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Les expériences négatives de judiciarisation et d’incarcération

CHAPITRE 2 : La méthodologie du projet de stage, volet académique

3.9 Les expériences liées au système judiciaire et carcéral

3.9.2 Les expériences négatives de judiciarisation et d’incarcération

Le passage dans les systèmes judiciaire et carcéral ne s'est pas toujours bien déroulé pour les participantes au projet. Pour Clara, c'est surtout au provincial que son passage a été plus difficile. Elle déplore le manque de prise en charge et d'aide disponible :

Au provincial, il n'y avait rien pour m'aider. Je veux dire, on dirait que j'étais pas prête pour faire les démarches qu'il faut pour m'en sortir. Il n'y a pas de programmes, pas d'encadrement. Moi j'ai besoin d'encadrement, j'ai besoin de quelqu'un qui est là quand j'en ai besoin. Qu'est-ce que le fédéral donne ? (Clara, 36 ans)

Pour Amélie, une des pires expériences qu’elle relate est lorsqu'elle s'est retrouvée dans une prison dans une autre province. Elle se souvient que les conditions étaient selon elle inhumaines, qu'elle était isolée de sa famille et que personne ne parlait français :

Au provincial, dans une autre province, j’étais dans une prison quasiment avec des parterres en terre. C'était vraiment une prison épouvantable, des conditions épouvantables. [...] Pis j'ai été là, quoi, peut-être trois mois à peu près. Le temps du provincial de me trouver un avocat, le rencontrer. Avant, c'était quelque chose. L'affaire de l'Office de la langue française qui s'est mêlée parce que j'étais pas servie dans ma langue, tatati. Trouver une travailleuse sociale pour m'évaluer, parce que j'étais dépressive. (Amélie, 43 ans)

De retour au Québec, au cours de trois sentences fédérales qu’elle a eu à purger, Amélie a été placée dans le secteur à sécurité maximale à plusieurs reprises, y retournant environ aux six mois. Elle se souvient d'une période où elle s'est fait opérer alors qu'elle était en maison de transition. Son équipe de gestion de cas craignant une désorganisation de sa part. l’aurait alors envoyée au pénitencier à sécurité maximum pendant 12 jours, sans médication. Elle raconte en détail comment elle a vécu cette expérience laissant clairement entendre les difficultés qui se sont dès lors enchaînées pour elle :

Dans le trou, on a pas voulu me donner ma médication. J'ai eu mon attitude de rebelle adolescente de 12 ans. J'ai pas voulu prendre ma méthadone ; je suis tombée en sevrage de méthadone dans le trou. J'ai été... En fait, j'ai été douze jours à Joliette, pis j'ai été douze jours sans dormir. Ils m'ont sortie du trou, je suis arrivée dans rue j'étais complètement pétée. J'ai été cernée jusque-là, j'étais un vrai monstre. Je criais. J'étais désaxée. J'étais en sevrage. Ils m'ont libérée comme ça eux autres... Tu penses qu'il est arrivé quoi ? Je suis allée me shooter. (Amélie, 43 ans)

Amélie raconte aussi avoir vécu plusieurs expériences négatives avec le corps policier et les autres intervenants des systèmes judiciaire et carcéral. Elle relate qu’alors qu’elle était en liberté illégale, la police est débarquée chez sa fille et a tout viré à l'envers, faisant beaucoup de grabuge pour, finalement, découvrir qu’elle ne s'y cachait pas :

Ils ont tout pété chez ma fille parce qu'ils pensaient que je me cachais chez ma fille. Ils ont tout cassé chez ma fille. Ils ont arraché les pans de murs. Ils ont vidé le garde-robe. Ils ont demandé à ma fille de leur montrer ses bras. Ils ont traité ma fille de junkie. Mais j'étais pas chez ma fille. Moi, le soir même, dans la nuit, j'appelle ma fille. Pis ma fille, elle me dit : « T’es où, toi tabarnaque ? ». Ma fille, elle sacre pas après moi :« Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? ». Elle dit : « la police est débarquée ici, ils ont tout cassé chez nous ». Il y avait 3000 quelques piasses de dommage. (Amélie, 43 ans)

Bien qu'elle ait eu un bon service avec l'avocat de l'aide juridique, elle soutient qu'il a fallu que son conjoint débourse des montants d'argent supplémentaires pour s’assurer ses services. Autrement, elle pense qu'elle n'aurait probablement pas eu les réponses à ses questions.

Avec mon mari, une couple d'enveloppes à mon avocat… Il est allé porter une couple d'enveloppes parce que, je te dis, sur l'aide juridique, ils travaillent pas fort ben ben. Pas des gros montants, mais en tout mettons 2000$. Quand on avait une question à poser ou quand je voulais savoir quelque chose, on lui posait la question avec de l'argent. Au moins, il s'occupait de mon dossier. (Amélie, 43 ans)

Une des fois où elle a été placée en détention à sécurité maximum, elle raconte que son équipe de gestion de cas est venue la rencontrer et lui a demandé de s'exprimer sur ce qui s'était passé. Amélie considère toutefois que ce n'était aucunement une atmosphère propice à la discussion et que, peu importe ce qu'elle aurait pu dire, les intervenants avaient déjà leur idée préconçue par rapport à la situation, comme elle en témoigne ici :

Je suis arrivée au trou, ils sont venus me voir :« regarde…, j'ai rien à vous dire. Peu importe ce que je vais vous dire... » Tu es là, pognée avec un plexiglas en avant de toi. Il y a cinq intervenants, trois screws,. ils te demandent de t'exprimer... Tu veux que je te dise quoi ? Tu te sens opprimée. Il y a pas... Peu importe ce que tu vas dire, leur idée était faite de toute façon. (Amélie, 43 ans)

Même lorsque des agents correctionnels notaient qu'elle avait changé, elle se souvient qu'ils lui reflétaient que c'était impossible ou que cela ne durerait pas longtemps. Elle devait faire preuve de sang- froid et se concentrer sur elle-même afin de ne pas sortir de ses gonds, dit-elle :

On m'a donné du crédit un peu à la fin, mais pas tant. [...] Dans le sens : « Ah, tu me dis que tu as changé », ben je disais pas ça en fait, je disais pas rien à personne.« Tu veux nous montrer que tu as changée, mais dans le fond on sait bien tu es qui ». Non, tu sais rien. Tu sais rien de moi. Il y a des agents qui me disaient ça « Ouais, ça sera pas long, mé que tu sortes...». Ouais, c'est ça, c'est beau, pis je répondais même plus, je m'en câlisse de ce que tu penses, de ce que tu dis sur moi. Je sais où est-ce que je m'en vais. (Amélie, 43 ans)

Hannou, de son côté, se souvient avoir vécu une expérience difficile lorsqu'elle a rencontré un avocat spécialisé en indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC) et pour la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) en raison de l'évènement où elle a été poussée hors d'une voiture. Couplé avec d'autres évènements, telle l'opération imminente de sa mère, cela l'aurait menée à une rechute parce qu'elle était envahie par un trop-plein d'émotions :

C'est sûr que je crois le fait d'avoir rencontré Me XXX (un avocat), et qu'il ait été très franc et direct avec moi :« Être toxicomane, ça t'empêche pas de faire ce que tu as à faire », il m'a dit pas mal ça. Alors, je dirais que ça m'a comme, remis ma façon que j'ai agi envers moi-même. C'est-à-dire, ça m'a remis en pleine face la façon que j'ai pas... J'ai pas essayé de me reconstruire après mon accident, tu comprends. J'ai pas essayé de,…j'ai pas fait ce que je devais faire en temps qu'être humain. C'est ça... [silence] Alors, il y a eu ça, il y a eu aussi l'opération, la chirurgie de ma mère qui s'en venait, et j'imagine que ça a comme, c'était trop d'émotions.(Hannou, 35 ans)

Finalement, il appert que la judiciarisation peut avoir un effet négatif sur les relations familiales ou amoureuses. Clara explique que son père réalisait difficilement le gouffre dans lequel elle se trouvait en raison de sa toxicomanie et de sa criminalité, faque c'était difficile pour elle d'en parler

: « C'était dur pour moi de parler à mon père de mon problème de criminalité pis de consommation parce qu'il pouvait pas concevoir que j'étais rendue là ». Il s'en avait même pas rendu compte. Ma première incarcération, c'est ma mère qui lui a dit :« Ta fille... Ta fille est en prison ». (Clara, 36 ans)