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Concentrations critiques et charges critiques : définitions

Initialement, la charge critique a été définie comme étant « une estimation quantitative de l’exposition à un ou plusieurs polluants en dessous de laquelle des effets nocifs significatifs sur des éléments sensibles spécifiés de l’environnement n’apparaissent pas dans l’état actuel des connaissances » (Nilsson et Grennfelt, 1988). Cette définition, qui reste la définition officielle des charges critiques, a été discutée à plusieurs reprises depuis 1988 dans la mesure où elle ne prenait pas en compte la notion de « développement durable » et qu’elle ne reflétait pas l’incertitude des prédictions (Løkke et al., 2000). Elle n’a toutefois pas été modifiée dans le cadre de la Convention de Genève.

Les charges critiques ont été conçues comme un instrument de mesure et de modélisation de l’impact des polluants sur l’environnement. Cette définition des charges critiques peut donc être traduite en un certain nombre de termes quantifiables et reliés entre eux par une série de modèles représentés sur la Figure 6-1.

Modèle biologique Cible à protéger animal, plante

Charge critique Charge réelle

Modèle de flux à l'équilibre Concentration

critique

Excès ?

Emissions

Cartographie, optimisation

Modèle atmosphérique

Figure 6-1 : Schéma représentant les relations entre les concepts de concentrations et de charges critiques, les écosystèmes à protéger, les émissions de polluants et leurs dépôts. Les cases jaunes schématisent l’utilisation des charges critiques comme outils d’aide à la décision.

Tout d’abord de façon à évaluer les « effets nocifs significatifs sur les éléments sensibles spécifiés », on utilise des critères biologiques ou « indices biologiques » : ceux-ci permettent d’évaluer l’impact du polluant sur le milieu. Ce sont par exemple la nécrose des racines des arbres ou la biodiversité. Selon le workshop sur les charges critiques qui a eu

fonctionnelle d’un écosystème qui puisse être affectée par des changements dans les dépôts atmosphériques acidifiant ou eutrophisant ». Ces indicateurs dépendent des écosystèmes (forêts, tourbières, zones humides …) et aussi des buts à atteindre (production ou biodiversité). Ils doivent permettre de détecter des changements dans les dépôts de composés acidifiants et eutrophisants avec un temps de réponse de 10 à 20 ans et pour lesquels des relations doses-réponses solides peuvent être identifiées (Løkke et al., 2000).

Forme mathématique de ces relations doses-réponses, le modèle biologique représenté sur la Figure 6-1 associe aux critères biologiques un ou plusieurs critères chimiques. Ces critères sont souvent des concentrations (concentration d’azote dans le sol ou dans les tissus des plantes) ou des paramètres dépendant directement de concentrations (CEC, ANC, pH …). Le critère chimique est donc fixé : c’est une « valeur critique » ou « seuil » qui ne doit pas être dépassé pour que les « effets nocifs significatifs ... n’apparaissent pas ».

La « valeur critique » à ne pas dépasser est celle d’un paramètre tel que le pH, la CEC, l’ANC, la concentration en azote dans le sol, etc.

Ces critères seront présentés dans la Section 7. Il persiste d’importantes difficultés relatives à leur évaluation et à leur utilisation.

6.1.2 Charges critiques et excès

Le dépassement du critère chimique dans un milieu n’est possible que s’il y a, ou s’il y a eu dans le passé, des apports de polluant. Ces apports sont appelés « charges ». La charge critique est l’apport qui fait que la concentration de polluant dans le milieu deviendra égale à la concentration critique. Dans les écosystèmes, l’apport de polluant se fait sur une période de temps plus ou moins longue. Le concept de la charge critique est toutefois basé sur l’hypothèse d’un apport constant sur une période infinie, dans un système où tous les processus ont une vitesse constante et où les pertes sont égales aux apports. C’est l’hypothèse de système en régime permanent et à l’équilibre. Elle n’est pas vérifiée dans la nature, où les apports ont varié au cours des dernières décennies et où les processus varient aussi (en fonction par exemple de l’âge des forêts) mais cette hypothèse n’empêche pas d’obtenir, en première approximation, certaines informations utiles sur l’acidification et l’eutrophisation des écosystèmes terrestres.

L’hypothèse du système à l’équilibre en régime permanent permet de prévoir que si l’apport est égal à la charge critique pendant une période de temps infinie, la concentration de polluant dans le milieu deviendra égale à la concentration critique. Mais il n’est pas possible de prévoir avec le seul concept de la charge critique quand la concentration de polluant dans le milieu deviendra égale à la concentration critique.

La charge critique et la concentration critique sont interdépendantes. Si l’on connaît l’une il est possible de calculer l’autre en fonction des caractéristiques du milieu et de celles du polluant. Ce calcul se fait à l’aide d’un modèle de flux en régime permanent dans un système à l’équilibre (Figure 6-1).

La charge et la concentration critiques sont des valeurs seuils qui sont évaluées pour chaque écosystème. Pour savoir si un écosystème risque d’être détérioré par des dépôts acides ou eutrophisants, il faut comparer les charges réelles aux charges critiques. Ces charges réelles sont les dépôts sur le milieu évalués à partir des émissions de polluants et de leur dispersion dans l’atmosphère. Ces calculs se font à l’aide de modèles

atmosphériques locaux ou régionaux (de type EMEP5 pour les modèles régionaux) ou à partir de modèles de dépôts nationaux plus fins et donc plus adaptés à la diversité des stations ou des écosystèmes (Croisé et al., 2002).

La différence entre charges critiques et charges réelles détermine s’il y a excès pour un écosystème donné. Les excès peuvent être cartographiés pour chaque région et chaque type d’écosystème étudiés. Les cartes sont utilisées pour déterminer les zones à risques et pour optimiser les politiques de réduction d’émission de polluants.

6.1.3 Charges critiques empiriques

Les concepts de charges critiques et de concentrations critiques décrites ci-dessus sont basés sur une approche de calculs et de modèles. Il a été aussi défini des charges critiques empiriques, un concept basé sur une approche expérimentale appuyée par des mesures et des observations sur le terrain (Figure 6-2).

La charge critique empirique est l’apport de polluant le plus faible qui induit « des modifications détectables dans la structure et le fonctionnement des écosystèmes en l’état actuel des connaissances » (Grennfelt et Thörnelöf, 1992). Pour évaluer une charge critique empirique, il faut, sur un écosystème choisi (forêt, landes, eaux de surface…), observer ou mesurer la modification d’une cible biologique ou chimique. Ceci nécessite de choisir, comme pour les charges critiques calculées, un critère biologique ou un critère chimique qui puisse être associé sans ambivalence avec la modification de la cible biologique.

Simultanément, il faut mesurer les dépôts de polluants. Il s’agit là de mesurer les apports totaux de composés soufrés et azotés sur le sol. En forêt, les mesures de dépôts atmosphériques faites au-dessus de la canopée (c’est-à-dire les dépôts totaux ou les dépôts humides) ne sont pas équivalentes aux mesures faites en dessous (c’est-à-dire dans les pluviolessivats). Il faut en outre combiner les dépôts secs et les dépôts humides. Les techniques d’échantillonnage sur site existent mais ne sont pas aisées à mettre en œuvre ni disponibles dans tous les groupes de recherche. À défaut, on utilise souvent des modèles de dépôts qui permettent de déduire les dépôts totaux sur les sites à partir d’un type de mesure (par exemple, la mesure des concentrations dans les pluviolessivats). Si aucune mesure n’est disponible, il est aussi possible d’utiliser les résultats des modèles atmosphériques régionaux. L’utilisation de modèles permet d’intégrer des variations de dépôts dans le temps mais peut introduire des incertitudes relatives aux variations géographiques des dépôts.

Pour déterminer une charge critique empirique, on peut comparer une série de sites équivalents soumis à des apports croissants dans le cadre d’expériences de fertilisation faites sur des périodes relativement courtes (moins de 10 ans). Alternativement, si un site est soumis à des apports changeants dans le temps, la charge critique empirique peut également être déterminée en comparant des mesures de dépôts faites à plusieurs années d’intervalle (souvent plus de 5 ou 10 ans) et en faisant le lien avec leurs effets sur le terrain.

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Charge critique empirique Ecosystème de référence

Mesures de dépôts Observations

de détérioration d'une cible

Figure 6-2 : Schéma représentant l’élaboration d’une charge critique empirique pour un écosystème donné à partir d’observations et de mesures sur le terrain.

Les charges critiques empiriques ont donc l’avantage d’être basées sur des réalités de terrain. Leur principal désavantage est inhérent à toute campagne de mesures en sciences de l’environnement : c’est la difficulté d’avoir assez de points de mesures pour obtenir des résultats qui puissent être représentatifs pour des régions étendues ou des types d’écosystèmes et qui soient utilisables à des fins de prédiction. De plus, toute observation est un instantané de la réalité à un instant « t » donné. Il est donc parfois nécessaire d’interpoler ou d’extrapoler dans le temps comme dans l’espace.

Une fois que les charges critiques empiriques sont établies pour un écosystème, on peut, comme avec les charges critiques calculées, les comparer avec les charges réelles mesurées ou estimées à partir des modèles atmosphériques pour tous les sites présentant le même type d’écosystème. On en déduit des cartes d’excès pour un pays ou une région.