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Les conflits entre accords collectifs de niveaux différents

Chapitre II : L’ACCROISSEMENT DU PHENOMENE DEROGATOIRE EN

MATIERE DE NEGOCIATION COLLECTIVE, SOURCE DE CONCURRENCE DES NORMES

B. Les conflits entre accords collectifs de niveaux différents

Les hypothèses de conflits entre accords collectifs de niveaux différents impliquant un accord dérogatoire sont pléthores. Le thème du conflit entre accords collectifs de niveaux différents sera ici abordé exclusivement à l’aune du rapport entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche impliquant un accord dérogatoire en ce que dernièrement, c’est la question qui a fait preuve du plus grand intérêt. Toutefois, d’autres hypothèses auraient pu être envisagées à l’image du rapport du conflit entre une convention collective et une autre ayant un champ professionnel ou géographique plus large, dont un est dérogatoire.

Il convient d’envisager les concours entre un accord d’entreprise dérogatoire et un accord de branche de droit commun (1), et ceux entre un accord de branche dérogatoire et un accord d’entreprise de droit commun (2).

1. Les concours entre un accord d’entreprise dérogatoire et un accord de branche de droit commun

Initialement, aucune règle particulière n’avait été prévue par le législateur pour régler cette situation de concours. C’est donc le principe de la disposition la plus favorable qui trouvait à s’appliquer. Aussi fallait-il virtuellement appliquer simultanément les deux accords collectifs, sous réserve du principe de faveur.

Avant la réforme du dialogue social190, les articles L. 135-2 et L. 132-23 du Code du travail emportaient une telle solution. Aux termes du premier de ces textes, les clauses d’une convention collective s’appliquent aux contrats de travail « sauf dispositions plus favorables », lesquelles peuvent émaner de nombreuses sources, surtout conventionnelles. Le second dispose quant à lui en son premier alinéa que « la convention ou les accords peuvent comporter des dispositions nouvelles et des clauses plus favorables aux salariés ». Il appert donc que le rôle de la négociation collective est véritablement d’améliorer le sort des salariés par l’application

190 Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue

du principe de faveur : lorsqu’un accord d’entreprise était autorisé à déroger à la loi, il ne pouvait déroger à un accord de branche de droit commun191.

C’est toutefois ce qu’avait retenu le Professeur Chalaron qui soutient que la combinaison de l’accord dérogatoire avec d’autres sources conventionnelles ne serait pas d’une parfaite « orthodoxie »192. Le professeur Barthélémy abonde également en ce sens en affirmant qu'« on voit mal ce qui (...) permettrait d'interdire à l'accord d'entreprise de déroger à une disposition conventionnelle de branche dans un domaine où il a capacité à déroger à la loi »193.

Aussi, c’était bien le principe de faveur qui gouvernait les rapports entre un accord d’entreprise dérogatoire et un accord de branche de droit commun.

La loi du 4 mai 2004 de réforme du dialogue social vient rebattre les cartes, mais seulement pour les accords conclus après son entrée en vigueur. Aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 132-23 que cette loi institue, « la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement peut comporter des dispositions dérogeant en tout ou en partie à celles qui lui sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement ».

La réforme est notable sur ce point : le centre de gravité de la négociation glisse vers l’accord d’entreprise. « Ce mouvement est d'autant plus accusé que, sous réserve de quelques exceptions légales, la convention de branche ne peut conserver ses fonctions traditionnelles et spécialement son effet impératif que si et dans la mesure où elle le prévoit sans équivoque »194. La réforme prévoit donc la suprématie de l’accord d’entreprise dérogatoire, sauf exception légale ou conventionnelle. Ce qui fera dire au professeur Teyssié que « le territoire désormais ouvert aux conventions et accords collectifs d'entreprise ou d'établissement est fort vaste »195.

En effet, l’alinéa 3 de l’ancien article L. 132-23 réserve à la négociation de branche les domaines « de salaires minima, de classifications, de garanties collectives mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et de mutualisation des fonds recueillis au titre du livre IX du présent code ».

Pour ce qui est de l’exception conventionnelle, on a pu parler de clause de verrouillage pour désigner la clause qui, dans une convention de branche, refuse la possibilité de déroger à

191 F. CANUT, op. cit., p. 317.

192 Y. CHALARON, « L’accord dérogatoire en matière de temps de travail », Dr. soc. 1998, p. 363.

193 J. BARTHELEMY, Droit de la durée du travail, temps de travail-aménagement-35 heures, 2ème édition, dir.

B. TEYSSIE, Litec, 1998, p. 281.

194 M.-A. SOURIAC, « L’articulation des niveaux de négociation », Dr. soc. 2004, p. 581. 195 B. TEYSSIE, « L’aménagement conventionnel de la norme légale », JCP E 2004, n°1097.

l’accord d’entreprise. Elle permet « aux branches de verrouiller certains sujets afin que les entreprises ne puissent pas y déroger »196. Cette clause peut désigner différentes interdictions à déroger197, qu’elles soient générales, spéciales ou exceptionnelles. Aussi, dans les matières pour lesquelles la branche a exclu la possibilité de dérogation par l’accord d’entreprise, la négociation de branche peut conserver son rôle de « norme plancher »198.

Forte de cette aptitude reconnue, la branche n’a guère tardé à se pétrifier : « l'épée de Damoclès que cette exception faisait peser sur la réforme du dialogue social ne fut pas longue à s'abattre. À peine la loi du 4 mai 2004 était-elle entrée en vigueur que les parties aux négociations de branche marquèrent leur volonté de placer en tête du document conventionnel un article premier interdisant toute dérogation aux articles suivants...

Le bilan de quatre années d'application de la loi du 4 mai 2004 présenté par le ministère du Travail le 17 janvier 2008 révèle que 80 % des accords de branche conclus comportent une telle clause d'impérativité et que les accords d'entreprise dérogeant à une convention de branche sont rarissimes. En résumé, rien n'a changé à aucun niveau et la faculté de déroger demeure quasiment lettre morte »199. A la lecture de ces faits, il apparait que la promotion de la négociation d’entreprise dérogatoire est globalement restée théorique, face à la possibilité de la branche de conserver son rôle traditionnel : le principe de faveur apparait en sursis.

Aussi faut-il nécessairement distinguer la date de conclusion de l’accord dérogatoire, et ensuite, identifier le thème sur lequel porte l’accord ou la convention collective ainsi que la présence d’une clause de verrouillage dans la négociation de branche afin de savoir quelle est la solution du conflit.

Il convient de s’intéresser à ce qu’il advient dans l’hypothèse inverse : celle du concours entre un accord de branche dérogatoire et un accord d’entreprise de droit commun.

196 F. MEHREZ, « Rapport Combrexelle : des règles du jeu plus claires entre accord d'entreprise et accord de

branche », Dalloz actualité 10 sept. 2015.

197 J.-Y. KERBOURC’H, « Les clauses d'interdiction de déroger par accord d'entreprise à une convention plus

large », Dr. soc. 2008, p. 834.

198 M.-A. SOURIAC, art. préc., p. 582.

2. Les concours entre un accord de branche dérogatoire et un accord d’entreprise de droit commun

Les hypothèses de concours entre accord de branche dérogatoire et accord d’entreprise de droit commun connaissent une logique différente.

Lorsque l’accord d’entreprise de droit commun est conclu postérieurement à l’accord de branche dérogatoire, les principes de la lex posterior et de faveur « se combinent pour assurer la primauté de l’accord d’entreprise »200. La conclusion postérieure d’un accord d’entreprise de droit commun suggère qu’une communauté de travail au niveau de l’entreprise n’a pas eu l’intention d’appliquer la dérogation de la branche. Cette solution trouve sa justification dans l’autonomie des partenaires sociaux au niveau de l’entreprise.

De plus, la faculté de l’accord de branche de disposer de son impérativité ne saurait lui conférer le pouvoir d’écarter la norme plus favorable de l’accord d’entreprise de droit commun.

Ainsi, le conflit opposant un accord d’entreprise de droit commun conclu postérieurement à un accord de branche dérogatoire se résout par application de la disposition la plus favorable pour les salariés concernés.

Une solution identique vient trancher le conflit entre un accord d’entreprise de droit commun conclu antérieurement à un accord de branche dérogatoire. C’est toujours le principe de l’autonomie des niveaux de négociation qui justifie cette articulation : le concours entre conventions collectives sera alors résolu par l’application de la disposition la plus favorable.

Ces hypothèses de concours étant envisagées, il faut également étudier les conflits entre un accord dérogatoire et un contrat de travail.

§2. Les confits entre un accord dérogatoire et un contrat individuel de travail

S’épancher sur les conflits entre deux normes revient à s’exprimer sur la suprématie ou la résistance de l’une à l’égard de l’autre. Pour les accords qui nous intéressent, « c'est peut- être en définitive le contrat de travail qui, adossé à l'article 1134 du Code civil201 résiste le mieux à l'accord dérogatoire »202.

200 F. CANUT, op. cit., p. 318.

201 [nouv. C. civ., art. 1103, 1104 et 1193]. 202 Y. CHALARON, art. préc., p. 361.

Cette affirmation, bien qu’un peu datée, traduit fidèlement la résolution de l’articulation entre un accord collectif dérogatoire et un contrat de travail : souvent, le contrat de travail résiste (A), bien qu’une dynamique contraire ait connu une progression (B).