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1.2 Les lipides physiologiques

2.3.2 Les différentes statines

2.3.3.1 Les effets indésirables musculaires

Prévalence

Il s’agit de l’effet de classe le plus fréquent et le plus redouté lors de la prise de statine. Cependant, au cours des grands essais cliniques détaillés précédemment, ces effets indési- rables n’étaient que très rarement reportés, à tel point que les données recueillies étaient jugées non significatives : l’incidence des effets indésirables musculaires était en moyenne de 0,29% dans le groupe traité par rapport au groupe placebo au sein des essais WOSCOPS [70], LIPID [69], CARE [68], AFCaps/TexCaps [71].

FIGURE2.29 – Incidence des effets indésirables dans les grandes études sur les statines [137]

Or, au cours de la pratique clinique, on remarque qu’entre 5 et 15% des patients se plaignent de myalgies. 2% en Italie, Espagne et Suède, 4% en Allemagne, 6% en France et 11% en Grande-Bretagne [137]. Cette sous-détection des effets indésirables est fréquente dans les essais en double aveugle, car les patients « à risque » (sujets âgés, polymédiqués, in- suffisant rénaux/hépatiques) sont exclus, mais également par la méconnaissance de ses effets par les sujets ainsi que par les investigateurs, ce qui diminue une potentielle apparition de l’effet nocebo.

L’étude PRIMO (Prédiction du RIsque Musculaire en Observationnel) [134] a suivi 7924 patients dyslipidémiques entre 18 et 75 ans traités par statine à forte dose en France. 10,49% des sujets ont été victimes de symptomes musculaires. Par ceux-ci ont été reportés une gêne

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dans l’activité quotidienne dans 38% des cas, et 4% souffraient d’impotence fonctionnelle conduisant à un alitement et un arrêt du travail. Ces effets apparaissaient en moyenne après 6 mois de traitement, et disparaissaient en moyenne 2,3 mois après l’arrêt de la statine : dans la moitié des cas quelques jours à un mois, dans 36% des cas 6 mois, dans 15% des cas plus de 6 mois et dans 3% les douleurs persistaient malgré l’interruption du traitement. Ces douleurs musculaires touchaient majoritairement les membres inférieurs, qui représentent 60% de la masse musculaire de l’homme.

Les sujets les plus touchés étaient ceux dont la masse grasse était la plus faible, les spor- tifs (10,8% des sportifs occasionnels et 14,7% des pratiquants intensif), les sujets ayant des antécédents de douleurs musculaires sous hypo-lipémiants, des antécédents personnels de myalgie, des antécédents familiaux de problème musculaire, une hypothyroïdie. Aucun lien n’a été établi avec l’association de vitamine E, β-bloquants, β-mimétiques, coticostéroïdes ou d’anti-diabétiques, ni avec l’insuffisance rénale ou une dépression présente ou passée. Les principaux facteurs déclenchants de myalgies reportés étaient une activité physique inhabi- tuelle (53%) et une prise d’un nouveau médicament (30%) [134, 137].

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Causes

Les mécanismes de l’appatition de myalgies dûes aux statines restent encore non totale- ment élucidés. Deux pistes semblent privilégiées : la déplétion des métabolites secondaires comme l’ubiquinone et la cytotoxicité des statines.

— Le Coenzyme Q10

Comme vu précédemment (Figure 2.11a page 62), la pharmacodynamie des statines inter- vient très en amont dans le processus de synthèse du cholestérol. De ce fait, d’autres méta- bolites qui suivent la même chaîne de synthèse sont également touchés par leur action. Parmi ceux-ci se trouve le coenzyme Q10, autrement appelé ubiquinone. De plus, son véhicule na- turel étant le LDL, sa concentration ainsi que son transport sont diminués[139].

Cette molécule présente dans les mitochondries intervient dans la chaîne respiratoire de la cellule, qui assure la production d’ATP, source d’énergie essentielle au bon fonctionnement de la cellule. Une équipe de chercheurs a publié en 2012 une étude durant laquelle ont été suivis pendant 7 ans 28 patients âgés de 60 ans en moyenne, traités par différentes statines. Leurs douleurs musculaires étaient reportées sur une échelle numérique de 1 à 10. 60mg quo- tidien de coenzyme Q10 leur ont été administrés et des dosages effectués. La concentration plasmatique de coenzyme Q10 a augmenté de 194%, les douleurs musculaires ont diminué de 53,8% et leur faiblesse musculaire a reculé de 44,4%.[140]

Cependant, une méta-analyse de 6 études publiée en 2015 ne montre aucune amélioration significative des myalgies par la complémentation en coenzyme Q10 au cours d’une prise de statine[141].

— Cytotoxicité

Les statines induisent l’apoptose des cellules musculaires par la voie de la capsase-3/7 et de la capsase-9, conséquence d’un stress mitochondrial. Les statines lipophiles (cérivastatine, simvastatine, fluvastatine, atorvastatine, lovastatine, pitavastatine) seraient extrêmement plus concernées par cet effet que les statines hydrophiles (pravastatine et rosuvastatine).

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FIGURE2.31 – Potentiel cytotoxique des différentes statines [89]

De plus, les statines lipophiles s’acculumant plus facilement dans la cellule, on peut sup- poser que leur cytotoxicité est associée à leur coefficient de partage et leur accumulation intracellulaire. L’ordre décroissant de cytotoxicité est donc cérivastatine > simvastatine > fluvastatine > atorvastatine > lovastatine > pitavastatine  rosuvastatine = pravastatine.

Cependant aucun lien n’a été établi entre leur capacité propre à baisser la cholestérolémie et leur cytotoxicité. On préferera donc pour la pratique utiliser une statine peu cytotoxique mais avec une bonne efficacité [89].

Une autre étude indique que la baisse de synthèse du cholestérol dans les myocytes pro- voque son apoptose sans pour autant influer sur la cholestérolémie et que, contrairement à ceux présents dans le foie, les récepteurs aux LDL présents sur les muscles squelettiques ne permettent pas de diminuer le LDL-c plasmatique [142].

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Des prédispositions génétiques existent également pour expliquer les différences de tolérence inter-patients. Ainsi a été découvert le gène SLCO1B1, codant pour le transporteur OATP1B1. Ce dernier régule l’internalisation des statines dans les hépatocytes. En cas de sous expres- sion de ce gène, la quantité de statine circulante et donc le risque de myopathie augmentent considérablement [143, 144].

Conduite à tenir

En cas d’effets indésirables de type myalgies chez un patient hypercholestérolémique, chez qui arrêter le traitement par statine entraînerait un risque d’apparition d’accident cardio- vasculaire potentiellement mortel, quelle attitude adopter ?

La complémentation par le coenzyme Q10 sans changement de statine ou de dose paraît attirante, mais les études discordent quant à son efficacité. Il en est de même pour la com- plémentation en vitamine D. Le consensus de la société européenne de l’athérosclérose ne les conseille pas [50]. Cependant, elle propose de remplacer la statine en place par de la flu- vastatine 80mg à Libération Prolongé (la moins puissante mais la moins dangereuse toujours selon l’étude PRIMO), à associer ou non a l’ézétimibe, elle propose également les séques- trants d’acide biliaire, l’ézétimibe ou le fénofibrate. Plus surprenant, l’association fénofibrate- statine serait possible, selon une méta analyse de 6 études regroupant au total 1628 sujets, dans lesquelles aucune augmentation de myalgie n’a été observée au cours de l’association de fénofibrate avec n’importe quelle statine. Les rhabdomyolyses fatales dûes a l’association fibrate-statine au début des années 2000 seraient propres au gemfibrozil, et les myalgies ne seraient pas un effet de classe parmi les fibrates[145, 144].

Un groupe de recherche s’est intéressé à l’effet nocebo des statines concernant les myal- gies, au regard des nombreux articles de presse, émissions de télévision, débats et livres pu- bliés parlant de ceux-ci. Des sujets se sont vus administré de l’atorvastatine à forte dose, cer- tains étant informés de ses effets indésirables musculaires possibles, mais aux autres n’était pas précisé quelle molécule ils prenaient ni ses effets indésirables. Sur les 339 sujets relatant des douleurs musculaires intolérables, 130 étaient sous placebo. Après calculs, les auteurs conclent que 84% des effets indésirables musculaires ressentis étaient simplement dûs à l’ef- fet nocebo[137]. Cet effet étant atténué si l’on donne au patient le choix de son traitement, les auteurs suggèrent de proposer aux patients victimes de myalgies de choisir entre baisser la dose, essayer une nouvelle statine ou réessayer la même statine au même dosage.

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leurs. Chez de nombreux patients, les myalgies provoquées par les statines ne font que réveler une maladie sous-jacente. Certains patients présentent avant traitement un taux anormalement élevé de CPK, mais ce seront les douleurs qui motiveront une analyse et la détection d’une maladie déjà en place. Ainsi, si les douleurs subsistent 3 mois après l’arrêt de la statine, une pathologie musculaire est à suspecter.

Au vue des longues demi-vie de l’atorvastatine et de la rosuvastatine (respectivement 15 et 20h), on peut envisager une prise semi-quotidienne. Cette stratégie reste assez récente et il n’existe pas de données d’efficacité ou de tolérance au long terme [138].

Chez le sportif, on considère que le risque cardio-vasculaire est à diviser par 2. Par consé- quent, la prise de statine est à éviter chez celui-ci car l’on risquerait d’anéantir ce bénéfice par l’apparition de crampes empêchant son activité physique [146].

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