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4. LE DÉVELOPPEMENT DE LA LUTTE

4.1. Les opportunités politiques

4.1.4. Les corps intermédiaires

Les médias qui se sont intéressés à la lutte ont généralement véhiculé des messages qui y étaient favorables, mais tout dépendant, bien entendu, des journaux, des journalistes et des années. La couverture de la lutte semble avoir été plutôt satisfaisante, vu le nombre important d’articles retrouvés sur le sujet au cours des recherches effectuées pour cette monographie. Le rôle joué par les médias, dans le cadre de cette lutte, a donc eu de l’importance puisqu’ils ont contribué à informer les citoyens sur la question et à mobiliser l’opinion publique en faveur de cette cause. Grâce aux médias qui se sont intéressés à la lutte, les groupes qui l’ont menée ont pu obtenir une assez bonne visibilité et une bonne diffusion de leurs demandes et revendications. Cet appui généralement favorable des médias à la lutte pour la reconnaissance des sages-femmes a donc contribué à informer et conscientiser la population québécoise face à la pratique sage-femme et aux bénéfices de son intégration aux soins en périnatalité au Québec, constituant, par le fait même, une opportunité favorable pour les groupes en lutte. Une des raisons expliquant cette couverture plutôt favorable à la pratique sage-femme et à sa reconnaissance pourrait être le fait « qu’on offrait

de nouveaux services à la population, on donnait accès à de nouveaux services et quand il y a une demande populaire, les médias souvent soutiennent ça et surtout quand les gens se plaignent qu’ils n’ont pas pu avoir accès à un service, les médias vont jouer là-dessus » (Entrevue 3, 2006).

Néanmoins, il faut tout de même dire que l’opinion générale des médias par rapport à la santé place souvent le médecin en position d’autorité, que les immenses possibilités des technologies médicales y sont souvent valorisées et que de nombreux « exploits » y sont rapportés. Les médias « entretiennent ainsi l’image de la toute-puissance médicale, tout en laissant dans l’ombre les actions préventives qui auraient pu, dans bien des cas, éviter l’intervention médicale » (Desjardins, 1993 : 16). De plus, même si l’opinion générale des médias était favorable à la lutte, « ils ont rapporté évidemment quelques objections de la part des médecins, de dire la sécurité c’est important, les accouchements en dehors de l’hôpital c’est loin des techniques de réanimation » (Entrevue 3, 2006). Certaines affirmations qui faisaient parfois office de désinformation y ont également été véhiculées et ont pu nuire à la lutte. « Mais peut-être que le principe qui dit : parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en, a aidé. Parce qu’on en a beaucoup parlé. » (Entrevue 2, 2006)

Les divers sondages effectués par rapport à l’appui donné par la population à la reconnaissance de la pratique sage-femme au Québec ont donné des résultats assez favorables à cette lutte. En effet, un premier sondage réalisé en 1985 a montré que 6 870 des 7 710 femmes de 20 à 39 ans interrogées étaient favorables à la reconnaissance des sages-femmes (Comité de travail, 1987 : 79). Un deuxième sondage réalisé en 1985 a fait savoir que 7 270 des femmes interrogées connaissaient la profession de sage-femme et que 68 % d’entre elles choisiraient d’accoucher avec une sage-femme (Comité de travail, 1987 : 79). Un autre sondage réalisé cette fois en 1991 a révélé « qu’une majorité de Québécois était en faveur des sages-femmes. 78,5 % des 1 003 répondants à ce sondage s’étaient dits d’accord avec la légalisation de leur profession si les sages-femmes pratiquaient dans un milieu sécuritaire, et 64 % pensaient qu’elles pourraient apporter des améliorations aux services existants » (Laflamme, 1993). Puis, en 1993, les sondages ont toujours signalé un appui de la population à la reconnaissance des sages-femmes. En effet, les résultats de ce sondage indiquaient que :

…81 % des Québécois supportent l’accouchement par les sages-femmes en dehors des centres hospitaliers. Quant à l’accouchement par les sages-femmes dans un hôpital, 93 % des Québécois n’y opposent aucune réticence. La population ne croit pas, à 70 %, que les accouchements devraient être réservés

aux médecins. Les deux tiers (65 %) croient que la profession des sages-femmes devrait carrément être légalisée si les médecins continuent leur obstruction. Seulement 22 % des Québécois appuient les médecins dans leur opposition aux

projets-pilotes sages-femmes. Enfin, une majorité de femmes (55 %)

préféreraient accoucher avec une sage-femme si l’occasion leur était offerte, contre 38 % d’opposantes. Quant aux hommes, 70 % disent qu’ils seraient d’accord pour que la mère de leur enfant accouche avec une sage-femme.

Lacroix, 1993

Ces sondages ont donc témoigné que l’appui important donné par la population à la lutte pour la reconnaissance des sages-femmes constituait l’opportunité pour les groupes en lutte de mobiliser un plus grand nombre d’acteurs autour de la question.

Différentes recherches ont également été effectuées sur la question de la pratique sage-femme et de sa reconnaissance. Certaines de ces recherches ont même été utilisées pour appuyer la lutte ou ont été citées dans les médias québécois pour appuyer les demandes des groupes en lutte. C’est notamment le cas d’une étude réalisée auprès de 12 000 femmes américaines et publiée pour la première fois en 1989 dans le New England Journal of Medicine, qui concluait que les centres de maternité étaient une « solution de rechange sûre et acceptable à l’accouchement en centre hospitalier, pour des femmes répondant à certains critères de sélection » (Gagnon 1991). Cette étude a également conclu, en parlant de la pratique sage-femme, que « peu d’innovations dans le domaine de la santé promettent autant d’économie de coûts, de disponibilité accrue et un taux de satisfaction élevé accompagné d’un niveau de sécurité comparable » (Vadeboncoeur, 1993). De plus, ces chercheurs ont comparé les résultats obtenus dans leur étude « avec ceux de cinq études portant sur 45 000 femmes ayant eu des grossesses dites à risques peu élevés et ayant accouché en centre hospitalier. Les bébés se portaient aussi bien après une naissance en centre de maternité qu’après une naissance en centre hospitalier » (Vadeboncoeur, 1993).

D’autres articles portant sur cette étude ainsi que sur d’autres études ont été publiés en 1992 dans le Journal of Nurse-Midwifery. Un des articles présentait une « étude comparative menée en même temps [que la précédente] et avec les mêmes méthodes auprès d’un groupe comparable de 2 000 femmes ayant été suivies de façon traditionnelle et ayant accouché en centre hospitalier » ; ces femmes ont fait l’objet d’un suivi par des professionnels adhérant à une philosophie similaire à celle des sages-femmes. La plupart des résultats de cette recherche ont été similaires à la précédente, sauf en ce qui concerne les taux d’interventions. En effet :

…même si les intervenants adhéraient à la même conception de l’événement qu’est une naissance, les femmes accouchant en centre hospitalier reçurent deux fois plus d’analgésiques, de sédatifs ou de calmants, eurent neuf fois plus de surveillance par moniteur externe, quatre fois plus de travail provoqué artificiellement, deux fois plus de stimulation du travail, trois fois plus d’intraveineuses pendant le travail, un tiers de plus d’épisiotomies et deux fois plus de césariennes, que les femmes ayant commencé leur travail en centre de maternité extra-muros, et ce, sans que l’état de la mère ou du bébé ne s’en trouve amélioré.

Vadeboncoeur, 1993

Cette recherche concluait donc que « des issues de grossesse également favorables ont été constatées dans les deux endroits. Accoucher en centre de maternité n’a présenté aucun risque pour la clientèle » (Vadeboncoeur, 1993).

De plus, d’autres recherches portant sur la pratique des sages-femmes ont également été publiées dans ces deux revues ainsi que dans d’autres revues médicales sérieuses. La majeure partie de ces études, réalisées auprès de 10 000 à 45 000 femmes, a conclu que les accouchements en centres de naissance avec des sages-femmes bien formées et une pratique bien encadrée étaient très sécuritaires pour les mères et leurs enfants (Tougas, 1996).

Les recherches effectuées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) abondaient également en ce sens. En effet :

…les méta-analyses indiquent un taux de mortalité infantile équivalent entre les naissances à l’hôpital et celles à domicile. Selon le rapport d’un groupe de travail présenté à l’Organisation mondiale de la santé en 1997, la sage-femme semble être le dispensateur de soins de santé le plus approprié et du meilleur rapport coût-efficacité pour les soins pendant une grossesse et un accouchement normaux, pour l’évaluation des risques et la reconnaissance des complications.

Lord, 2003

Toujours selon le rapport de l’OMS, lorsqu’un accouchement est normal, il « nécessite seulement l’observation d’un accoucheur qualifié capable de déceler les signes précoces de complications. Il ne requiert aucune intervention, seulement des encouragements, un soutien et un peu de tendresse » (Lord, 2003).

Toutes ces recherches portant sur la pratique sage-femme et d’autres encore démontraient donc que la pratique sage-femme serait une possibilité intéressante à considérer en périnatalité. En effet, il semble que la sécurité serait autant assurée que dans les centres hospitaliers et qu’avec la pratique traditionnelle de l’obstétrique. La reconnaissance de cette profession et son intégration dans le système de soins périnataux au Québec aurait également comme avantages une réduction

des dépenses pour les accouchements ainsi qu’un plus grand support psychologique et émotif pour les femmes. Ces études constituaient donc d’autres opportunités favorables à la lutte.