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Les conséquences d’un siècle de dépôts acides

Les facteurs identifiés au paragraphe précédent ne doivent toutefois pas être invoqués pour minimiser l’effet des dépôts acides sur les écosystèmes.

Entre 1970 et 1991, on a observé une baisse significative des taux de Ca et Mg échangeables et des rapports C/N, excepté pour l’horizon de surface, des sols de hêtraies des Vosges (Dambrine et al., 1998b).

Les résultats du réseau RENECOFOR montrent que les dépôts de soufre ont diminué entre 1993 et 2002 (Ulrich et al., en préparation). En dépit de cette baisse, le soufre est toujours estimé être un élément perturbant le fonctionnement chimique et biologique des sols (Cecchini, 2000a).

En 1998, un bilan des études des forêts du Nord-Est de la France montre que les réserves en cations basiques sont en baisse, avec des zones où en 30 ans les taux de saturation du sol ont baissé de plus de 60 %. Les teneurs en azote, d’origine atmosphérique, ont augmenté mais le pH des sols est resté stable (Dambrine et al., 1998b; Dupouey et al., 1998). C’est grâce à la baisse des dépôts soufrés que le pH ne diminue plus mais à cause des dépôts azotés qui restent élevés simultanément à une augmentation de CO2 dans l’atmosphère, le développement de la flore est favorisé. Il en résulte que le taux de

croissance des arbres augmente en même temps que baissent les réserves en cations du sol, une situation qui n’est pas « durable » (INRA, 2002a, b).

La distribution de l’aluminium dans le sol change aussi avec le taux d’acidification. Si Probst et al. (1995) n’ont pas constaté de lessivage de ce métal acidifiant dans le bassin versant d’Aubure (Vosges), ils l’ont mesuré en fortes concentrations dans les horizons profonds.

L’effet des parasites est d’autant plus vigoureux que les arbres sont déjà affaiblis par d’autres causes de stress. Ainsi certains champignons délétères qui ont été observés dans des plantations d’épicéas dans les Vosges semblent apparaître lorsque le sol est acide. Ils pourraient affecter les fonctions racinaires des arbres (Devêvre et al., 1995).

Selon Bonneau et al. (2000), l’acidification que nous observons de nos jours est la conséquence du cumul des apports depuis plusieurs décennies. Ceux-ci ont causé l’acidification des horizons minéraux dont la forte teneur en aluminium échangeable ne permet plus de récupérer les cations basiques (calcium et magnésium) venant de la minéralisation des couches organiques en surface. Ce phénomène inquiète les gestionnaires forestiers qui ont bien compris que le sol est une ressource non renouvelable (Ranger et al., 2000). Il n’y a pas eu de cataclysme écologique à la suite des forts dépôts atmosphériques de soufre des années 70 et 80, mais nos forêts ne sont pas à l’abri de carence en éléments minéraux dans les années à venir (Dupouey et al., 1998 ; Duquesnay et al., 2000;

Landmann, 2002).

Dans les années 90, l’acidification des sols et des cours d’eau a été clairement établie dans les Vosges, les Ardennes, le Massif Central et l’Aquitaine (Landmann, 1996 ; 1997). Une étude lancée en 1995 dans les Vosges montre que sur 400 ruisseaux échantillonnés dans des zones identifiées comme étant à risque dans les Vosges, près de 90 % présentaient des signes de dégradation liés à l’acidification du milieu. Cela conduit à une perte de ressources en eau potable et a des coûts économiques et environnementaux importants.

Ainsi, il y a quelques années, une commune a dû renoncer à un captage d’eau potable à cause de la forte acidité de la nappe phréatique. La construction de ce captage lui avait toutefois déjà coûté quelques millions d’euros… De plus, lorsque les réseaux de distribution des eaux potables sont encore en plomb, l’acidification des eaux de distribution peut conduire à des risques sanitaires liés au saturnisme, comme on en a encore observé dans les années 1990 dans certaines communes des départements de Meurthe et Moselle et des Vosges. Il a été montré que la diminution du pH de l’eau d’une unité (observée entre les années 1960 et 1990) pouvait entraîner une multiplication des teneurs en plomb par un facteur de 8 ou 10 pour l’eau consommée dans la journée (Dambrine et al., 1999). Enfin, l’eau potable est d’ores et déjà obtenue d’un nombre de plus en plus restreint de ruisseaux. En aval des captages, les flux diminuent jusqu’à poser un problème pour la survie des écosystèmes aquatiques.

Le problème est international : diverses études montrent que les problèmes d’acidification persistent ou apparaissent dans le reste de l’Europe ou du monde : en Norvège, les apports acidifiants naturels et anthropiques dépassent le pouvoir tampon du sol d’après l’étude de (Kvaalen et al., 2002). L’étude de Moldan et al. (2004) montre que malgré des baisses attendues des dépôts azotés et soufrés supérieures à 50 et 65 % entre 1990 et 2010, l’acidification des sols suédois ne cessera pas d’ici 2010 : l’ANC remonte mais les cations basiques continuent à être lessivés. Les calculs de charges critiques sur la Suisse suggèrent

apports atmosphériques acidifiants (Brini et Bonanni, 1999). À l’échelle mondiale, diverses études suggèrent que l’Amérique du sud, l’Afrique et l’Asie sont aussi des zones où l’acidification et l’eutrophisation représentent des risques importants (Bouwman et al., 2002 ; Kuylenstierna et al., 2001; Rodhe et al., 2002).

Au Québec, Bélanger et al. (2002b) craignent que l’accumulation de dépôts acides ait déjà atteint la limite au-delà de laquelle il faudra plusieurs siècles pour que les écosystèmes puissent être restaurés. Selon Stoddard et al. (1999), il est possible que certains sols aient perdu leur réserve de cations basiques par le lessivage résultant d’années de dépôts acides.

Les eaux de surface dont les bassins versants ne contiennent plus de cations basiques ne peuvent, même si les dépôts acides sont stoppés, se restaurer, leur alcalinité restant trop faible.

10.4.2 Charges critiques acidifiantes

Les résultats du sous-réseau de surveillance CATAENAT au sein du réseau RENECOFOR combinés aux mesures de pluviométrie de Météo France permettent de construire des cartes de la répartition géographique des dépôts de soufre, d’azote et de cations basiques en France sur une grille de 15 km par 15 km. Les résultats statistiques de cette étude sont donnés dans le Tableau 10-1 de façon à pouvoir les comparer aux résultats des travaux de Party sur les charges critiques acidifiantes.

Tableau 10-1 : Statistiques des dépôts acidifiants et eutrophisants en France selon les résultats du sous-réseau CATAENAT pondérés par la pluviosité (Croise et al., 2002). Les mêmes dépôts sont donnés avec les deux unités le plus généralement utilisées pour faciliter les comparaisons.

Substances Moyenne sur la France

Gamme de dépôts Moyenne sur la France

Gamme de dépôts

kg ha-1 an-1 kéq ha-1 an-1

Sulfate 5,8 3,3 - 12,0 0,36 0,21 - 0,75

Azote total minéral

7,8 3,4 - 12,4 0,56 0,24 - 0,89

Nitrate 3,1 1,6 - 5,3 0,22 0,11 - 0,38

Ammonium 4,6 1,8 - 7,1 0,33 0,13 - 0,51

En France sur 60 % du territoire, les charges critiques pour les forêts sont supérieures à 2 kéq ha-1 an-1 et elles sont inférieures à 0,5 kéq ha-1 an-1 sur moins de 10 % du territoire.

Les cinq groupes de sols français dont les charges critiques d’acidité ont les plus faibles valeurs (< 0,5 kéq ha-1 an-1) sont (Party et al., 2001b) :

1. Les sols bruns acides et podzolisés sur grès et granites acides, notamment dans les Vosges ;

2. Les sols bruns acides (plus rarement podzolisés) des granites les plus acides du Massif Central ;

3. Les sols bruns acides (parfois podzolisés) des granites et surtout des schistes de l’Ouest de la France (Vendée, Bretagne, Normandie) ;

5. Les sols bruns acides, lessivés et podzolisés des sables des Landes et des formations résiduelles à silex des vallées de la Loire et de la Seine, le groupe le plus sensible puisque sa charge critique est inférieure à 0,2 kéq ha-1 an-1.

Les ensembles régionaux où les dépôts atmosphériques acidifiants (soufre + azote) dépassent ou sont proches des charges critiques sont (Party et al., 2001b) :

• Les Ardennes ;

• Les Vosges, l’Alsace et la Moselle ;

• Le sud-ouest de l’Ile de France (Yvelines, Fontainebleau) et plus ponctuellement la Champagne ;

• La vallée de la Loire et plus ponctuellement la vallée de la Seine ;

• Le rebord est du Massif Central et plus ponctuellement son rebord ouest (Limousin, Haute Vienne) ;

• Les Landes de Gascogne ;

• La Bretagne et la Normandie ;

• Et dans une moindre mesure, très ponctuellement, les Pyrénées.

Il n’y a pas eu de vérification sur le terrain pour évaluer la correspondance entre ces prédictions et les cas avérés d’acidification (Party et al., 2001b). Mais une étude de Robert (2001) confirme que les sols des Landes et des massifs cristallins ont des charges critiques faibles.