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LA PME FAMILIALE ET LE DEVELOPPEMENT DE LA CONNAISSANCE DANS UN CONTEXTE

I.- Les deux conceptions dominantes de l’apprentissage organisationnel

Au sein de la littérature relative à l’apprentissage organisationnel, l’on distingue schématiquement deux approches dominantes : l’approche comportementale dite aussi behavioriste et l’approche cognitive. Nous instrumentaliserons ces deux approches pour l’étude de l’internationalisation de l’entreprise. Dès lors, il importe, au préalable, de les expliquer et de démontrer leur pertinence quant à nos objectifs.

A- L’approche comportementale de l'apprentissage organisationnel

Pour les comportementalistes, les expériences intérieures, qui sont l’objet de la psychologie, ne peuvent être étudiés car elles ne sont pas observables. Des modèles du type stimulus-réponse seraient plus appropriés pour l’étude de l’apprentissage. Ainsi, l’apprentissage est manifesté par les changements de comportement. Par ailleurs, la pratique est essentielle pour que cet apprentissage ait lieu (Ingham, 1997).

L’idée de changement comportemental graduel et adaptatif domine cette approche. Ce changement est fait d’ajustements et fondé sur des routines c’est-à-dire sur des réponses existantes à certains problèmes. Le processus est donc dépendant du passé puisque ces routines, ensembles coordonnés et répétés d’actions (Nelson et Winter, 1982), résultent d’un apprentissage dont elles constituent le point d’aboutissement organisationnel (Le Roy, 1999)1. On retrouve les prémices d’une telle conception chez Penrose (1959). L’auteur, en analysant le processus de croissance de l’entreprise comme une " perspective de déploiement ", conçoit cette entité dans une perspective de croissance endogène en se focalisant sur sa propension propre à accumuler de la connaissance. L’ensemble des opportunités de production de l’entreprise est ainsi élargi. Selon Penrose, les tâches managériales et les problèmes de prise de décision retiennent le temps et l’attention du manager. Mais, en se familiarisant avec ces problèmes, il devient capable de les prendre en charge d’une manière routinière et remplace progressivement les formulations de problèmes explicites et

1 La littérature sur l’apprentissage organisationnel et sur les capacités dynamiques parle de dynamique reproductive c'est-à-dire que les capacités et les compétences sont exploitées de sorte que les actifs sont reproduits ou simplement développés de manière incrémentale sur un horizon de court ou moyen terme. Ces dynamiques peuvent être soit réplicatives (routines statiques, selon D. TEECE et ali., 1994) permettant d’augmenter l’efficacité des trajectoires et routines existantes (c'est-à-dire une courbe d’expérience), soit innovatrices. L’étendue de ces innovations et améliorations reste cependant limitée et de court terme. Au total, les dynamiques reproductives sont fondées sur l’apprentissage par l’expérience soumis à une contrainte de sentier.

articulées par une compréhension fondée sur une connaissance plus tacite. Le manager peut ainsi faire des économies sur ses ressources décisionnelles rares puisque l’application des solutions se base désormais sur des routines. En retour, de nouvelles ressources managériales sont développées afin de résoudre de nouveaux problèmes et donc faciliter la croissance. Des ressources deviennent, en effet, disponibles et permettent au preneur de décision de diriger son attention vers des tâches non encore " routinisées ". Libérer des nouvelles ressources managériales dépend donc de la " routinisation " progressive des tâches qui permet au management d’élargir son répertoire d’actions ainsi que les activités de l’entreprise.

En termes d’apprentissage organisationnel, cette " routinisation " consiste donc en une transformation ou une conversion de la connaissance d’un état explicite vers un état tacite (Nonaka et Takeuchi, 1998). La nouvelle connaissance est accumulée en transformant la connaissance formelle et articulée concernant la meilleure manière de résoudre les problèmes en des routines fortement tacites. L’accumulation de la connaissance est donc le résultat d’un processus d’internalisation. Mais si l’apprentissage comportemental use tout d’abord d’un tel processus, il se fonde davantage sur un processus de socialisation. Au niveau organisationnel, il s’agit d’un processus de partage d’expériences permettant la création de connaissances tacites tels que les modèles mentaux et les aptitudes techniques (Nonaka et Takeuchi, 1998). Au niveau individuel, l’acquisition de la connaissance tacite se fait directement à partir des autres individus sans l’utilisation de langage mais grâce à l’expérience (observation, imitation et pratique). Sans une forme d’expérience partagée, il serait en effet difficile à l’individu de se projeter dans le processus de pensée de l’autre (Nonaka et Takeuchi, 1998). Et le simple transfert d’information a peu de sens s’il est séparé des émotions et contextes spécifiques où l’expérience partagée s’enracine.

B- L’approche cognitive de l'apprentissage organisationnel

L’approche cognitive, d’autre part, se fonde sur l’étude du contenu des états mentaux et des représentations pour expliquer l’apprentissage. Il s’agit d’étudier la modification de l'état de la connaissance organisationnelle c'est-à-dire le changement cognitif (Fiol, 1994)1. Il s’agit aussi de considérer l’apprentissage comme une opération de traitement d'information et d'acquisition de connaissances nouvelles. Contrairement à l’approche précédente, le changement dans l’état de la

1 Cf. C. FIOL (1994), " Consensus, Diversity, and Learning in Organizations ", Organization Science, Vol. 5, n°3, pp. 403-420.

connaissance explique, ici, le changement comportemental. Au sein de cette approche, mentionnons l'existence d'une hiérarchie entre deux conceptions ou degrés de l’apprentissage. L’une privilégie une conception forte de l’apprentissage au détriment de l’apprentissage " adaptatif " mineur1. L’apprentissage mineur ou à simple boucle, pour Argyris et Shon (1978), est un apprentissage instrumental qui change ou adapte les théories d’action (theories-in-use) ou les hypothèses qui leur sont sous-jacentes sans les remettre en cause. Il s’agit d’un apprentissage d’amélioration qui augmente la stabilité de l’organisation et réduit la variabilité des comportements (Le Roy, 1999). Pour Dodgson (1993), il ne fait que compléter la base de connaissance sans en altérer la nature. L’apprentissage à double boucle, à l’inverse, est celui qui entraîne un changement dans les théories d’action par lequel le système d’hypothèses sous-jacentes est remis en cause et modifié. Cet apprentissage entraîne une modification cognitive significative impliquant un questionnement des théories et des systèmes de règles existants2 en étant moins orienté vers le " comment " que vers le " pourquoi " (Le Roy, 1999). Par exemple, ce type d’apprentissage menace les routines dites " défensives ", des programmes de raisonnement défensifs (Argyris et Shône, 1978), qui doivent être exposées afin d’être éliminées. Cet apprentissage, garant de l’atteinte des valeurs de l’apprentissage organisationnel, devrait ainsi mener vers un changement comportemental ayant un effet positif sur la performance de l’organisation3 (Ingham, 1997).

A l'instar de l’apprentissage comportemental, la forme cognitive se fonde sur deux types de processus : la combinaison4 essentiellement et l’extériorisation dans une moindre mesure. La combinaison est le processus de systématisation des concepts en un système de connaissance (Nonaka et Takeuchi, 1998) grâce précisément à la combinaison de différents corps de

1Cette distinction constitue un lieu commun dans la littérature malgré la différence des qualifications des deux niveaux d'apprentissage : C. ARGYRIS et D. SCHON (1978) : Single-loop, Double-loop ; C. FIOL et M. LYLES (1985) : Behavioral development, Cognitive development ; P. SENGE et ali. (1990) : Adaptative

learning, Generative learning ; M. DODGSON (1993) : Tactical learning, Strategic learning.

2 Le concept d’organisation apprenante est l’illustration extrême de ce raisonnement où l’apprentissage organisationnel revêt la qualité d'une capacité organisationnelle (W. COHEN et D. LEVINTHAL, 1989). P. SENGE et ali. (1990), dans sa cinquième discipline, décrit l’organisation apprenante comme étant celle qui élargit constamment sa capacité de créer son futur. Ainsi, remettre en cause et adapter les modèles mentaux est nécessaire afin d’atteindre l’état d’organisation apprenante, même s’il s’agit que d’une seule composante des cinq disciplines.

3 L'on parle aussi dans la littérature de dynamiques exploratoires qui consistent dans la promotion de l’innovation et la création de nouvelles routines et capacités. Le succès de l’exploration présuppose une compétence non seulement dans la mobilisation des ressources ou capacités mais aussi pour l’apprentissage et la recherche (searching) sur le long terme. L’apprentissage basé sur l’exploration implique ainsi un processus de

search basé sur l’essai et l’erreur moins soumis à une contrainte de sentier, plus chaotique ce qui permet la

création de nouvelles compétences et routines. Les capacités managériales impliquées dans cette dynamique exploratoire sont moins mécaniques, routinières et étroites que celles impliquées dans la dynamique reproductive. Par ailleurs, elles mettent en jeu une capacité d’absorption plus élaborée.

connaissances explicites. Grâce aux médias (documents, réunions, conversations téléphoniques et réseaux de communication), les individus échangent et combinent la connaissance. Cette reconfiguration de l’information existante (connaissance explicite) grâce au tri, addition, combinaison et catégorisation engendre une nouvelle connaissance explicite. Quand il s’agit d'innovation, raison d’être de la théorie de la création de connaissance organisationnelle pour Nonaka et Takeuchi (1998), la combinaison intervient quand lors de la mise en réseau d’information et de connaissance codifiée par les managers afin de créer de nouveaux concepts " intermédiaires ". Ces derniers se veulent une opérationnalisation des buts globaux de l’entreprise, des idées d’activités ou des concepts de produits élaborés à l’échelle de la direction.

L’extériorisation, pour sa part, est le processus d’articulation de la connaissance tacite en des concepts explicites. L’utilisation d’un langage, bien que présentant des insuffisances, est nécessaire pour conceptualiser une image (Nonaka et Takeuchi, 1998). Favorisé par le dialogue et la réflexion collective, ce processus, considéré essentiellement comme un processus de création de concepts, se fonde sur l’utilisation de méthodes analytiques de déduction ou d’induction afin de générer l’expression adéquate. A défaut, l’utilisation des méthodes non analytiques par les métaphores et les analogies s’impose. Les qualités des dirigeants quant à l’utilisation du langage et de l’imagination seraient, d’ailleurs, essentielles afin de clarifier la connaissance tacite détenue par les membres de l’organisation (Nonaka et Takeuchi, 1998).

En guise de conclusion de ce bref aperçu des courants de l'apprentissage organisationnel, soulignons que les dimensions cognitives et comportementales qui viennent d’être présentées ne sont pas aussi séparées que pourrait le laisser croire les approches strictes précédemment exposées (Ingham, 1997). Un autre point de vue qui prévaut est celui que l’on apprend en marchant. Réexaminant le lien entre l’action stratégique et la réflexion stratégique, les théories de l’organisation et la stratégie avouent que ces deux variables ne sont pas dissociées mais que des interactions récursives entre elles existent à différents niveaux de l’organisation et entre ces niveaux (Avenier, 1999 ; Mintzberg et ali., 1999). La connaissance se construit par l’action, par la réflexion et l’interprétation dans et au travers de l’action (Koenig, 19951). Cette conception ne va pas sans nous rappeler l’idée de compréhension rétrospective de Weick (19792) : toute compréhension prend source dans la réflexion et dans un regard jeté sur le passé car il y a nécessité de donner du sens à l’expérience passée (Weick, 1979). On agit d’abord, on trouve et sélectionne ce qui fonctionne bien, c’est à dire que l’on donne rétrospectivement du sens à nos

1 Cité par M. INGHAM (1997), in La connaissance créatrice.

actions, et on retient seulement, parmi ces comportements, ceux qui paraissent désirables. Ainsi, le monde ne consiste pas en une entité stable " la dehors ". Au total, pour Mintzberg et ali. (1999), la réalité émerge d’une interprétation et d’une mise à jour constantes de notre expérience passée. Le processus d’apprentissage organisationnel est donc mieux conçu en tant que combinant des phases à dominante comportementale et des phases à dominante cognitive en interaction (Ingham, 1997).

Parmi les constructions théoriques représentatives de cette position, le modèle de l’apprentissage expérientiel de Kolb (1984) ainsi que la théorie de la création de la connaissance due à Nonaka et Takeuchi (1998) méritent toute notre attention. Au niveau individuel, Kolb (1984) propose un modèle d’apprentissage dit " expérientiel " où les individus apprennent aussi bien grâce à leurs expériences " informelles " que par une éducation formelle. L’apprentissage expérientiel implique une rencontre directe avec le phénomène étudié plutôt qu’une imagination de cette rencontre ou la simple considération d’une possibilité de faire quelque chose concernant cet objet (Borzak, 19811). Au niveau organisationnel, le travail de Nonaka et Takeuchi (1998) tente lui aussi une synthèse des formes de l'apprentissage organisationnel. La désormais célèbre spirale de la connaissance met, en effet, l’accent sur les complémentarités des processus de création de connaissance. Le processus est " complet " quand il combine les deux dimensions de l’apprentissage. Selon ces auteurs, la création de connaissance organisationnelle est une dynamique d’interaction continue entre connaissance explicite et connaissance tacite.

Un des mérites de l'approche développée par Nonaka et Takeuchi (1998) est qu'ils analysent explicitement et tentent de caractériser l’objet central de l’apprentissage organisationnel en l'occurrence la connaissance. Etant entendu que les différentes formes d’apprentissage mettent en jeu ou produisent de la connaissance sous une forme explicite ou plus implicite, il est important d’analyser cet objet, de déterminer ses caractères et son rôle au sein de l’organisation. Notre recherche se préoccupe de cet élément puisque c'est sur la base de la connaissance développée que la progression internationale va être menée.

1 L. BORZAK (Eds) (1981), Field Study. A Source Book for Experiential Learning, Berverly Hills: Sage Publications ; (Cité dans " David KOLB on Experiential Learning ", paru sur le site www.infed.org)