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Les enjeux de l'intégration phénoménologie UHR

CHAPITRE I : L'état mental à risque de psychose: histoire du concept

1. Mieux identifier les sujets à risque : la perspective de la phénoménologie

1.3. Intégrer la phénoménologie à l'approche UHR

1.3.3. Les enjeux de l'intégration phénoménologie UHR

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L'exploration des troubles de la conscience de soi par la passation de l'EASE nécessite un investissement en temps important (environ 90 minutes) et des cliniciens expérimentés (les inventeurs de l'échelle recommandent une formation avec un programme d’entraînement de trois jours pour être apte à faire passer l'EASE). Ainsi, l'EASE n'est pas un outil de « screening » adapté. Nelson suggère que l'approche UHR peut être combinée à l'approche phénoménologique grâce à une méthode en deux étapes : un premier screening avec les outils UHR (CAARMS ou SIPS/SOPS), puis dans un deuxième temps chez les sujets positifs à la première étape, une évaluation des troubles du self grâce à l'échelle EASE. Cela conserve l'aspect pragmatique de la stratégie UHR, tout en enrichissant la démarche avec la recherche du marqueur central (core marker), les anomalies du soi minimal. Cela rejoint la stratégie en entonnoir (close-in) chère à McGorry149, pionnier de l'approche UHR en Australie. On sait que

nombre des sujets qui sont identifiés comme UHR ne sont en réalité pas à risque de transition psychotique et ne transiteront jamais. Or, ces sujets sont pris en charge et traités comme les « vrais UHR ». Réduire le taux de « faux positifs » de l'approche UHR est un enjeu majeur. L'EASE pourrait permettre d'« affiner » le screening initial. C'est ce que Nelson parvint à montrer dans Schizophrenia

Bulletin en 2012 : chez les sujets identifiés comme UHR, les anomalies de l'expérience de soi

détectées avec EASE sont prédictives de la transition psychotique, les facteurs confondants étant contrôlés167. Très récemment, en juillet 2016, Raballo et son équipe ont montré que l'échelle EASE permettait un meilleur « closing-in » des sujets UHR en détectant les sujets qui avaient un moins bon fonctionnement168. Par ailleurs, on sait que les symptômes psychotiques atténués sont largement

répandus chez les patients psychiatriques non psychotiques169 mais aussi dans la population générale. Ainsi, pour Verdoux et Van Os, ces symptômes sont largement aspécifiques : ils sont des facteurs de risque de pathologie psychiatrique en général et ne sont pas prédictifs de l'apparition d'un trouble psychotique170. Pour Hafner, les prodromes de trouble dépressif et de trouble schizophrénique seraient indifférenciables sur des critères comportementaux et symptomatiques171. Là encore, on comprend

dans quelle mesure l'identification des troubles de l'expérience de soi peut aider à affiner la détection précoce des sujets vulnérables à la psychose.

• B) Améliorer l'intervention

Aujourd'hui, les recommandations internationales préconisent le recours aux thérapies cognitives et comportementales (TCC) chez les sujets à risque. En effet, d'après l'étude de Hutton et Taylor, les TCC seraient associées à un taux de transition significativement réduit avec un recul de deux ans106. En 2009, Nelson publie un article dans la revue Psychopathology soutenant le fait que les TCC ne seraient pas la psychothérapie la plus adaptée pour les sujets UHR et pourrait même être contreproductive172. Il explique que les TCC, en mettant l'accent sur les processus cognitifs à l'œuvre

chez les patients, renforcent une des modalités pathologiques chez les patients qui présentent des troubles de l'expérience de soi : la conscience hyper-réfléxive. Il expose différentes stratégies

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alternatives qui seraient plus adaptées aux troubles de ces patients vu depuis un angle phénoménologique : une stratégie psychothérapeutique qui offre un espace d'intersubjectivité où les patients élaborent une meilleure conscience de soi pré-réflexive (la perspective en première personne), une stratégie visant la perspective à la deuxième personne permettant aux patients de rencontrer « l'autre » et d'explorer des relations de confiance avec un interlocuteur, un travail sur l'accordage affectif et l'empathie engendrée par le partage de l'expérience de soi ou enfin une stratégie favorisant l'immersion ou l'absorption dans le moment présent comme le travail en pleine conscience. Il semble opportun d’évaluer ces différentes stratégies psychothérapeutiques chez les patients UHR, et non pas uniquement les TCC.

• C) Améliorer l'alliance thérapeutique

Nous avons expliqué que les expériences visées par les échelles phénoménologiques et particulièrement l'EASE peuvent être si étranges pour le patient qu’il n’a bien souvent jamais pu les exprimer à quelqu’un d’autre. Le patient peut manquer de mots pour exprimer ce qu’il éprouve, principalement car la plupart de ces expériences sont de nature préréflexive. Par ailleurs, le patient a la plupart du temps l'impression d'être le seul au monde à vivre de telles expériences. Ainsi, lorsque le clinicien formule avec ses mots un concept qui se rapproche de ce qu'il vit au quotidien, le patient éprouve le sentiment d'être « reconnu »144. Ce sont les phrases souvent prononcées par les patients lors des passations de EASE : « Oui, c'est exactement cela » ou encore « Je n'aurais pas su le dire aussi bien, mais oui, c'est tout à fait ce que je ressens ». Ce sentiment de reconnaissance peut être accompagné d'un soulagement de ne pas être le seul, voire de gratitude envers le médecin. Ainsi, l'entretien d'inspiration phénoménologique contribue vraisembablement à améliorer l'alliance thérapeutique. Par ailleurs, la pauvreté de l'insight des patients est largement considérée comme la cause principale de non compliance au traitement des patients souffrant de schizophrénies173.

Classiquement, cette pauvreté de l'insight est expliquée par un défaut de métacognition ou par des mécanismes de défenses psychologiques174. Pour les phénoménologues, ce défaut d'insight est en

réalité au cœur des troubles des patients psychotiques, et est intimement lié avec les anomalies de l'expérience de soi précédemment décrites. Henriksen explique que cette hypothèse nécessite d'être vérifiée dans d'autres études mais qu'elle pourrait avoir d'importantes répercussions dans la prise en charge des patients et notamment pour favoriser leur adhésion aux soins, par le biais par exemple d'approches psychoéducationnelles centrées sur les troubles du self175.

• D) Mieux comprendre la maladie

Bien que les approches phénonoménologiques et UHR soient issues de traditions différentes, les notions de perturbations de self ne sont pas incompatibles avec les travaux récents dans le champ des sciences cognitives et neurocognitives. Au contraire, la combinaison de ces différentes approches

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permet d'approfondir les connaissances sur la physiopathologie complexe des troubles psychotiques. Par exemple, les travaux sur la Theory of Mind, ToM ou théorie de l'esprit montrant que les patients psychotiques auraient plutôt un excès de théorie de l'esprit (et non pas un défaut), c'est à dire une sur- attribution d'état mentaux à autrui et à soi-même, se rapprochent du concept d'hyper-réfléxivité décrit par les phénoménologues176. De la même façon, les travaux de McGuire et Chapman qui mettent en

évidence des difficultés cognitives subjectives chez les patients soulignent la conscience accrue de

processus et d'actions qui sont normalement automatiques, ce qui rejoint le concept

d'hyperréfléxivité177. Le lien peut également être fait entre les troubles de l'expérience de soi et les études sur la mémoire autobiographique chez les patients souffrant de schizophrénie. Enfin, la recherche en neurobiologie a mis à jour le concept de la décharge corollaire, système qui permet de différencier les stimuli internes et les stimuli externes. Ce système permet de ressentir le fait que c'est bien « moi » qui suis en train de faire tel ou tel geste. Un défaut de décharge corollaire a été mis en évidence chez les patients souffrant de schizophrénie178. Cela pourrait expliquer l'altération du sens de la « mienneté » et de la perspective en première personne chez les patients atteints de troubles psychotiques. Ces exemples montrent que les ponts entre les deux approches sont possibles et offrent des perspectives riches en terme de recherche179.