urinaires chroniques sont souvent associées à la pose de sondes (Kirmusaoglu et al., 2017). Chez les patients diabétiques, le risque de développer une infection chronique sur une blessure est très élevé du fait de problèmes de circulation et d’un mauvais fonctionnement nerveux (Mulcahy et al., 2014). P. aeruginosa est également responsable d’otites chroniques qui peuvent avoir des conséquences importantes dans les premières années de l’enfant (Mittal et al., 2014).

La résistance aux antibiotiques

La mise en place d’antibiothérapies et l’utilisation de désinfectants pour lutter contre les infections en milieu hospitalier ont entrainé une adaptation et une résistance de certaines bactéries pathogènes. En février 2017, l’organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la bactérie P. aeruginosa dans le groupe des pathogènes les plus critiques du point de vue de l’antibiorésistance, et pour lesquels la recherche et le développement de nouveaux antibiotiques est prioritaire. Ce groupe est composé de bactéries résistantes à un grand nombre d’antibiotiques à large spectre dont les carbapénèmes, très utilisés pour lutter contre les bactéries multi-résistantes en milieu hospitalier (Tableau 2).

Introduction – Chapitre I

Classement Pathogène Résistance aux antibiotiques

Priorité 1 : CRITIQUE

1 Acinetobacter baumannii Carbapénèmes

2 Pseudomonas aeruginosa Carbapénèmes

3 Enterobacteriaceae Carbapénèmes

Priorité 2 : ELEVÉE

1 Enterococcus faecium Vancomycine

2 Staphylococcus aureus Méthicylline / Vancomycine

3 Helicobacter pylori Clarithromycine

4 Campylobacter spp. Fluoroquinolones

5 Salmonellae Fluoroquinolones

6 Neisseria gonorrhoeae Céphalosporines / Fluoroquinolones

Priorité 3 : MOYENNE

1 Streptococcus pneumoniae Insensible à la penicilline

2 Haemophilus influenzae Ampicilline

3 Shigella spp. Fluoroquinolones

Tableau 2: Liste des agents pathogènes prioritaires pour la recherche-développement de nouveaux antibiotiques (D’après l’OMS-2017)

P. aeruginosa utilise plusieurs mécanismes de défense contre les antibiotiques :

- Lors d’infections chroniques, les bactéries regroupées en biofilm se protègent grâce à une matrice d’exopolysaccharides composée principalement d’alginates (Kipnis et al., 2006).

- P. aeruginosa exprime ou non à sa surface des pompes d’efflux ou des porines qui jouent un rôle dans la résistance aux antibiotiques. Prenons l’exemple de la porine OprD qui permet l’entrée des carbapénèmes (famille des β-lactames) dans la bactérie. Une régulation négative du gène oprD ou une inhibition de la porine OprD entraine une antibiorésistance de la bactérie. A l’inverse l’expression de pompes d’efflux à la membrane de la bactérie favorise le transport d’antibiotiques à l’extérieur de la bactérie, ce qui lui confère une résistance à certains antibiotiques. Des gènes codant pour 10 pompes d’efflux différentes ont été identifiés parmi les souches de P. aeruginosa qui permettent l’export d’un certain nombre d’antibiotiques comme les fluoroquinolones, les β-lactames et les aminoglycosides. (Lister et al., 2009).

Introduction – Chapitre I

L’utilisation abusive d’antibiotiques a entrainé une adaptation de P. aeruginosa par le biais de mutations sur son génome. Mais le plus préoccupant à l’heure actuelle est l’adaptation de ce pathogène chez des patients au cours d’un traitement par antibiothérapie. Cette capacité à s’adapter et à persister dans son environnement tissulaire est un véritable défi pour la recherche en infectiologie. Le développement de nouveaux antibiotiques visant à détruire les bactéries est pour le moment sans succès. Le recul sur les expériences précédentes suggère que des antibiotiques de ce type ne peuvent qu’entrainer de nouvelles résistances de la bactérie à ces traitements. En revanche les recherches de molécules ciblant des facteurs de virulence ou des mécanismes de régulation, tel que le quorum sensing qui est impliqué dans la régulation de nombreux facteurs de virulence, sont des projets prometteurs (Kipnis et al., 2006; Le Berre et al., 2006).