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Des études indiquent qu’à l’adolescence, l’engagement dans un processus de désistement est facilité par des facteurs agentiels, par exemple la volonté de changer (Einat, Ronel et Zemel, 2015; Haigh, 2009; Panuccio, Christian, Martinez et Sullivan, 2012; Zdun et Scholl, 2013), les projets de vie (Abrams, 2012; Barry, 2010) et la (re)prise du pouvoir d’agir et de contrôler son avenir (Einat et al., 2015; Haigh, 2009; Stouthamer-Loeber et al., 2004), mais aussi par des facteurs relationnels, particulièrement le soutien offert par le réseau social informel, composé notamment des membres de la famille et des pairs (Barry, 2010, 2013; Gunnison et Mazerolle, 2007; Panuccio et al., 2012; Schroeder, Giordano et Cernkovich, 2010; Southamer-Loeber et al., 2004; van Domburgh et al., 2009) et parfois par le réseau formel, c’est-à-dire les acteurs du système de justice pénale (Barry, 2013; Einat et al., Panuccio et al., 2012; Zdun et Scholl, 2013). Ainsi, le désistement des adolescents n’est pas seulement le fruit de processus individuels et normatifs liés à la maturation (Cauffman et Steinberg, 2000; Rocque, 2015). Il nécessite une remise en question des attitudes favorables à la criminalité, l’identification d’un projet d’avenir et la capacité à contrôler ses pulsions ou de se mettre à la place des autres (Barry, 2007; Giordano et al., 2002; Paternoster et Bushway, 2009; Vaughan, 2007). À cet égard, les résultats de la recherche doctorale soulignent l’importance des ouvertures dans la structure sociale pour initier ou soutenir les efforts de désistement, notamment en donnant accès à des programmes d’employabilité ou à des opportunités de développer des habiletés de gestion des émotions.

D’un point de vue structurel, les contraintes associées à la réponse pénale peuvent briser la routine (Abrams, 2012) et constituer des opportunités de changement (hooks for change, Giordano et al., 2002). Dans le contexte de l’ODP, l’imposition de conditions visant à contrôler ou à encadrer les comportements des adolescents, par exemple en limitant leurs sorties et leurs fréquentations, ou encore, en les obligeant à participer à des programmes en lien avec leurs besoins spécifiques, a pu contribuer, dans certains cas, à l’éloignement initial de la délinquance. En provoquant des changements dans leurs rôles sociaux, la peine peut marquer un point tournant dans la trajectoire de délinquance, en diminuant l’attrait ou les opportunités de commettre des délits, ou encore le temps disponible pour le faire, de même qu’en permettant la création de nouveaux liens sociaux (Laub et Sampson, 2003; Massoglia et Uggen, 2010). Cependant, les parcours de vie tumultueux des ADGP peuvent faire obstacle à de tels changements (Kirk et Sampson, 2013; Lussier et al., 2015). En effet, la recherche doctorale montre que, pour certains d’entre eux, l’accès au rôle d’étudiant, par exemple,

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a pu être contraint en raison de difficultés académiques antérieures (échecs, problèmes de comportement) qui ont limité l’accès à certains programmes ou établissements de formation. D’autres ont eu des difficultés à se conformer aux exigences en raison de difficultés personnelles et familiales. Conséquemment, pour devenir des leviers de changement, les conditions imposées dans le cadre d’une peine alternative doivent être utilisées de façon judicieuse et être adaptées aux circonstances de vie des adolescents, en plus d’être réalistes et réalisables. Dans le cas contraire, elles peuvent faire obstacle à la phase de séparation, alors que les adolescents qui cessent de commettre des délits, volontairement ou à la suite de l’imposition de mesures pénales, passent par une triple transition : de « délinquant » à « non-délinquant », de « consommateur » à « abstinent », d’adolescent à jeune adulte (Haigh, 2009). Ils font alors face à des pertes de statut, d’amitiés et de reconnaissance sociale (Barry, 2007, 2016; Einat et al., 2015; Haigh, 2009). En l’absence d’alternatives pour compenser ces pertes, retourner à d’anciennes d’habitudes peut être particulièrement attrayant (Paternoster et Busheway, 2009).

Alors qu’ils ont commencé à se distancier de la délinquance, les désisteurs sont amenés à réfléchir à leurs buts et à leurs aspirations, aux actions à prendre et aux efforts à consentir, en tenant compte des ressources auxquelles ils ont accès (voir F.-Dufour et Brassard, 2014; Vaughan, 2007; Weaver, 2016). La phase critique est marquée par l’ambivalence et par l’incertitude quant à son avenir, la (re)construction de liens sociaux et la fréquentation de nouveaux lieux. Des études indiquent que les adolescents en transition vers le désistement secondaire sont engagés dans des projets de vie « conventionnels » –ou veulent le faire–, par exemple occuper un emploi pour subvenir à leurs besoins ou fonder une famille (Barry, 2007, 2010; Einat et al., 2015), c’est-à-dire qu’ils peuvent envisager des identités alternatives (possible self, Paternoster et Bushway, 2009). La motivation au changement serait intrinsèque et permettrait de soutenir l’ambivalence qui caractérise la phase critique (Zdun et Scholl, 2013). En plus d’orienter le cours de la vie des adolescents, ces buts les amènent à investir de nouvelles sphères sociales et leur donnent l’opportunité de créer des liens sociaux pour faire contrepoids aux ruptures vécues durant la phase de séparation (Gunnison et Mazerolle, 2007, Haigh, 2009; Panuccio et al., 2012; Zdun et Scholl, 2013). L’analyse des dossiers de suivis a révélé que la majorité des adolescents n’avaient pas de projet vocationnel clairement établi à la fin de la période d’observation de 12 mois, malgré qu’ils étaient assujettis à des conditions les obligeant à occuper un rôle social. Dans la majorité des dossiers, les intervenants ont noté que les adolescents avaient opté

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pour des objectifs à moyen terme, notamment en lien avec l’acquisition de biens matériels ou de ressources financières. Ils seraient alors orientés vers l’atteinte des marqueurs traditionnels de l’entrée dans le monde adulte (Massoglia et Uggen, 2010) ou encore vers la conformité aux contraintes pénales, en « faisant ce qu’ils ont à faire » pour éviter des sanctions supplémentaires (Farrall, 2002; King, 2014). L’imposition d’une sanction pénale ne suffit donc pas à soutenir le désistement à plus long terme (King, 2014), qui reposerait plutôt sur la poursuite de buts conventionnels (Barry, 2013). En l’absence d’un projet de vie structurant (Einat et al., 2015; Maruna, 2001; Paternoster et Bushway, 2009; Zdun et Scholl, 2013), la multiplication des contacts avec les acteurs du système de justice pénale pourrait plutôt nuire aux efforts des adolescents pour se distancier d’une identité de « délinquant grave et persistant » (Abrams, 2012; McAra et McVie, 2010). Cela pourrait être attribuable au fait qu’ils n’ont pas la possibilité de montrer qu’ils peuvent faire les choses autrement (redemption script, Maruna, 2001).

La maturation « sociale » donnerait accès à de nouveaux rôles sociaux de sorte que les adolescents se conformeraient, parfois même involontairement, aux normes et aux attentes sociales (Bersani et Doherty, 2018; Laub et Sampson, 2003; Massoglia et Uggen, 2010; Paternoster et al., 2015; Weaver, 2016). À cet égard, l’un des obstacles importants au désistement des adolescents concerne leur position sociale, car leur vulnérabilité peut limiter l’accès aux ressources nécessaires aux changements (Murray, 2012). Les résultats de la recherche doctorale montrent que certains ont eu à faire des efforts importants, que ce soit pour (ré)intégrer un milieu de formation ou entreprendre un suivi en lien avec un problème spécifique, par exemple la consommation abusive de substances psychoactives, des problèmes de santé mentale ou des difficultés dans la gestion des émotions. Ces démarches ont pu été freinées par les conditions socioéconomiques de la famille et le manque de disponibilité des ressources. Pour surmonter ces obstacles, donner des conseils aux adolescents (ou « faire faire », selon l’expression du ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2016c), c’est-à-dire leur dire quoi faire, n’est pas suffisant. Les données indiquent que les modalités de suivi et d’intervention doivent être adaptées en fonction des circonstances et du vécu de chaque adolescent, afin de favoriser les changements cognitifs et identitaires, soit la transition vers le désistement secondaire.

Durant la phase critique, il apparait important que les intervenants et les adolescents, d’une part, se mettent en action et, d’autre part, créent un espace pour réfléchir, planifier et orienter les projets

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d’avenir. Les intervenants peuvent soutenir l’engagement dans un processus de désistement, dans la mesure où ils créent et qu’ils aident les adolescents à percevoir les ouvertures dans la structure sociale (F.-Dufour et Brassard, 2014). Des études soulignent que l’accès à des programmes d’employabilité et de développement des habiletés sociales, selon les priorités et les désirs des désisteurs, est un élément important à considérer pour soutenir le désistement (King, 2014; Stouthamer-Loeber et al., 2004). Cela appelle à un effort et à une mobilisation collective des ressources, puisque ces programmes sont le plus souvent offerts par des organismes communautaires (Farrall, 2002; King, 2014). Il s’agit d’un point important à considérer pour optimiser les pratiques d’intervention, car la référence vers ces organismes peut être perçue comme un fardeau supplémentaire (King, 2014). En effet, les résultats de la recherche doctorale indiquent que la multiplication des démarches peut exposer les adolescents à des risques de manquement et à un resserrement des modalités de surveillance.

Les résultats de la recherche doctorale amènent à considérer la relation entre les intervenants et les adolescents qu’ils accompagnent. Une relation de qualité, basée sur la confiance, le respect mutuel et la valorisation des efforts de changement (Barry, 2013; Einat et al., 2015; Matthews et Hubbard, 2007; Panuccio et al., 2012; Zdun et Scholl, 2013) serait favorable au développement d’une vision positive de soi (looking glass self, Maruna, LeBel, Mitchell et Naples, 2004) (Barry, 2016; Healy, 2012; King, 2014; Rex, 1999; Ricciardelli, 2018). Ainsi, en donnant des dernières chances aux adolescents plutôt qu’en leur imposant des sanctions supplémentaires en cas de manquement, les intervenants ont pu trouver un équilibre entre leurs rôles d’agent de surveillance et de réadaptation. Les données indiquent que les intervenants ont misé sur l’intégration sociocommunautaire des adolescents en leur permettant d’explorer et d’expérimenter différents rôles sociaux, d’apprendre à se connaitre, de vivre des expériences positives, en plus de développer des habiletés personnelles et sociales en vue de l’élaboration ou de la réalisation d’un projet de vie. À cet égard, l’intervention peut devenir une source de désistement tertiaire.

En somme, les données indiquent que les désisteurs ont cheminé à des rythmes différents vers le désistement secondaire, selon les obstacles structurels rencontrés, leur volonté de changement et le soutien social formel et informel reçu/perçu. Ainsi, dans une perspective de désistement assisté, les résultats de la thèse invitent à une réflexion entourant les politiques et les pratiques d’intervention

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auprès des ADGP, afin de mettre en place des interventions susceptibles d’initier, de soutenir et de favoriser la transition vers le désistement secondaire. Cette réflexion doit toutefois se faire en prenant en compte les forces et limites de la démarche, lesquelles sont abordées dans la section suivante.