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Les « effets d’épaisseur » : introduction

Les essais mécaniques menés sur l’adhésif β n’ont pas permis d’établir un lien direct entre le comportement mécanique à l’état massif et celui existant au sein d’un assemblage. Pour cette dernière configuration, nous avons par ailleurs noté une chute des modules d’élasticité ainsi qu’une anisotropie du comportement, d’autant plus marquées que l’épaisseur du joint était faible.

Ce sont ces deux phénomènes que nous regroupons sous l’expression : « effets d’épaisseur »1.

Des résultats similaires2 ont déjà été rapportés avec d’autres adhésifs époxy utilisés

sur substrats métalliques. Si certains auteurs concluent à des insuffisances ou imprécisions

expérimentales3, la plupart s’accordent sur deux hypothèses :

– la conséquence des contraintes résiduelles amplifiées par le confinement,

– l’existence d’une zone d’interphase aux propriétés mécaniques spécifiques se formant entre le substrat et le polymère.

4.1.1 Des contraintes résiduelles

L’essor du collage structural moderne à partir des années 1950 a poussé les ingénieurs à assembler toutes sortes de matériaux. Les premières jonctions verre/métal s’achevaient souvent par une fissuration du verre : les conséquences des contraintes résiduelles au sein des assemblages collés ont été observées avant de pouvoir être étudiées.

Les contraintes résiduelles résultent d’une disparité des propriétés mécaniques, thermiques ou chimiques entre deux matériaux. La réticulation d’un film de colle sur une lame métallique

se traduit par la déflexion4 du système : l’effet bilame équilibre alors les contraintes

internes (FIG. 4.1). Lorsque ces contraintes ne peuvent pas se répartir sur une zone

d’accommodation suffisante, des micro-craquelures5apparaissent.

1

L’épaisseur n’étant pas une propriété matériau, il serait plus juste de parler d’« effets induits » par le confinement, ce dernier étant la conséquence d’une mise en œuvre à une épaisseur donnée. Malgré cette imprécision, l’expression « effets d’épaisseur » sera employée afin d’alléger la lecture.

2

[PERETZ, 1978], [BRISON, 1982], [DEANet al., 1996] 3

[DOLEVet ISHAI, 1981], [JEANDRAU, 1993], [LILLEHEDEN, 1994], etc.

4

[VONPREISSING, 1989]

5[M

ULVILLEet VAISHNAV, 1975], [ORSINIet SCHMIT, 1993], [THOULESS, 1994]

© Joannès

FIG. 4.1 – Mise en évidence des contraintes résiduelles dans un joint

d’adhésif : effet bilame.

Dans les années 1980, plusieurs auteurs6, se sont intéressés à l’évaluation des contraintes

résiduelles et à leurs conséquences. Par des mesures fines et localisées, ils ont noté un affaiblissement des propriétés mécaniques dans une zone proche de l’interface (§ 4.1.2).

4.1.2 Une zone d’interphase

Les travaux concernant l’adhésion des réseaux époxy sur substrats métalliques ont conduit de nombreux auteurs à s’interroger sur les mécanismes chimiques en jeu.

En 1987, R. G. DILLINGHAM7 et F. G. BOERIO ont utilisé la spectroscopie infrarouge

à transformée de Fourier (FTIR8) pour étudier la réticulation d’un système époxy-amine sur

aluminium. Près de l’interface, ils notent la présence d’une zone de composition chimique différente de l’adhésif massif.

En utilisant la même technique, J. NIGRO9et H. ISHIDAétudient en 1989 la réticulation d’un

système similaire sur acier poli. La région interfaciale présente un taux de conversion du système beaucoup plus important que pour le reste de l’adhésif. La même expérience sans durcisseur aboutit à un résultat identique. Ces auteurs en concluent que les espèces en présence à la surface de l’acier sont capables de catalyser l’homo-polymérisation de l’époxy.

V. PÈCHERAUX10 a étendu son étude à plusieurs systèmes époxy-durcisseur et différents substrats métalliques. Des analyses par DSC ont confirmé l’influence du métal sur la réticulation : suivant la nature du substrat, il y a variation de la morphologie des pics exothermiques. L’examen des températures de transition vitreuse a également révélé un taux de réticulation des adhésifs beaucoup plus élevé au voisinage de l’interface.

6

[KNOLLMANet HARTOG, 1982], [HAHN, 1983]

7

[DILLINGHAMet BOERIO, 1987]

8La spectrométrie infrarouge permet d’obtenir des informations sur les liaisons chimiques existant au sein d’un

matériau organique. Elle est basée sur l’absorption d’un rayonnement infrarouge par le matériau analysé.

9[N

IGROet ISHIDA, 1989]

10[P

4.1. LES « EFFETS D’ÉPAISSEUR » : INTRODUCTION 65

Depuis une dizaine d’années, l’effet catalytique du substrat métallique est régulièrement rapporté. Ces recherches ont mis en évidence que les prépolymères liquides époxy-amine réagissent avec des oxydes ou hydroxydes des substrats métalliques pour former des liaisons

chimiques : il y a développement d’une zone d’interphase (FIG. 4.2).

© Joannès

FIG. 4.2 – Représentation schématique de la zone d’interphase.

A la fin des années 1990, certains auteurs se sont penchés sur la caractérisation mécanique et

physico-chimique des interphases. Des techniques de nanoindentation11ont par exemple permis

de constater que la dureté de l’adhésif est 4% supérieure à proximité de l’interface.

De récents travaux12décrivent par ailleurs la formation de complexes organométalliques dans

une zone pouvant s’étendre sur plusieurs dizaines des micromètres. Ces complexes ou chélates

proviennent de la chimisorption13de l’amine et de la dissolution de la couche d’oxyde métallique

par oxydoréduction. Lorsque la configuration des complexes leur permet de cristalliser, cette

cristallisation se produit sous forme d’aiguilles de quelques micromètres de longueur14. Les

cristaux jouent alors le rôle de charges, induisant de nouvelles propriétés mécaniques.

Pour observer la formation des chélates, A.A. ROCHE15, J. BOUCHET et M. AUFREY ont

prolongé le temps de contact avant réticulation entre le polymère liquide et le substrat métallique. Plus le temps de contact est long, plus la quantité de chélates est grande. La réaction ne semble saturer qu’au-delà de 60 minutes. Dans ces conditions, un film de 100 micromètres d’épaisseur présente un module d’Young trois fois supérieur à celui obtenu pour un état massif de l’adhésif. Les complexes organométalliques renforcent les propriétés mécaniques de l’interphase sauf si

les contraintes résiduelles induites engendrent des micro-fissures16. Dans ce cas l’interphase

constitue une couche de faible cohésion aux propriétés mécaniques affaiblies. 11

[SAFAVI-ARDEBILIet al., 1997] 12

[ROCHEet GUILLEMENET, 1999], [BENTADJINE, 2000], [BOUCHETet ROCHE, 2002], [AUFREY, 2005]

13La chimisorption est une adsorption d’origine chimique : il s’agit du phénomène par lequel des molécules liquides

se fixent sur les surfaces solides d’un adsorbant. La chimisorption met en jeu des énergies de liaison importantes.

14

L’orientation des chélates peut induire une anisotropie du comportement mécanique.

15[R

OCHEet al., 2002] 16

Enfin, il est bien évident que le phénomène d’interphase peut également apparaître entre le polymère et les charges minérales ou organiques ajoutées au sein de l’adhésif.