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PARTIE 1: PROBLEMATIQUE ET CONTEXTE

3 CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET SOCIO-HISTORIQUE DE L’OASIS DE FIGUIG

3.2 C ONTEXTE SOCIO HISTORIQUE

3.2.2 Les guerres de l’eau

Bien que libre et autonome, Figuig n’est pas pour autant un espace de paix : son histoire est en effet marquée par de nombreux conflits pour la possession de l’eau. Les situations décrites plus haut vont être à l’origine d’une longue suite de conflits et de guerres pour s'assurer la maîtrise de l'eau.

Un des éléments qui sous-tend l’émergence des conflits pour l’appropriation de l’eau est l’utilisation de la technique des foggaras19. Les foggaras sont des galeries souterraines permettant de drainer l’eau de nappes souterraines vers leurs lieux d’utilisation. À Figuig, les sources sont naturellement artésiennes, et les foggaras ont dans ce cas pour fonction première d’augmenter la quantité d’eau captée. Ces foggaras ont aussi permis de capturer l’eau des sources afin de se l’approprier. L’eau ainsi canalisée sous terre est dissimulée et protégée de la convoitise des autres ksour.

Les diverses péripéties qui retracent l’histoire de la maitrise de la source Tzaddert, qui est celle ayant le débit le plus important (65 l/s) en 2004 (DPA, 2009), constituent un exemple significatif des conflits à propos de l’eau. Elles commencent par l'attaque et la destruction du ksar Ouled Jaber, par une coalition entre les ksour Loudaghir et Zenaga. Le ksar Ouled Jouabeur se situait sur l’emplacement de la source la plus importante de Figuig, Tzaddert, et en était donc le détenteur. Sa destruction eut lieu en août 1783 : le ksar fut pris d’assaut et complètement détruit, ses habitants s’éparpillèrent dans les autres ksour (Gautier, 1917).

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Au Maroc on emploie habituellement le terme khettara mais à Figuig les premières descriptions de ces ouvrages faites par les explorateurs Français venus d’Algérie (Gautier, 1917) ont utilisé le terme algérien foggaras qui est celui qui a continué à être utilisé.

54 Les ruines de ce ksar et notamment les restes de la mosquée sont toujours visibles aujourd’hui (Gillot, 2014).

Mais l’entente entre Zenaga et Loudaghir ne survécut pas à la victoire, ils poursuivirent alors entre eux le conflit pour s’approprier la source de Tzaddert (Bencherifa et Popp, 1992). Les deux ksour n’étaient pas dans des situations topographiques compatibles pour l’utilisation de l’eau de cette source. Loudaghir est un ksar de plateau qui, contrairement aux autres ksour de la zone, n’a aucun terrain dans la plaine : tous ses terrains se situent au-dessus du Jorf. Maintenir le niveau de la nappe d’eau est donc crucial pour les habitants de Loudaghir, car à mesure que le niveau de la nappe baisse, les jardins situés sur les terrains les plus élevés ne peuvent plus être irrigués par gravité, et les palmiers et autres cultures dépérissent. Si le niveau poursuit sa baisse, l’ensemble de la palmeraie finira par ne plus être irriguée et le ksar Loudaghir sera alors menacé de disparition. Pour les habitants de Zenaga, la stratégie est exactement l’inverse puisque le ksar et toute sa palmeraie, potentiellement extensible à l’infini vers la plaine au sud, se situent en contrebas de la source. Pour les habitants de Zenaga, par conséquent, le niveau de l’eau ne sera jamais trop bas pour leur jardin. Or, à mesure que le niveau baisse, l’eau utilisable par Zenaga augmente exactement de la quantité devenue inutilisable pour Loudaghir. Les habitants de Zenaga drainent donc l’eau aussi profondément qu’ils le peuvent pour leur palmeraie d’aval grâce aux foggaras. Pendant des années, ils se sont donc battus les uns pour capter la source à un niveau plus bas, les autres pour empêcher ce captage. Il s’agit d’une « guerre de sapes, de mines et de contre-mines » (Gautier, 1917). Des conflits analogues, entre secteurs amont et aval des palmeraies ont été observés dans d’autres oasis (Belarbi et al. 2004).

On retrouve aujourd’hui (photographie 3) des traces de cette guerre souterraineau niveau de la foggara de Tzaddert, où l’on peut observer distinctement la superposition de deux conduites d’époques différentes (les méthodes de construction sont différentes), l’une étant destinée à capter l’eau de l’autre.

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Photographie 3: Superposition de deux foggaras liées à la source Tzaddert (Janty, 2011)

Un des épisodes qui marque cette guerre est la destruction de la mosquée de l’ancien ksar Ouled Jouabeur en 1860. Les habitants de Loudaghir firent sauter la mosquée par des mines souterraines afin de déloger des soldats de Zenaga qui surveillaient la source Tzaddert. Cet événement prit une telle ampleur que le sultan du Maroc envoya une force militaire pour obtenir l’obéissance de Zenaga et de Loudaghir. Il fit creuser un grand fossé au niveau de l’ancien ksar Ouled Jouabeur, afin de mettre à jour les tunnels souterrains et d’empêcher le creusement du terrain pour la pose de nouvelles mines sur ce champ de bataille. Le fond du fossé fut également cimenté pour fixer le niveau de la nappe d’eau de manière définitive. Ce jugement parût efficace, cependant le représentant du sultan ne resta pas sur place, et tout recommença alors comme avant (Gautier, 1917). Finalement, Zenaga remporta cette guerre et s’appropria la source Tzaddert.

Cet aperçu des conflits qu’a connu Figuig, à travers l’exemple emblématique de la source Tzaddert, permet de saisir l’importance de l’eau dans l’oasis. Aujourd’hui encore, il existe une animosité entre les ksour du « haut » et Zenaga, elle se perçoit notamment dans la mise en place des projets de développement. Ainsi, le retard pris dans la mise en œuvre du nouveau barrage, lié à des désaccords entre les ksour du « haut » et Zenaga, illustre la persistance de ces rivalités.

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