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La reconnaissance ponctuelle de domaines de supplétivité

Chapitre I : LA CONSECRATION DE LA SUPPLETIVITE, SOURCE DE RETRAIT DE LA DEROGATION

A. La reconnaissance ponctuelle de domaines de supplétivité

Annoncée par l’exécutif325, la reconnaissance de la supplétivité en droit du travail s’est d’abords attachée à des dispositions ponctuelles.

En la matière, les lois les plus révélatrices sont les lois de 2003 et 2008.

La loi du 17 janvier 2003326 reconnait la supplétivité de la loi en matière de majoration d’heures supplémentaires : « auparavant, le Code du travail fixait cette majoration à 25 % du salaire pour les huit premières heures accomplies au-delà de la durée légale, et à 50 % pour les heures suivantes. La loi du 17 janvier 2003 avait prévu, quant à elle, de renvoyer la détermination du montant de la majoration de salaire à la négociation collective, sous la condition de respecter un minimum de 10 % ; et ce n’est qu’en l’absence de conventions ou

323 C. PERES-DOURDOU, op. cit., p. 268.

324 Le vocable est emprunté à F. CANUT, « L'ordonnancement des normes infra-étatiques - à propos du projet de

loi Travail », Dr. soc 2016, p. 522 : « Le projet de loi Travail instaure une supplétivité généralisée de l'accord de branche par rapport à l'accord d'entreprise en matière de durée du travail ».

325 Exposé des motifs du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail, et au développement de l’emploi,

Conseil des ministres du 18 septembre 2002 : « la rénovation du dialogue social et le développement de la négociation collective ne seront effectifs que si l’Etat définit les principes fondamentaux du droit du travail et n’intervient que d’une façon supplétive en cas d’absence, de carence ou de défaillance de la norme conventionnelle ».

326 Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi,

d’accords collectifs que le Code du travail imposait des taux de majoration variant, comme avant la réforme, entre 25 et 50 % du salaire »327. Connait le même régime la fixation d’un contingent d’heures supplémentaires328.

Toutefois, ce dispositif n’a pas fait de vieux os, disparaissant à l’occasion de la réforme de 2008.

La loi du 20 août 2008329 a réintroduit des mécanismes de supplétivité à la norme légale. « Deux principaux thèmes sont concernés, dans cette loi, par la technique de la supplétivité de la règle étatique, l'un de manière flagrante, l'autre de façon moins apparente. Le premier porte sur le contingent annuel d'heures supplémentaires, le second sur l'aménagement du temps de travail »330.

« Cette sorte d’inversion des rôles entre le législateur et les acteurs de la négociation collective n’est cependant pas sans limite. En premier lieu, la supplétivité de la règle de droit du travail se présente comme une nouvelle exception au principe de faveur, principe fondamental. La règle de droit du travail ne devient donc supplétive que si le législateur le décide expressément. Ici encore, une autorisation législative est indispensable. Cette autorisation devra être recherchée dans la formulation du texte, à savoir une détermination de la norme par conventions ou accords collectifs de travail et, à défaut, le régime juridique minimum applicable »331. Il ne saurait être fait mention d’une technique « hors contrôle », puisqu’elle fait l’objet d’un encadrement de l’Etat.

Un autre contrôle est celui exercé par le Conseil constitutionnel, qui, à l’endroit de la loi, objet de notre intérêt, a indiqué que le législateur n’ayant « pas défini de façon précise les conditions de mise en œuvre du principe de la contrepartie obligatoire en repos (…) a, par suite, méconnu l’étendue de la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution »332. Le législateur doit donc bien veiller à prévoir les modalités de mise en œuvre de la norme négociée.

Ladite loi ne s’est pas contentée de prévoir la supplétivité de certaines normes légales, elle a également inséré la supplétivité de la négociation de branche par rapport à la négociation d’entreprise dans certains domaines.

327 M. POIRIER, « Négociation collective : arrêter le massacre », Dr. ouv. 2013, p. 88.

328 F. FAVENNEC-HERY, art. préc., p. 38 : « Forte d’un droit de la négociation collective en pleine mouvance,

la loi Fillon pose de nouvelles règles du jeu dans deux domaines. Relève du droit conventionnel, et, à défaut, d’un décret, la fixation d’un contingent d’heures supplémentaires ».

329 Loi n° 2008-789 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, JO du 21 août, p.

13064.

330 F. CANUT, « Temps de travail : le nouvel ordonnancement juridique », Dr. soc. 2010, p. 381. 331 M. POIRIER, art. préc., p. 89.

Du fait de l’utilisation massive par la négociation de branche de sa faculté à s’opposer à sa propre dérogeabilité, la loi n° 2008-789 a décidé, sur certains thèmes, de « faire sauter le verrou de la branche »333.

Pour ce faire, « le fil directeur de la réforme consiste à consacrer la supplétivité pure et simple de l'accord de branche par rapport à l'accord d'entreprise ou d'établissement »334 dans cinq domaines essentiels335.

La supplétivité sera le plus souvent simple : si un accord d’établissement ou d’entreprise s’empare du thème en question, l’accord de branche ne trouvera pas à s’appliquer. L’accord de branche est supplétif de volonté.

Mais la supplétivité se dédouble parfois. Ce mécanisme, s’il prévoit en premier lieu l’articulation précédemment décrite pour la supplétivité simple, détermine en outre qu’en l’absence de prévision au niveau de l’entreprise et la branche, c’est un décret qui trouvera à s’appliquer. En effet, l’article L. 3122-2 du Code du travail prévoyait « une double supplétivité qui est instituée, dans la mesure où, en l'absence de tout accord collectif, un décret peut prendre le relais »336.

Ici, force est de constater que la supplétivité a été insérée en matière de droit du temps de travail, déjà reconnu comme « la figure de la déréglementation »337. Comme nous l’avons précédemment exposé, cette branche du droit du travail était jusqu’alors le fief de la dérogation conventionnelle. Aussi, ces deux vecteurs de flexibilité peuvent être présentés comme des outils concurrents : la reconnaissance de l’un chassant l’autre, les normes ayant une vocation d’articulation se remplacent. L’inefficacité de l’aptitude dérogatoire de l’accord d’entreprise, verrouillé par la négociation de branche a vu en la matière disparaitre la dérogation au profit de la supplétivité.

333 J.-Y. KERBOUC’H, « Les clauses d’interdiction de déroger par accord d’entreprise à une convention plus large

», Dr. Soc. 2008, p. 834.

334 F. CANUT, « Temps de travail : le nouvel ordonnancement juridique », Dr. soc. 2010, p. 382.

335 L'aménagement du temps de travail ; les conventions de forfait, en heures ou en jours, sur l'année, dont la

conclusion ; le compte épargne-temps ; le remplacement du paiement des heures supplémentaires ; la mise en place du contingent d'heures supplémentaires.

336 F. CANUT, art. préc., p. 382. 337 F. CANUT, art. préc., p. 379.

Du fait de l’apparition de la supplétivité de l’accord de branche par rapport à l’accord d’entreprise, mise en place par la loi de 2008, certains auteurs ont tenu un langage prophétique sur sa généralisation338.