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3. La disjonction mentale de l’homme et du monde : condition et défis de l’homme urbanisé

3.2. Santé psychotopique et données empiriques

3.2.1. Les données de l’Enquête suisse sur la santé

représentations environnementales qui accompagnent nos comportements ”.296 En attendant une plus ample prise en considération des éléments quantitatifs attendus de la mise en œuvre de cette approche, les relevés publiés par les organisations internationales restent pour l’essentiel placés sous l’angle social ou économique de la question.

Ainsi, dans son appréciation des risques de santé propres à l’environnement urbain, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) porte l’accent sur les conditions d’hygiène et de stress associées à la précarité économique.297 L’International Human Dimensions Programme on Global Environmental Change (IHDP) procède dans une perspective analogue au PNUE.298 L’Organisation Mondiale de la Santé (WHO) insiste aussi sur les aspects sociaux et économiques,299 tandis qu’à l’échelle européenne les statistiques d’Eurostat portent avant tout sur des indicateurs de qualité de l’air et de l’eau (oxydes d’azote et de souffre, ammoniac, particules en suspension, etc.).300

Les sections suivantes visent ainsi à faire le point sur l’état de la littérature spécialisée issue d’enquêtes spécifiques, comme celle sur la santé en Suisse conduite par l’Office fédéral de la statistique (section 3.1.2.2) et celle de la Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé en France (section 3.1.2.1), d’analyses diverses que l’on peut regrouper pour l’attention plus nuancée qu’elles accordent à l’influence du lieu, et que nous qualifierons “ d’esthésiques ” (à savoir, relevant de l’attention à tout ce qui touche aux sens du sujet et à la phénoménologie de la présence en un lieu) (section 3.1.2.3) et, enfin, d’études épidémiologiques consacrées au lien entre le milieu et l’incidence de pathologies psychiques (psychose, dépression, schizophrénie), qui s’appuient toutefois sur une contextualisation topographique sui generis (section 3.1.2.4).

Le section 3.1.2.5 tirera le bilan critique de cette revue en évoquant ce que l’on nommera

“ l’hypothèse atopique ”, par similitude avec le concept durkheimien d’anomie.

3.2.1. Les données de l’Enquête suisse sur la santé

296 Voir “ Pschology and the challenge of global environmental change ”, IHDP Update, Newsletter of the International Human Dimension Programme on Global Environmental Change, Bonn, 4/2004 (“ Environmental psychology [...] includes not only the environment with all what we need to survive, but also the spaces in which to appreciate, understand and act to fulfill higher needs and aspirations [...] by giving a prominent place to environmental perceptions, attitudes, evaluations and representations accompanying behaviour ”, notre traduction).

297 United Nations Environment Programme (UNEP), Health. Chapter 18 in The world environment 1972-1992 : Two decades of change, M. K. Tolba et al. (eds), New York, Chapman & Hall, 1992.

298 International Human Dimensions Programme on Global Environmental Change (IHDP), Update Newsletter on Urbanisation, 03/2002.

299 World Health Organization, Urban Voice, WHO European Healthy Cities Newsletter, N° 1-2, Vol. 2, August 2001.

300 Eurostat, Key data on health 2000, III. “ Risk associated with envrionment, working conditions, leisure and trafic ”, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 2001, pp. 91-92.

L’enquête suisse sur la santé conduite par l’Office fédéral de la statistique (OFS) en 1997 s’est appuyée sur un échantillon d’environ 13'000 réponses à un questionnaire très détaillé.301 Notons d’emblée les limites des données utiles pour notre essai. La répartition des observations en fonction de la taille de la commune de domicile ne permet pas, en effet, de distinguer avec précision le type d’habitat où les personnes interrogées résident, car il existe de nombreuses communes de petite taille sises aux abords des centres urbains. L’OFS ventile bien les données selon une typologie des communes, mais cette deuxième classification tend à mélanger la dimension socio-économique (communes “ riches ”, “ rurales de navetteurs ”, ...), et le profil chorologique (communes “ centres ”, “ suburbaines ”, “ périurbaines ”, ...).

Notons aussi que l’enquête de l’OFS est de type déclaratif. C’est la personne interrogée à se prononcer sur son état de santé, et on sait par ailleurs que cette approche comporte des biais associés au niveau de formation ou au profil sociologique des personnes participant à l’enquête.302 Le tableau 1 résumé les résultats les plus pertinents pour notre propos.

1) Notons d’abord l’augmentation générale des troubles physiques forts déclarés par les personnes interrogées entre 1992 et 1997 (+ 3.7 points, pour atteindre presque un tiers des personnes interrogées). C’est dans les cinq grandes villes suisses (classement par taille de la commune) ou dans les centres et les communes de pendulaires (classement par typologie des communes) que l’accroissement est le plus prononcé (respectivement, 5.6, 4.4 et 5.6 points de pourcentage). Il convient de rappeler que, durant les cinq années qui séparent les deux enquêtes, la Suisse a connu la plus forte augmentation du chômage de l’après-guerre.

2) Les données selon le poids démographique de la commune montrent que l’incidence des troubles physiques forts augmente presque systématiquement avec la taille de la commune, aussi bien chez les hommes que chez les femmes (en 1997, de 20.9 % à 25.6 % pour les hommes, et de 32.3 % à 38 % pour les femmes). Un constat analogue ressort pour le bien-être psychique. Ainsi, 26.9 % des hommes domiciliés dans les communes de plus de 100'000 habitants déclarent un malaise psychique, contre 22.8 % dans les communes de moins de 1'000 habitants, à l’exception notable des communes de 1'000 à 2'000 habitants qui affichent la plus haute proportion de l’échantillon (27.2 %, s’agit-il se communes résidentielles sub- et péri-urbaines ?). Chez les femmes, les données font également état d’une plus forte incidence des troubles psychiques dans les communes de grande taille, encore que, dans les communes de moins de 1'000 habitants, l’enquête enregistre une proportion assez élevée de cas de malaise psychique. De manière générale, l’écart entre les

301 Office fédéral de la statistique, Santé et comportements vis-à-vis de la santé en Suisse 1997, Neuchâtel, 2000, et C. Vonlanthen, Méthodologie statistique de l’enquête suisse sur la santé 1997, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2000.

302 Pour une appréciation des risques de biais, voir Amartya Sen, “ Health : perception versus observation ”, British Medical Journal, Vol. 324, 13 April 2002, pp. 860-61.

petites et la grandes communes se mesure à environ 4 points de pourcentage tant chez les hommes et les femmes, et ceci aussi bien pour les troubles physiques que psychiques.

3) Le classement en fonction de la typologie des communes apporte quelques nuances.

Les hommes déclarant proportionnellement plus de troubles physiques résident bien dans les centres, dans les communes suburbaines et dans les communes rurales de navetteurs.

A quelques détails près, la population des femmes présente un profil analogue, les femmes étant par ailleurs plus nombreuses que les hommes à déclarer des troubles physiques forts (37 % contre 23 %). Pour ce qui est du sentiment de malaise psychique, les données montrent moins de disparité entre les sexes (24.5 % pour les hommes et 26.3 % pour les femmes) et suivent une distribution par type de commune semblable à celle observée pour les troubles physiques. On note quelques données particulières, par exemple, une plus forte incidence que la moyenne pour le malaise psychique chez les hommes habitant les communes riches, et aussi une plus forte disparité entre hommes et femmes domiciliés dans des communes touristiques et déclarant des malaises psychiques.

4) L’enquête révèle encore que les personnes d’origine étrangère déclarent souffrir du sentiment de la solitude plus fréquemment que les suisses.303

303 Office fédéral de la statistique, Santé et comportements vis-à-vis de la santé en Suisse 1997, Neuchâtel, 2000, tableau T 11.5, p. 111.

Hommes Femmes Hommes Femmes 1992 1997 A) Répartition selon la taille de la commune

1. 100'000 habitants et plus 1'725 808'422 25.6 38.0 26.9 28.7 3.3 29.0 34.6

2. 20'000-99'999 1'649 699'997 26.6 41.3 25.4 28.4 3.7 27.7 30.1

3. 10'000-19'999 2'015 900'934 22.9 36.7 25.7 26.8 4.0 27.3 31.8

4. 5’000-9’999 1'985 920'885 23.7 39.6 23.3 26.2 3.1 25.9 28.4

5. 2’000-4’999 2'899 1'363'062 21.5 35.0 22.2 23.7 2.6 26.9 28.4

6. 1’000-1’999 1'440 625'377 20.4 36.5 27.2 24.7 4.5 23.7 10.4

7. Moins de1’000 1'291 561'508 20.9 32.3 22.8 26.9 2.7 24.0 26.7

Total 13'004 5'880'185 23.0 37.1 24.5 26.3 3.3 26.6 30.3

B) Répartition selon la typologie des communes

1. Centres 4'276 1'868'561 24.9 39.3 24.3 28.3 3.5 28.4 32.8

2. Communes suburbaines 3'201 1'527'783 23.7 38.7 25.9 26.6 3.7 26.5 25.1

3. Communes riches 529 253'136 19.0 31.7 27.9 27.2 (4.2) 26.9 27.9

4. Communes périurbaines 1'485 641'221 21.4 34.1 25.0 20.1 2.9 25.2 24.8

5. Communes touristiques 500 165'363 19.4 29.8 19.5 27.6 (3.4) 29.4 28.7

6. Communes industrielles et tertiaires 1'398 663'541 21.8 35.5 23.8 24.7 2.8 25.6 28.5 7. Communes rurales de navetteurs 703 331'483 24.6 32.6 24.4 28.2 (2.9) 22.7 28.3 8. Communes agricoles mixtes et périphériques 912 429'097 19.7 36.7 20.5 25.0 (2.8) 24.0 10.4

Total 13'004 5'880'185 23.0 37.1 24.5 26.3 3.3 26.6 30.3

Source : Office fédéral de la statistique, Enquête suisse sur la santé 1997 (Tableaux 10.1, 10.2 et 10.5)

Tableau 1. Différences relatives à l'état de santé et au bien-être psychique de la population suisse (typologie des communes)

(en %)

Hommes Femmes Hommes Femmes 1992 1997

A) Répartition selon la langue majoritaire dans la commune

Suisse alémanique 8'263 4'203'954 22.8 36.9 24.4 26.3 3.3 25.3 30.0

Suisse romande 3'610 1'395'050 23.0 36.6 24.0 25.0 2.9 30.4 30.2

Suisse italienne 1'131 281'182 26.3 41.6 28.8 32.2 6.1 27.1 30.7

B) Répartition selon les régions du territoire national

1. Région lémanique 3'111 1'079'311 23.2 37.4 24.2 25.6 3.1 30.2 30.2

2. Espace Mittelland 2'745 1'350'940 22.7 36.9 23.7 25.5 2.8 26.7 28.9

3. Suisse du Nord-Ouest 1'592 819'035 22.0 36.0 23.2 27.1 3.0 25.9 8.3

4. Zurich 1'578 1'011'868 26.1 35.1 28.0 26.8 3.6 25.6 30.7

5. Suisse orientale 1'476 808'898 19.6 39.8 22.2 27.9 3.5 23.8 30.3

6. Suisse centrale 1'395 543'131 23.0 35.5 24.0 21.6 3.1 25.7 29.3

7. Tessin 1'107 267'003 25.4 41.7 28.6 32.1 6.3 27.7 32.4

Source : Office fédéral de la statistique, Enquête suisse sur la santé 1997 (Tableaux 10.1, 10.2 et 10.5)

Tableau 2. Différences relatives à l'état de santé et au bien-être psychique de la population suisse (typologie régionale)

Que peut-on retenir de ces données ? L’enquête suisse sur la santé ne permet pas d’identifier des corrélations incontestables. Il apparaît cependant que les personnes habitant les grands centres urbains ou à leur proximité immédiate ont tendance à déclarer des troubles de santé physique et psychique plus fréquemment par rapport aux résidants des autres types de communes. En revanche, il n’est pas clair dans quelle mesure il faille tenir l’élément géographique comme facteur explicatif des disparités observées, puisque les dimensions socioculturelles et démographiques jouent un rôle très important (voir ci-dessous, l’analyse de la Fnors). A titre d’illustration (cf. tableau 2), l’enquête de l’OFS montre que la population tessinoise annonce des troubles de santé pour chaque catégorie supérieurs à ceux enregistrés dans les autres régions de la Suisse. Enfin, il n’est pas évident de savoir s’il est légitime d’imputer la plus forte manifestation des sentiments de solitude chez la population étrangère à l’expression d’une forme d’angoisse territoriale, plutôt que de chercher à cette donnée une explication de type socio-économique.