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La construction et le maintien de l’identité collective

3. L ’ ÉMERGENCE DE LA LUTTE

3.3. La construction et le maintien de l’identité collective

Divers groupes ont participé à la lutte pour la reconnaissance des sages-femmes au Québec. Ces groupes sont pour la plupart bien distincts, mais une identité collective les unit sur certains points, facilitant leur mobilisation autour de la même cause. Parmi ces groupes, on peut déterminer deux types d’identités collectives qui se sont construites autour des bases différentes. Ces identités

collectives concernent différentes conditions qui permettent à des gens partageant des intérêts et des inquiétudes communes de s’identifier comme un groupe.

Le premier groupe peut être désigné comme « nous, les sages-femmes québécoises ». L’identité de ce groupe s’est construite autour de l’appartenance à une profession, soit celle de sage-femme. L’identité collective des acteurs composant ce groupe est très importante, puisqu’elles sont les principales concernées par cette lutte. En effet, la possibilité d’exercer leur profession en toute légalité dépend directement de l’issu de cette lutte.

Le deuxième groupe est beaucoup plus large que le premier et concerne le « nous, les femmes québécoises ». En fait, ce groupe inclut toutes les femmes québécoises, les sages-femmes en faisant donc également partie. Cette identité est fondée principalement sur le genre et s’inscrit dans le mouvement plus global de lutte des femmes pour faire reconnaître leurs droits. Le mouvement des femmes fait partie des nouveaux mouvements sociaux, qui se caractérisent généralement par une organisation moins formelle que les mouvements sociaux traditionnels (par exemple, le mouvement ouvrier) et visent l’atteinte des changements sociaux plus globaux associés à des valeurs non matérialistes. Cette lutte s’inscrit également dans un mouvement plus large de revendications des femmes en matière de santé et de périnatalité. Elle témoigne de la volonté des femmes d’avoir un plus grand contrôle sur leur vie et leur santé, ainsi que d’un désir d’humanisation des soins face à la médicalisation des naissances et des accouchements développée dans les dernières décennies. Elle vise donc l’atteinte des changements sociaux importants en matière de santé, de périnatalité et de droits des femmes et fait appel à des valeurs plus globales et plus humaines d’écoute, de soutien, d’amour, de temps et de compréhension.

Cette lutte, qui s’est déroulée sur de nombreuses années, a fait couler beaucoup d’encre dans les médias québécois, car elle a suscité de nombreuses réactions, de la part de divers acteurs sociaux, autour de cette question. Cette large couverture médiatique a également contribué à créer un mouvement d’appui considérable à cette lutte en faisant un enjeu de société important dans le domaine de la périnatalité. Cette lutte n’aurait donc probablement pas pu donner les résultats qu’elle a donnés sans la mobilisation importante qui l’a entourée.

Il ne semblait pas difficile de recruter des adhérents à cette lutte, les différents organismes ayant mené la lutte avaient donc une anticipation assez positive du nombre d’adhérents qu’ils pouvaient réunir afin de mener à bien cette lutte. On retrouvait deux principaux types d’adhérents, soit des sages-femmes qui recherchaient une reconnaissance tant professionnelle que personnelle, par la reconnaissance de leur pratique et profession, mais également, du même coup, de leur philosophie de vie. Le deuxième type d’adhérents était représenté par des jeunes femmes en âge de procréer et désireuses de faire respecter leur choix, en matière de maternité et d’accouchement, d’avoir recours aux services de sages-femmes (Entrevue 1, 2006).

Dans cette lutte, certaines conditions relatives à l’identité ont été favorables à la mobilisation. C’est notamment le cas de l’homogénéité de la position sociale, de la contribution socialement reconnue ainsi que de la tradition de lutte avec succès et échecs. Les groupes ayant participé à cette lutte faisaient principalement partie du mouvement d’humanisation des soins en périnatalité, du mouvement des femmes ainsi que des groupes de sages-femmes québécoises. Ces divers mouvements regroupaient généralement des organismes très diversifiés. Les groupes ayant pris part à cette lutte étaient donc plus ou moins homogènes sur le plan de la position sociale. En effet, en ce qui concerne le sexe, on se rend compte que les militantes étaient majoritairement des femmes. En ce qui concerne l’âge des militantes, il semblait difficile de déterminer s’il constituait réellement une caractéristique objective commune. Néanmoins, la majorité des femmes qui ont participé à la lutte et qui ont revendiqué l’accès aux services de sages-femmes étaient principalement des femmes en âge de vivre la maternité et ayant de jeunes enfants. En effet, ces femmes étaient plus enclines à participer à la lutte, puisqu’elles se sentaient plus directement concernées par cette dernière. « Si les femmes vieillissent et que leurs enfants sont devenus adultes, elles sont moins prises par le côté périnatal, donc ce sont des jeunes femmes qui vont prendre la relève, parce qu’elles sont rendues à cette étape-là dans leur vécu de femmes » (Entrevue 1, 2006). Pour ce qui est du revenu, du niveau d’éducation et des classes sociales, il n’y avait pas de caractéristiques communes, la lutte traversait toutes ces distinctions et regroupait des femmes provenant de divers milieux (Entrevue 1, 2006). Finalement, une caractéristique importante semblait être un type d’approche et de vision de la vie et de la société commune à toutes les femmes et sages-femmes impliquées dans la lutte et faisant appel aux services de sages-femmes. En effet, on trouvait plus de tendances écologiques, une plus grande conscience sociale ainsi qu’une prise en charge de sa santé et de son bien-être plus importante chez les femmes et les sages-femmes impliquées dans cette lutte. Des valeurs d’autonomie, d’empowerment et de confiance en ses capacités étaient très présentes (Entrevue 1, 2006).

Le mouvement des femmes, à travers les nombreuses luttes auxquelles il a pris part au Québec, a su démontrer qu’il pouvait avoir une contribution socialement reconnue. En effet, les nombreuses luttes menées par ce mouvement au Québec concernaient principalement la reconnaissance de certains droits dont les femmes québécoises étaient privées et répondaient aux demandes et besoins des femmes d’obtenir plus de pouvoir sur leurs vies et leurs décisions. Le mouvement des femmes est un mouvement riche en matière de traditions de lutte au Québec. À travers le 20e siècle, les femmes ont dû se mobiliser et lutter sur de nombreux plans afin de faire

reconnaître plusieurs de leurs droits fondamentaux. C’est notamment le cas du droit de vote, du droit de prendre leurs propres décisions indépendamment de leurs maris, du droit d’information et d’action en matière de contraception et de planification des naissances, du droit à l’avortement ainsi que du droit de choisir les conditions de leur accouchement. La plupart de ces luttes ont connu du succès, néanmoins, pour obtenir ces gains, les femmes ont dû faire preuve d’une grande

persévérance, car ces luttes ont presque toutes nécessité de longues années de mobilisation. À travers cette expérience, le mouvement des femmes a donc acquis une certaine ténacité face à la conduite de luttes, qui lui a été utile dans celle de la reconnaissance des sages-femmes.