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Dans un certain contexte socio-historique, être ouvrier, femme ou Breton n'est évidemment pas favorable à l’essor d’une carrière littéraire ou à la réussite dans le monde des lettres. Jacques Dubois

La critique féministe a souvent souligné l’apparente éviction des femmes en littérature. Il importe cependant d’apporter les nuances qui s’imposent et de souligner le caractère relatif de cette absence d’auteures pendant certaines périodes de l’histoire littéraire du Québec. En régime d’apartheid, aucun noir ne pouvait espérer obtenir les mêmes droits que les blancs. Dans le cas des femmes et de leur participation à la vie littéraire, il n’y a pas d’interdit explicite et total, seulement une habitude de l’exclusion et du ridicule héritée de la tradition littéraire française et dont l’origine est lointaine, depuis la Querelle des femmes, au XVe siècle163, en passant par les « Bas-bleus »164, et en

remontant jusqu’à aujourd’hui.

163 . Cette querelle bien réelle est pourtant rarement évoquée dans les ouvrages littéraires. Voir Alice Jardine, Gynesis. Configurations de la femme et de la modernité, Paris, PUF, 1991, p. 110 et suiv.

164 . « Bas-bleus vient de l’anglais blue-stocking, mot attribué à Benjamin Stillingfleet, membre de l’entourage de lady Montague (1690-1762) qui […] fut pour ses écrits victime de diverses satires, en particulier de Pope ». Le mot fut repris en français autour de 1840 par Frédéric Soulié dans la Physiologie du bas-bleu. Christine Planté, La petite sœur de Balzac, Paris, Seuil, coll. « Libre à elles », 1989, p. 28.

D’un autre côté, la période que nous étudions est si contemporaine et de ce fait si familière que tout ce qui s’y déroule nous semble aller de soi. Il nous faut donc faire un effort de distanciation pour en mesurer la portée inique et en percevoir le caractère arbitraire. « On oublie peut-être à quel point était refusé aux femmes, même à l’entrée du XXe

siècle, le libre exercice de leur intelligence »165. Forte de ce rappel, nous

présenterons dans ce chapitre un bref aperçu de la situation de la femme dans le champ littéraire des années 1900-1959166, une introduction essentielle à la compréhension des

développements récents en littérature québécoise.

Une phrase de Nicole Casanova résume bien la situation des femmes qui n’étaient victimes d’aucune interdiction formelle, sans doute, mais qui n’étaient aidées d’aucune façon : « […] elles ont dû lutter, parfois très durement, pour parvenir à ce point zéro d’où leurs pères, frères et maris partaient naturellement dès leurs premiers pas dans le monde »167. Hommes, ils avaient une longueur d’avance sur les femmes qui

nourrissaient pourtant les mêmes ambitions qu’eux.

165 . Nicole Casanova, « Avant-propos », dans Charlotte Kerner et Nicole Casanova, Des femmes prix Nobel. De Marie Curie à Aung San Suu Kui. 1903-1991, Paris, Éditions des femmes, 1992, p. 11.

166 . Peu d’études ont à ce jour été réalisées sur les périodes précédentes. L’équipe de La vie littéraire au Québec, dans chacun de ces tomes, porte une attention au statut particulier des femmes en regard de la vie littéraire. Pour la production littéraire des femmes au XIXe siècle, on lira l’étude de Manon Brunet, « Les femmes dans la production de la littérature francophone du début du XIXe siècle québécois », dans Claude Galarneau et Maurice Lemire (sous la dir. de), Livre et lecture au Québec (1800-1850), Québec, IQRC, 1988, p. 167-180.

Le manque flagrant d’espace laissé aux femmes dans le champ littéraire est incontestable; le fait qu’on les ait maintenues dans un statut inférieur est désormais reconnu. Ces iniquités résultent de facteurs liés à leur statut et à leurs conditions de vie. Certains de ces facteurs sont demeurés stables tout au long des soixante années qui nous intéressent, d’autres ont fluctué au gré des changements sociopolitiques qui jalonnent cette période. Nous brosserons d’abord un tableau de ces constantes, puis nous présenterons les statistiques de production, ce qui nous permettra de proposer un découpage lié aux changements évoqués plus haut. Puis, pour chacune des trois sous- périodes étudiées (1900-1922; 1923-1940; 1941-1959), nous nous intéresserons au croisement de trois facteurs : les facteurs sociopolitiques ayant influencé le statut des femmes ainsi que les conditions de leur pratique littéraire, les statistiques de production des femmes et les séries littéraires de chacune des trois sous-périodes.

Une constante : l’iniquité

Plusieurs facteurs interfèrent entre les femmes et leur désir d’embrasser une carrière littéraire. Si l’on peut regrouper ces facteurs sous la bannière très large de l’habitus, tant il est vrai que c’est l’ensemble des dispositifs offerts aux femmes qui est d’un caractère limitatif, on peut en distinguer trois qui se situent au premier plan : l’éducation, l’environnement familial et le statut civil de l’écrivaine.

Un déficit éducatif à combler

L’accès à l’éducation supérieure demeure, jusqu’aux années 50, le privilège des bien nanties. Bien que les études supérieures soient peu accessibles aussi bien pour les garçons que pour les filles, il n’en reste pas moins que l’enseignement prodigué aux

filles n’est pas le même que celui dispensé aux garçons. Dès le départ, cette différence creuse un fossé entre les connaissances des unes et des autres. Or on le sait, la pratique de l’écriture est étroitement liée à l’enseignement de la littérature, particulièrement à l’âge de l’adolescence.

Entre 1940 et 1960, les écoles ménagères et les écoles normales se disputent la clientèle féminine. C’est ce qui ressort de la lecture de L’Histoire des femmes au Québec. Les auteures affirment que les écoles ménagères connaissent une expansion au cours des années 1940168 en indiquant toutefois que « l’essor de l’enseignement ménager, dans les

années 1940-1950, est contemporain d’un phénomène tout aussi impressionnant : l’expansion du réseau des écoles normales […]. Pas moins de 23 écoles normales de filles, catholiques et francophones, sont ouvertes au Québec entre 1940 et 1950 »169. Ce

phénomène double reflète bien les tensions entre, d’une part, les tenants de la tradition, qui désirent contenir les filles dans des rôles les désignant gardiennes des valeurs familiales, et d’autre part, les tenants de la modernité, pour qui il est impératif de mieux former les femmes au marché du travail que commandent les nouvelles réalités sociales.

Mais c’est seulement à partir de 1961 que les écoles ménagères perdent du terrain jusqu’à disparaître complètement à la faveur de la réforme scolaire. Jusque-là,

deux conceptions de l’éducation féminine étaient auparavant véhiculées par l’idéologie traditionnelle : l’éducation fonctionnelle mais se limitant surtout aux sciences ménagères et d’intérieur; « l’éducation-parure », destinée à

168 . Clio, L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Quinze, coll. « Idéelles », 1982, p. 390.

donner un certain « vernis » culturel à des femmes vouées à épouser des hommes de classe et d’instruction supérieure.170

Les programmes d’études réservés à la femme avaient toujours été déterminés en fonction des besoins de l’homme.

Même si le Rapport Parent joue un rôle évident dans les transformations du système d’enseignement, Mona-Josée Gagnon171 signale le rôle non moins important, mais moins

connu, joué quelques années plus tôt par l’Association des collèges classiques féminins qui déposent en 1954 un mémoire172 à la Commission royale d’enquête sur les

problèmes constitutionnels (Commission Tremblay). Les historiennes de Clio corroborent :

On a pris l’habitude de considérer la réforme scolaire de 1964, celle du Rapport Parent, comme l’origine du renouveau pour l’éducation des filles. En réalité, la révolution scolaire de 1964 ne fera que renforcir des tendances déjà bien en place. De 1954 à 1959, l’institution d’un véritable cours secondaire public marque le début de l’accession des filles à une éducation prolongée.

Depuis 1954, le cours d’école normale est transformé. Il comprend de nouveaux diplômes — mieux structurés, exigeant des études plus longues — dont le dernier permet d’obtenir un baccalauréat : les brevets C, B, et A. À partir de 1959, dans la région de Montréal, les écoles normales féminines et masculines forment un « marché commun » où est aménagé un réseau

170 . Mona-Josée Gagnon, Les femmes vues par le Québec des hommes. 30 ans d’histoire des idéologies, 1940-1970, Montréal, Éd. du Jour, 1974, p. 66.

171 . Ibid., 159 p.

172 . Collèges classiques de jeunes filles du Québec, La Signification et les besoins de l’enseignement classique pour jeunes filles, mémoire soumis à la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, Montréal, Fides, 1954, 154 p.

complet d’options. Normaliens et normaliennes se retrouvent ensemble, dans le diverses institutions montréalaises, pour suivre les mêmes cours.173

Cette dernière assertion est importante. C’est lorsque l’enseignement prolongé sera mixte — et pas seulement l’école primaire — que commencera vraiment à germer dans la tête des filles la possibilité de se réaliser aussi pleinement que les garçons, dans quelque domaine que ce soit — ou presque.

Les deux Commissions, Tremblay et Parent, en envisageant ouvertement la question de la préparation des jeunes filles au marché du travail, court-circuitent la voie unique du mariage et de l’entretien domestique, et ouvrent des possibilités nouvelles à toute une génération de femmes, celle qui émergera dans le champ littéraire à l’aube des années soixante.

L’héritage familial

De la même façon qu’il existe un plafond de verre qui bloque la carrière des femmes dans la hiérarchie des affaires, il semble y avoir, en littérature, un plafond qui ne se laisse traverser que par quelques écrivaines, conférant à celles-ci un statut d’exception, mérité au nom du talent, « ce piédestal qui éloigne des autres femmes »174. Les femmes

qui ont dépassé ce plafond ont en commun d’être des héritières en termes de culture familiale, combinant aisance financière et appartenance à la classe lettrée.

173 . Clio, op. cit., p. 405.

174 . Roberta Lamb, « Chantons plus fort », dans Roberta Mura (dir.), Un savoir à notre image? Critiques féministes des disciplines, Montréal, Adage, 1991, p. 71.

Lucie Robert met l’accent sur l’importance du statut familial comme facteur déterminant de la carrière littéraire chez les femmes, là « où l’indice de recrutement dans les classes dominantes (marchands, professionnels et cadres) passe de 55% pour le tournant du siècle à 71% après 1920 »175. Déjà important chez les écrivains masculins,

« [le] lien entre l’origine sociale, les études classiques et le métier d’écrire devient encore plus évident quand on considère le statut des écrivaines »176. Alors que 14% des

hommes du groupe qu’elle étudie ont un parent proche écrivain, la proportion augmente à 27% dans le cas des femmes177. C’est que dans les milieux ruraux et agricoles, les

femmes représentaient des biens trop précieux en termes de main-d’œuvre pour que l’on pense investir dans leurs études. Lorsque des études étaient possibles, c’était souvent dans le cas de « la petite dernière », qui n’avait plus, à toutes fins pratiques, beaucoup de tâches à accomplir, ses aînées étant toutes occupées à la domesticité (soin des enfants, couture, cuisine, etc.).

Prenons par exemple les plus reconnues des écrivaines québécoises. Laure Conan est née dans une famille lettrée et politisée. Anne Hébert, c’est bien connu, est la fille d’un critique littéraire réputé, Maurice Hébert, en plus d’être la cousine du poète Hector de Saint-Denys Garneau. Germaine Guèvremont a la chance de grandir entourée de nombreux écrivains dans sa famille. En plus d’être la fille d’un avocat qui est aussi

175 . Lucie Robert, « Les écrivains et leurs études. Comment on fabrique les génies », Études littéraires, vol. XIV, n° 3, décembre 1981, p. 534.

176 . Lucie Robert, L’Institution du littéraire au Québec, Québec, PUL, coll. «Vie des lettres québécoises », 1989, p. 70.

écrivain, Joseph-Jérôme Grignon, lui-même le fils d’Edmond Grignon dit Vieux Doc, médecin et conteur, elle est la cousine de Claude-Henri Grignon, le célèbre écrivain d’Un homme et son péché et auteur radiophonique prolifique.

Même chez les moins connues, l’héritage familial est déterminant. Parmi les plus richement dotées de ce point de vue se trouve certainement Louyse de Bienville, pseudonyme de Madame Donat Brodeur, née Marie-Louise Marmette, fille de Joseph Marmette, fonctionnaire et écrivain, et de Joséphine Garneau, qui est elle-même la fille de l’historien François-Xavier Garneau. Malgré tout, l’assurance… ou le talent semble lui avoir fait défaut. Le seul recueil qu’on lui connaisse fut publié après sa mort et… par sa fille! Édouard Montpetit note dans la préface de ce recueil : « arrière petite-fille d’Étienne Pascal Taché, petite-fille de François-Xavier Garneau, fille de Joseph Marmette. Filiation rare parmi nous, et qui conduit tout droit au rêve, à cette chose dite futile pour un milieu pragmatique avant tout : écrire »178. Malgré ce brillant entourage,

Marie-Louise Marmette n’a pas cru, de son vivant, ses écrits suffisamment intéressants pour la publication!

Simone Routier a aussi des liens de famille avec François-Xavier Garneau, dont elle est la petite nièce. Citons encore le cas de Marguerite Taschereau, proche parente du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau. Mais toutes les écrivaines n’ont pas de familles aussi illustres, il s’en faut de beaucoup. Dans le lot, il s’en trouve qui ne disposent pas d’un milieu familial aussi riche, mais qui persistent tout de même dans la

178 . Cité par Sylvie Dallard, dans Maurice Lemire (dir.), DOLQ, Montréal, Fides, tome II, (1900-1939), 1987 (1980), p. 493.

voie de l’écriture. Celles-là ne pourront faire l’économie du passage par la carrière de journaliste, qui assure des revenus suffisants. Gaétane de Montreuil fait partie de ce groupe.

Gabrielle Roy et quelques autres font figure d’exception. Ce qui frappe, lorsqu’on lit les deux tomes de son autobiographie et la biographie que lui a consacrée François Ricard, c’est à quel point cette femme asservit les gens autour d’elle dans la poursuite de sa carrière. Il faut ajouter, détail important, qu’elle n’était pas l’aînée de sa famille. Historiquement, au Québec, les aînées ont longtemps été sacrifiées, dans les familles nombreuses, à l’autel du maternage. Les mêmes règles prévalaient sans doute dans son Manitoba natal, d’autant plus que sa mère était native du Québec. Admettons que le parcours de Gabrielle Roy ne correspond pas à l’existence-type des jeunes filles des années 1940 et 1950! La plupart d’entre elles, invitées à se trouver un emploi pour contribuer à l’économie familiale, étaient aiguillées sur la voie du mariage, pour laisser la place aux nombreux autres enfants plus jeunes dans les grosses familles. Une fois mariée, la plus grande partie du temps et des énergies de la jeune femme devait être consacrée à son mari et à la maison, puis plus tard, aux enfants.

Statut conjugal et maternel

À lire les notices biographiques des femmes écrivaines, il apparaît clairement que le célibat facilite la pratique littéraire! Si le mariage n’impose pas forcément le silence, il reste que les femmes mariées, comme les célibataires d’ailleurs, semblent avoir compris qu’il est difficile de faire coïncider progéniture et écriture et ce, tant sur le plan symbolique que matériel (l’un déterminant l’autre). Sur le plan symbolique, la force des équations homme = création et femme = procréation agit comme inhibiteur. Sur le

plan pratique, faut-il rappeler qu’il n’y avait pas de places en garderie pour les enfants, ce qui aurait permis à la femme écrivaine d’avoir une vie active et mondaine comme l’exigeait alors la carrière littéraire? Seules les plus riches pouvaient échapper à l’univers domestique, elles qui pouvaient compter sur des aides domestiques et des gouvernantes.

Que la plupart des grandes écrivaines reconnues du Québec ne se soient pas mariées n’est certainement pas le fruit du hasard. Pensons à Laure Conan, Gabrielle Roy, Anne Hébert, Marie-Claire Blais… Elles refusèrent la maternité, convaincues de l’impossibilité de concilier la création et la procréation. L’Église catholique joue un rôle important dans l’établissement de cette conviction, elle qui a longtemps mystifié les qualités maternelles des femmes, pour mieux taire leur pouvoir créateur. Comme si le fait de penser et de créer aurait atténué — voire annihilé — leurs qualités maternelles. Rares sont celles qui échappent à cette règle avant les années 1960.

Germaine Guèvremont est l’exception qui confirme la règle. Elle est en effet une des rares écrivaines de cette époque à avoir pu concilier carrière littéraire et maternité. Toutefois, rappelons-le, du point de vue du capital culturel familial, elle était richement dotée. Et puis elle a commencé à écrire et à publier sur le tard, une fois que ses enfants sont « élevés ». Telles furent les conditions qui lui permirent d’entreprendre une carrière littéraire à 45 ans!

En fait, à scruter de près le statut civil des auteures, on peut en suivre l’évolution décennie après décennie. Au début du siècle, il semble impossible de conjuguer mariage et carrière littéraire. L’œuvre-maîtresse de Laure Conan, Angéline de

Montbrun, est d’ailleurs l’expression métaphorique de ce sacrifice. Une poète importante de l’époque, Léonise Valois, fille de médecin, reste célibataire. Les années vingt et trente marquent une certaine évolution. Si Raphaëlle Berthe-Guertin, Georgina Lefaivre, Jovette Bernier, Lucie Clément, Medjé Vézina ne se sont jamais mariées, ce n’est pas le cas d’Éva Senécal et de Simone Routier. Mais toutes deux se marient après avoir mis un terme à leur carrière littéraire et n’ont pas d’enfants. Éva Senécal publie ses livres entre 1927 et 1933, puis elle cesse d’écrire et se marie en 1940. Simone Routier se marie en 1958, à l’âge de 57 ans, après avoir publié toute son œuvre. Car si elle s’était mariée plus tôt, il lui aurait fallu un mari ayant une grande mobilité pour la suivre à travers les multiples déplacements occasionnés par sa carrière au ministère des Affaires extérieures du Canada.

Adrienne Choquette, Rina Lasnier, Adrienne Maillet sont demeurées célibataires. Claire Martin et Diane Giguère sont de celles qui ont fait du refus de la maternité un choix assumé179. Aussi discrète soit-elle, Anne Hébert donne l’impression d’avoir

sacrifié toute vie amoureuse. Marie-Claire Blais est une des écrivaines homosexuelles qui s’affirment au début de la décennie 1980, à l’instar des Nicole Brossard, Jovette Marchessault, Anne-Marie Alonzo et plusieurs autres.

De tout cela, il ressort qu’au Québec, avant 1960, il fallait, pour une femme qui voulait écrire, être née dans une famille aisée, vivre au sein d’un milieu cultivé, dans une société où la scolarisation était faible, et rester célibataire. Ce qui, on en convient,

179 . Diane Giguère, « Faute d’avoir des enfants, j’écris des livres », Le petit journal, 11 avril 1965, p. 57-59.

n’était pas le lot de beaucoup des femmes. Il faut donc admettre, avec Virginia Woolf, que :

C’est seulement quand nous savons quelles étaient les conditions de vie de la femme moyenne — combien elle avait d’enfants, si elle avait de l’argent à elle, si elle avait une chambre à elle, si elle avait des domestiques, de quelle part du ménage elle était chargée — c’est seulement quand nous pouvons nous représenter le mode de vie de la femme ordinaire, savoir quelle expérience de la vie il lui était possible d’avoir, que nous pouvons nous expliquer le succès ou l’échec de la femme extraordinaire comme écrivain.180

Les conditions de vie de la femme moyenne ne la prédisposaient pas à la carrière d’écrivain, il s’en faut de beaucoup. La démocratisation de l’enseignement dans les années 1960 viendra, de façon soudaine, rendre accessibles aux femmes ordinaires les dispositions nécessaires pour entreprendre une carrière d’écrivain.

Un aspect favorable

Mais si les facteurs défavorables priment, il en est tout de même quelques-uns qui faciliteront leur entrée en littérature. En effet, si le Québec accuse un réel retard par rapport à la France dans plusieurs domaines, notamment sur le plan intellectuel, il est un domaine dans lequel le Québec est en avance. Et cet aspect joue en faveur des

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