• Aucun résultat trouvé

Les difficultés liées à l’apprentissage de l’orthographe

Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.2. L’orthographe grammaticale

2.2.1. Les difficultés liées à l’apprentissage de l’orthographe

L’orthographe française figure parmi les systèmes orthographiques les plus complexes à apprendre (Legros et Moreau, 2012). Il n’est donc pas étonnant de constater qu’elle constitue l’une des plus grandes sources de difficulté des élèves francophones québécois (Bibeau et coll., 1987 ; Bureau, 1985 ; Chartrand & Lord, 2010a ; Larose, 2001 ; MELS, 2009 ; MELS, 2015), tout comme c’est le cas ailleurs dans la francophonie (Manesse et Cogis, 2007 ; Rocher, 2008). Cette complexité du système orthographique du français s’explique notamment par les principes phonogrammique, morphogrammique et logogrammique sur lesquels repose le système. Ces principes doivent faire l’objet d’un enseignement rigoureux et explicite à l’école primaire et secondaire. Les principes morphogrammique et logogrammique ne sont pas « naturels » pour les jeunes élèves qui voient l’écrit comme une simple transcription de l’oral. Comme l’observent Ducard et coll., « [l]a connaissance d’un mot oral fournit un point de départ à l’écriture, par les références sémantiques et sonores qu’elle propose, mais elle ne résout en rien les problèmes de mise en forme graphique. » (Ducard et coll., 1995, p. 114). C’est pourquoi il est important de bien faire distinguer l’oral de l’écrit lors de l’apprentissage de l’orthographe (lexicale et grammaticale). En partant de l’oral, il faut faire observer les différences entre la forme orale et écrite des mots pour que les élèves comprennent pourquoi ils ne peuvent pas toujours se référer à l’oral. Les élèves doivent réaliser que « […] la plupart du temps, les marques du pluriel des noms ou des verbes n’ont pas de correspondants phonologiques » (Fayol, 2008, p. 155), et que même si elles en ont un, les marques du pluriel peuvent aussi se transcrire de plusieurs façons. Ils doivent donc constater que le recours à l’oral n’est pas toujours suffisant.

Dans le milieu scolaire, il ne sera pas question des principes mentionnés ci-dessus, lesquels renvoient à la théorie linguistique. Il sera plutôt enseigné que la graphie d’un mot peut être correcte en fonction de deux critères qui englobent les principes phonogrammique, morphogrammique et logogrammique : le critère lexical et le critère grammatical. Le premier renvoie à ce que l’on nomme orthographe lexicale, correspondant à la forme du mot tel qu’on peut la retrouver dans le dictionnaire. Le second renvoie à l’orthographe grammaticale, c’est-à-dire à la modification de la forme de base du mot en fonction des règles grammaticales et des normes langagières. L’orthographe lexicale et l’orthographe grammaticale ne sont cependant pas logées à la même

27

enseigne. La première repose notamment sur la mémoire en relation avec le vocabulaire et les connaissances sur le monde. La seconde implique la réflexion et une capacité de mise à distance par rapport à son propre langage à l’aide d’outils pour l’analyse grammaticale (Cogis, Brissaud, Fisher et Nadeau, 2016).

La haute capacité d’abstraction requise pour accorder correctement les mots expliquerait pourquoi l’orthographe grammaticale constitue une source de difficulté importante des élèves en français écrit. De fait, la complexité du système orthographique du français exige des élèves qu’ils fassent une analyse grammaticale constante de ce qu’ils écrivent afin de bien réussir les accords, qui sont la plupart du temps inaudibles (Brissaud & Bessonnat, 2001 ; Manesse & Cogis, 2007). Puisque l’utilisation des marques morphographiques est régulée par l’environnement (la phrase, le texte) dans lequel le mot se trouve, les élèves doivent constamment s’interroger sur leurs choix. Pour être en mesure d’analyser leurs choix, les élèves doivent d’abord posséder un important inventaire de connaissances grammaticales. Il faut qu’ils connaissent les principales règles d’accord et qu’ils soient être en mesure de reconnaitre à quelle classe le mot à accorder appartient. Pour cela, ils doivent connaitre les caractéristiques propres à chaque classe (sémantique, morphologique et syntaxique). Une fois sa catégorie grammaticale identifiée, les élèves doivent connaitre les marques graphiques propres à la classe de mots auquel le mot appartient (Manesse & Cogis, 2007). Autrement dit, ils doivent savoir si le mot en question varie en genre, en nombre, en personne. Par exemple, dans un texte, les élèves doivent être capables de repérer le mot dans le groupe verbal ou nominal, d’identifier sa classe, de voir les relations syntaxiques qui unissent ce mot à d’autres unités (mots, groupes, phrases subordonnées et phrases) et finalement de choisir la graphie correcte. S’ils considèrent qu’ils doivent ajouter une marque grammaticale de nombre, par exemple, ils devront déterminer si ce mot se met au pluriel par adjonction (ajout d’un – s ou d’un

–x) ou par amalgame (modification de la forme du mot), et la forme qu’il doit prendre. Dans ce

deuxième cas, le lexème et le morphème sont plus difficiles à identifier, particulièrement avec les verbes. Par exemple, dans sont, on distingue mal le lexème et le morphème, c’est-à-dire la base lexicale (ou racine) et la marque grammaticale (Ducard et coll., 1995), ce qui veut dire que les élèves ne pourront pas simplement extraire la racine du mot et lui apposer un morphogramme du pluriel. Ils devront utiliser des ouvrages de référence et se servir de leur mémoire pour emmagasiner les différentes formes des mots qu’ils utilisent le plus souvent.

28

Certains accords seront maitrisés avant d’autres, et selon le contexte dans lequel sont placés les mots, ce sera plus ou moins difficile pour les élèves de faire les accords nécessaires. En plus du contexte, Cogis (2005) relève plusieurs facteurs qui vont influencer la complexité de la tâche orthographique, dont l’audibilité des marques d’accord, la longueur de la chaine d’accord, la position relative des unités, la présence de rupteurs et leurs caractéristiques, la présence de mots déclencheurs d’accord (Cogis, 2005, 2016).

L’audibilité des marques d’accord va influencer la complexité du travail d’accord. Le travail d’accord sera plus facile s’il est possible d’entendre la présence du morphogramme et il sera plus ardu si ce n’est pas le cas. Par exemple, si les élèves veulent accorder l’adjectif oraux dans la phrase Des exposés oraux occupent une grande partie du cours, ils n’auront pas de difficulté à le faire, car on entend très bien la différence, tandis que s’ils veulent accorder le verbe occupent, ils auront plus de difficulté s’ils se basent sur l’oral, car la différence n’y est pas audible entre le pluriel et le singulier.

La longueur de la chaine d’accord va également influencer la complexité des accords à réaliser. Dans une longue chaine comme le petit garçon aux grands pieds chaussés de pantoufles bordeaux, les accords seront plus difficiles à réaliser que dans une courte chaine comme le petit garçon.

La position des unités va aussi avoir une influence sur la complexité : si le sujet n’est pas placé en début de phrase, l’accord sera plus complexe. Ainsi, dans la phrase Rares sont ceux qui sont venus

me voir, les accords sont plus difficiles à réussir que dans la phrase Ceux qui sont venus me voir sont rares.

La présence de « rupteurs » va aussi influencer la complexité du travail d’accord, car, s’ils sont voisins, les mots sont relativement faciles à accorder, mais s’il y a présence de mots « écrans » qui séparent le sujet du prédicat, par exemple, le pronom les dans la phrase Je les range dans la

29

à accorder le verbe avec le pronom qui le précède, soit les (qui reprend un nom pluriel), car il est un déclencheur d’accord pour lui14. Par déclencheur d’accord, nous entendons des pronoms et des déterminants, dont le nombre et la personne (seulement pour les pronoms) vont influencer la réflexion des élèves menant à l’accord. La présence de déclencheur d’accord va parfois complexifier le travail menant à l’accord tel que nous venons de le voir, mais, souvent, elle va plutôt le simplifier. Par exemple, lorsqu’une phrase commence par des, les élèves savent que le mot suivant devra être au pluriel, que son morphogramme grammatical se traduise ou non par l’ajout ou la modification d’un phonème dans sa prononciation.

Tous ces facteurs nous permettent de comprendre que « […] les erreurs commises ne dépendent pas seulement des savoirs dont on dispose ; elles sont également déterminées par le niveau d’exigence des tâches » (Ducard, Honvault, & Jaffré, 1995, p. 101). Il y a donc un immense travail d’apprentissage de la part des élèves qui doit être fait pour qu’ils puissent réussir les accords dans la plupart des situations.

Dans la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, Chartrand, Aubin, Blain, & Simard (2011) proposent un regroupement des notions et règles qui permettent de mettre l’accent sur les régularités de la langue et ainsi de simplifier l’apprentissage de ces règles d’accord. D’abord, une notion importante est celle de classes de mots invariables et de classes de mots variables, car si les élèves savent qu’un mot est invariable, ils ne chercheront pas à l’accorder. Ensuite, les notions de donneur (classe variable qui donne ses traits grammaticaux) et de receveur (classe variable qui reçoit les traits grammaticaux d’un donneur) vont permettre aux élèves de mieux comprendre les relations syntaxiques qui unissent les mots, ce qui va leur permettre d’appliquer les règles d’accord correctement. Les auteurs présentent trois règles générales d’accord qui couvrent une très grande majorité des accords que les élèves seront amenés à réaliser au cours de leur parcours scolaire : les accords dans le groupe du nom, les accords régis par le sujet et les accords régis par le complément direct du verbe. Bien qu’une telle présentation de ces notions et de ces règles puisse grandement simplifier l’apprentissage de l’orthographe grammaticale, l’acquisition de celles-ci demeure

14 L’erreur peut être causée par une certaine compréhension (ou incompréhension) du système des accords ; l’élève

peut penser que parce qu’il y a un mot pluriel devant le verbe, il doit faire l’accord. Toutefois, il peut aussi s’agir d’une erreur causée par une surcharge mentale ou par une inattention.

30

complexe. Rappelons que développer sa compétence en orthographe grammaticale prendrait plusieurs années selon des spécialistes (Brissaud, 2007 ; Cogis, 2005). Nous terminons cette section en présentant une définition de cette compétence si complexe à développer.