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Les conflits d’intérêts liés à des entreprises privées

4. LA JURISPRUDENCE DU COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC

4.3. L ES AUTRES INFRACTIONS DE NATURE ÉCONOMIQUE

4.3.2. Les conflits d’intérêts liés à des entreprises privées

Une deuxième série de décisions porte sur les conflits d’intérêts dans des situations où le professionnel perçoit des avantages liés à son association avec des entreprises privées. Les infractions reposent principalement sur les articles 63 et 80 du Code de déontologie des médecins sous le titre de section « Indépendance et désintéressement ». L’article 63, prévoit que :

Le médecin doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts, notamment lorsque les intérêts en présence sont tels

313 Benjamin, supra note 306 au para 50. 314 Ibid au para 51.

qu’il pourrait être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son patient ou que son intégrité et sa loyauté envers celui-ci pourraient être affectés.315

De la même manière, l’essence de l’article 80 est la préservation de l’indépendance professionnelle du médecin.

Le libellé des articles conduit le Conseil à analyser l’indépendance professionnelle dans le spectre de la nécessaire relation de confiance individuelle entre le médecin et son patient. Par ailleurs, selon le Conseil, la protection du public doit être envisagée comme le fondement même de ces articles. Or, la protection du public est définie de la manière suivante : « le droit du public d’avoir accès aux professionnels les plus qualifiés et les plus respectueux de leur code de déontologie »316. Cela suppose que le « médecin dont les

intérêts personnels ne sont aucunement en jeu, protège davantage et mieux les intérêts de ses patients que celui qui doit choisir entre les intérêts de ses patients et ses propres intérêts »317.

Par ailleurs, le Conseil envisage le conflit d’intérêts comme « un conflit moral que la déontologie vise à réprimer, [soit] celui par lequel le médecin est susceptible de voir son jugement affecté, dans sa conduite avec un patient, en raison de ses intérêts propres et par rapport à ceux de son patient »318. La moralité nécessaire du médecin est en effet

régulièrement invoquée dans les décisions portant sur les conflits d’intérêts. Le principe semble transcender le Code de déontologie en imposant une obligation prééminente s’additionnant à ce que le code prévoit spécifiquement. Ainsi, dans l’affaire Tadros, le tribunal affirme : « Le Conseil est d’opinion que si les infractions pour lesquelles l’intimé a été trouvé coupable sont déontologiquement inacceptables, elles le sont tout autant sur le plan moral »319.

Sur la base des considérations précédentes, il est permis de penser que cette immoralité du médecin dans une situation de conflit d’intérêts s’enracine dans sa défaillance envers son indépendance professionnelle laquelle s’ancre à son tour de manière fondamentale dans la protection du public. Or, ce sont plutôt les motivations économiques des médecins qui suscitent une forme de dégoût auprès des décideurs du Conseil.

Ainsi, s’appuyant sur les précédents liés au scandale des prescriptions, le Conseil juge dans plusieurs des décisions de ce corpus que le caractère de lucre des agissements du professionnel commande une réponse sévère. Notamment, dans l’affaire Courchesne, le Conseil déclare alors qu’il doit déterminer la sanction appropriée : « Il est en effet pertinent de considérer que le Dr Courchesne fait défaut d’agir avec indépendance professionnelle et de subordonner son intérêt à celui de son patient. Il avait des motivations d’ordre

315 Code de déontologie des médecins, supra note 123, art 63.

316 Médecins (Ordre professionnel des) c Courchesne, SOQUIJ AZ-51307620 (QC CDCM) au para 9. 317 Ibid au para 140.

318 Ibid au para 134.

319 Médecins (Ordre professionnel des) c Tadros, SOQUIJ AZ-50577921 (QC CDCM) (appel sur

économique »320 [nous soulignons]. De même, dans Sakellarides, ces motivations

pécuniaires du médecin sont dénoncées :

Nul doute que l’intimé s’est servi de son titre de médecin à des fins uniquement lucratives auprès d’une clientèle qui voulait trouver la solution miracle pour perdre du poids, ce que l’intimé lui offrait à grands frais. La clientèle n’avait d’autre choix que de se fier aux propos de l’intimé d’autant plus qu’il est médecin et seul à pouvoir prescrire un traitement.321

Dans ce dernier cas, le Conseil ordonne la sanction la plus sévère des décisions étudiées (notamment une radiation provisoire de 12 mois).

Notons que dans les décisions précédemment citées ou évoquées, l’effet de ce conflit d’intérêts sur le régime public n’est jamais sérieusement envisagé. Le Conseil s’attarde aux effets économiques de ces agissements sur les particuliers. C’est donc la confiance du public envers le professionnel quant aux intérêts privés du patient qui occupe la réflexion des décideurs. Cela dit, la facturation jugée contraire au Code de déontologie relève généralement de services rendus dans le cadre des activités de nature privée du médecin. Par contre, au moment de commettre les actes reprochés, le médecin facture aussi souvent en parallèle la RAMQ pour des actes liés qui sont admissibles. Certes, cet aspect du problème est évoqué avec vigueur dans l’affaire Sakellarides tel qu’en témoigne cet extrait :

Cette façon d’agir est totalement inadmissible surtout dans le contexte mis en preuve. La seule raison qui s’impose c’est de faire de l’argent sur le public qui a été berné par l’intimé. En l’espèce, comment peut-il soutenir le contraire alors que durant une période de 8 ans cette seule pratique lui a rapporté environ 5 000 000$ sans qu’il ne conteste ce montant, sans compter les honoraires qu’il percevait de la RAMQ. Ce comportement dans une période où les médecins et notamment au niveau de leurs honoraires sont remis en question est totalement inadmissible et aberrant. Ce comportement milite en faveur d’une sanction dissuasive et exemplaire tout comme l’avait été celle imposée lors de la saga des prescriptions sur Internet.322

Or, malgré cette mention et l’indignation que la situation provoque, le Conseil est finalement guidé dans sa décision par l’impact des pratiques du médecin sur ses patients :

En l’espèce, comment sanctionner un médecin qui s’est servi effrontément de son titre et de ses privilèges pour encaisser environ 5 millions de dollars au détriment de ses patients, mais surtout en leur prodiguant et en leur prescrivant des produits inutiles médicalement et sans respecter les règles les plus élémentaires notamment en s’assurant que ces derniers étaient médicalement requis. Il y a lieu de prendre en considération qu’il y a de nombreux patients qui ont été suivis à plusieurs reprises dans le contexte où l’intimé n’a pas préservé son indépendance professionnelle.323

320 Courchesne, supra note 316 au para 128.

321 Médecins (Ordre professionnel des) c Sakellarides, SOQUIJ AZ-51261389 (QC CDCM) (Appel sur

la culpabilité accueilli en partie et appel sur la sanction rejeté0 au para 59.

322 Ibid aux paras 60-61. 323 Ibid au para 67.

Cette colère que suscite les motivations économiques des médecins et la différence de traitement entre l’impact économique des agissements des médecins sur le patient en tant qu’individu privé et le système public se confirme dans la troisième série de décisions analysées portant sur l’accès privilégié à un médecin.