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IV. Discussion générale et perspectives

2. Evolution des effecteurs salivaires et adaptation à la plante hôte

2.2 Les effecteurs aphidiens vus à une échelle micro-évolutive

Régions génomiques et gènes liés à l’adaptation du complexe de biotypes

Au sein du complexe biotypes du puceron du pois, une étude génétique des populations sans a

priori par balayage génomique (genome scan) a révélé plusieurs régions potentiellement liées à la

l’adaptation à la plante hôte (Jaquiéry et al. 2012). Parmi les outliers présentant une différenciation

génétique plus forte que celle attendue sous évolution neutre entre les trois biotypes analysés (pois,

luzerne, trèfle), deux sont proches de gènes codant pour des récepteurs olfactifs et trois proches de

gènes salivaires (Jaquiéry et al. 2012). Ces trois gènes salivaires (ACYPI089376, ACYPI002172,

ACYPI54712) sont prédits dans notre analyse (chapitre II) comme effecteurs salivaires surexprimés

dans les glandes salivaires et sont tous des gènes Aphididae spécifiques sans fonctions connues.

ACYPI089376 et ACYPI002172 appartiennent au même cluster d’orthologues (3 copies chez A. pisum

appartenant au set d’effecteurs surexprimés) et ACYPI54712 est un gène en simple copie évoluant

rapidement au sein des Aphididae (chapitre II). Ainsi, les gènes candidats à l’adaptation de l’espèce

aux légumineuses peuvent être les mêmes que ceux potentiellement impliqués dans la spécialisation

au sein du complexe de biotypes. En plus de cette étude par Jaquiéry et al. (2012), l’analyse de données

pool-seq de 3 des biotypes du complexe a été réalisée au sein de notre équipe (Nouhaud et al. 2017, en

révision). Parmi les gènes se trouvant dans les hotspots de différenciation identifiés entre ces biotypes

(régions génomiques avec une plus forte différenciation que l’attendu sous évolution neutre), il y a un

net enrichissement des effecteurs salivaires, confirmant ainsi un rôle prépondérant de ceux-ci dans

l’adaptation des biotypes à des plantes hôtes différentes. Néanmoins, ces deux études de génétique des

populations ont été réalisées avant l’établissement du set d’effecteurs candidats plus complet (chapitre

II) et sont donc basées sur le premier catalogue établi par Carolan et al. (2011) et sur les travaux réalisés

chez d’autres espèces de pucerons (Harmel et al. 2008; Bos et al. 2010). Par conséquent, nous sommes

actuellement en train de rechercher de nouveaux gènes effecteurs présents dans les hotspots ou outliers

de différenciation entre les biotypes en utilisant le set d’effecteurs candidats défini par ces travaux de

thèse. Ce qui permettra d’avoir une vue d’ensemble de tous les effecteurs candidats potentiellement

liés à l’adaptation des biotypes.

Les approches de génétique quantitative représentent également des outils puissants pour

identifier les régions génomiques et gènes impliqués dans les processus adaptatifs. Ainsi, des QTL

(quantitative trait loci) liées à la préférence et à la performance des pucerons du pois ont été identifiés

et révèlent une base polygénique de l’adaptation à la plante hôte au sein du complexe de biotypes

(Hawthorne and Via 2001; Via and Hawthorne 2002; Via and Hawthorne 2005). Plus récemment, les

clones N116 et PS01 d’A. pisum, appartenant respectivement aux biotypes luzerne et pois ont montré

des performances contrastées sur différents génotypes Medicago truncatula (Kanvil et al. 2014). En

effet le clone N116 est virulent sur la plupart des génotypes alors que le clone PS01 est avirulent sur

les génotypes qui possèdent le gène de résistance RAP1Resistance to Acyrthosiphon pisum 1

(Stewart et al. 2009; Kanvil et al. 2014). L’analyse des descendants résultant du croisement de ces

deux clones a permis de révéler l’existence d’allèles de virulence et d'avirulence chez le puceron du

pois (Kanvil et al. 2015). Des projets sont en cours dans l'équipe et via des collaborations pour

identifier les régions génomiques sous les QTLs et tenter de révéler le(s) gène(s) contrôlant les facteurs

de virulence. Les approches de génétique quantitative offrent beaucoup de possibilités dans

l’identification des régions et gènes impliqués dans l’adaptation à la plante hôte des biotypes. En effet,

les biotypes présentent peu d'isolement reproducteur les uns avec les autres ce qui permet de réaliser

des croisements en induisant la production de formes sexuées par diminution de la photopériode

(Peccoud et al. 2014). De futures analyses pourront ainsi révéler si des effecteurs salivaires candidats

sont situés dans les QTL liés à l’adaptation des biotypes. Néanmoins, toutes ces approches visant à

identifier les régions et l’architecture génomique de l’adaptation du complexe à ses hôtes bénéficieront

grandement d’un génome réassemblé et de meilleure qualité.

Des approches de génétique des populations peuvent également être menées à une échelle plus

restreinte (e.g. approche gène candidat) en ciblant les fonctions qui semblent impliquées dans

l’adaptation à la plante hôte. Certains gènes de récepteurs olfactifs appartenant à des familles

multigéniques spécifiques au génome d’A. pisum et présentant des signatures de sélection positive

(Smadja et al. 2009), ont également montré des empreintes de sélection divergente par des approches

de capture de gènes sur différents biotypes (Smadja et al. 2012; Eyres et al. 2017). De telles approches

pourraient être conduites en ciblant les gènes effecteurs candidats à l’adaptation d’A. pisum aux

légumineuses que nous avons identifiés lors de ces travaux de thèse (chapitre II), permettant ainsi de

faire le lien entre les échelles macro et micro-évolutives.

Polymorphisme et expression différentielles des gènes salivaires candidats

En utilisant des méthodes de détection de signatures de sélection divergente (e.g. Gautier et al.

2013; Vitalis et al. 2013; Gautier 2015) les approches de génétique/génomique des populations ont

déjà permis d’identifier des gènes fortement différenciés entre les biotypes adaptés à différentes plantes

hôtes. Pour certains gènes les SNPs identifiés au niveau génomique induisent un changement d’acides

aminés, suggérant une fonction différente de la protéine, mais pour d’autres la séquence protéique reste

inchangée. La production de protéines différentes, spécifiques des biotypes, à partir d’un gène

présentant des signatures de sélection divergente entre ceux-ci, suggère un rôle important de ce gène

dans l’adaptation des biotypes à leur hôte spécifique. La recherche de polymorphismes non-synonymes

dans les données de séquençage acquises lors des approches de génétique/génomique des populations

mais également parmi les génomes reséquencés de 33 clones représentatifs de 11 biotypes du complexe

(Gouin et al. 2015) disponibles dans notre équipe, permettra de faire un tri parmi les gènes salivaires

candidats afin d’identifier ceux qui semblent avoir des fonctions biotypes-spécifiques, et qui sont donc

potentiellement liés à la spécialisation des biotypes.

Outre ce polymorphisme spécifique des biotypes, les gènes candidats à l’adaptation peuvent

présenter des expressions différentielles entre les biotypes en réponse à l’utilisation de plantes hôtes

spécifiques. Une première étude a montré que des différences d’expression liées à la spécialisation des

biotypes concernaient notamment des gènes salivaires et chimiosensoriels (Eyres et al. 2016) et que

les gènes différentiellement exprimés en fonction de la plante hôte (universelle vs « native ») ne

représentaient pas une grande proportion des différences observées entre les biotypes. Ces résultats

soulignent que les gènes différentiellement exprimés entre les biotypes et potentiellement impliqués

dans la spécialisation, ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui montrent une plasticité lors

du changement entre l’hôte « natif » et l’hôte universel.

Une nouvelle étude transcriptomique a été menée récemment dans notre équipe sur des clones

appartenant aux biotypes pois et luzerne, et comparant les patrons d'expression sur l’hôte universel

Vicia faba et sur l'hôte « natif » pour chacun des deux biotypes. Les données sont en cours de traitement

mais les premiers résultats montrent très peu de gènes différentiellement exprimés en fonction de la

plante comme montré par Eyres et al. (2016), et que les plus grandes différences d’expression sont

observées entre les biotypes. Il ressort également des premières analyses que certains effecteurs

candidats identifiés à l’échelle macro-évolutive comme les familles multigéniques CRP, ACE et apN

et des gènes simples copies évoluant rapidement (notamment C002 et Ap25), sont différentiellement

exprimés entre les deux biotypes. De plus, les gènes KQY/KHI (chapitre III) présentent également des

différences d’expression dépendantes du biotype. Ces résultats préliminaires permettent d’émettre

l’hypothèse que les différents biotypes présentent des profils d’expression des gènes effecteurs

spécifiques à leur hôte, et que le fait qu’ils se développent tous sur V. faba refléterait plutôt une grande

permissivité de cet hôte qu’une plasticité des pucerons.