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Les compétences comportementales

Chapitre 3: Formation à l’entrepreneuriat et le travail indépendant des diplômés universitaires

III.8. Les principaux vecteurs d’impact

III.8.2. Les compétences comportementales

Comme indiqué dans la section 4 de ce chapitre, la formation à l’entrepreneuriat comprenait un

module visant à développer les compétences comportementales et les traits de caractères

entrepreneuriaux. Au cours de l’enquête qualitative menée avant l’enquête de suivi, certains

formateurs ont souligné que l’un de leurs principaux objectifs était de modifier la personnalité des

étudiants pour en « faire des entrepreneurs ». Nous examinons maintenant si le programme a

affecté un éventail de compétences comportementales souvent liés à l’entrepreneuriat.

Le tableau de l’annexe 6 (partie B) montre que l’intervention a eu des effets notables sur plusieurs

compétences comportementales. Les cinq premiers indicateurs (extraversion, agréabilité,

conscience professionnelle, stabilité émotionnelle et ouverture d’esprit) sont ceux de l’échelle

« Big Five » qui est l’une des échelles les plus utilisées pour étudier la personnalité (Gosling, 2003 ;

Almlund et al., 2011). Les neuf indicateurs suivants présentent un éventail de caractéristiques

entrepreneuriales telles que l’impulsivité, la passion pour le travail, la persévérance, la faculté de

faire plusieurs tâches en même temps (polychronicity en anglais), le locus de contrôle, la

motivation, le désir du pouvoir, la centralité du travail et l’organisation personnelle (De Mel et al.,

2010). Toutes ces mesures sont standardisées pour avoir une moyenne de 0 et un écart type de 1

dans le groupe de contrôle. Par conséquent, tous les coefficients peuvent être interprétés en termes

d’écarts-types par rapport au « niveau moyen » de ces compétences dans le groupe témoin.

Les résultats montrent que l’intervention a conduit à des changements mesurables et significatifs

dans plusieurs traits de la personnalité telle qu’elles sont mesurées par l’échelle «Big Five». Ces

changements dans la personnalité sont compatibles avec les résultats des études qui ont montré que

les traits de la personnalité peuvent être particulièrement malléables chez les jeunes (Roberts et

Mroczek, 2008). Les résultats les plus notables révèlent une augmentation de l’extraversion chez

les participants au programme. Cette augmentation est en concordance avec le fait que la formation

à l’entrepreneuriat visait à rendre les étudiants plus sûrs d’eux et à les transformer en entrepreneurs.

De plus, l’affectation à la « voie entrepreneuriale » a également conduit à une baisse significative

de l’agréabilité. Cette diminution signifie que les participants à cette intervention ont une moindre

tendance à agir d’une manière altruiste et coopérative. Ceci est également conforme à l’expérience

vécue lors de la participation au programme et en particulier lorsque les bénéficiaires s’immergent

dans un environnement d’affaires concurrentiel où ils sont appelés à défendre leurs idées et à

acquérir des compétences de négociation. Les estimations de l’IDT révèlent une diminution allant

de 23% à 25% du niveau de l’agréabilité au groupe de traitement par rapport au groupe de contrôle.

Ces résultats sont conformes à ceux de Cobb-Clark et Tan (2010) qui ont montré qu’une diminution

de l’agréabilité augmente la probabilité d’être un manager et d’avoir une activité indépendante.

Ces résultats suggèrent que les compétences comportementales importantes pour le travail

indépendant peuvent être différentes des compétences comportementales essentielles pour obtenir

un emploi salarié. Ce changement des compétences comportementales peut donc contribuer à

expliquer la substitution de l’emploi salarié vers l’emploi indépendant présenté ci-dessus.

Les résultats montrent également que la participation au programme affecte négativement la

conscience professionnelle et la stabilité émotionnellement des diplômés. Ces résultats sont plus

difficiles à interpréter. En effet, des études ont montré l’existence d’un effet positif du caractère

consciencieux sur une série d’indicateurs (Almlund et al., 2011). Toutefois, la conscience

professionnelle est parfois liée à des facettes conformistes : faire avancer les choses peut parfois

s’avérer plus avantageux que d’être méticuleux, en particulier s’agissant de la conduite de projets.

D’autre part, lors de l’analyse des changements dans les caractéristiques entrepreneuriales,

Oosterbeek et al. (2010) constatent une augmentation relativement plus rapide chez le groupe

témoin. Dans notre contexte, cela peut être expliqué par le fait que le groupe de contrôle a connu

une évolution plus rapide du caractère consciencieux et de la stabilité émotionnellement. Dans ce

sens, il est possible que la voie traditionnelle qui requière la rédaction d’un mémoire basé sur une

recherche scientifique soit plus propice au développement de la conscience professionnelle que la

voie entrepreneuriale.

Au-delà de l’échelle « Big Five », les résultats révèlent aussi quelques différences dans les traits de

caractères entrepreneuriaux. La plupart de ces traits entrepreneuriaux, y compris le désir du pouvoir

et la persévérance demeurent inchangés. Par contre, l’intervention a augmenté la centralité du

travail tout en diminuant aussi l’impulsivité des participants. Ces deux changements sont

qualitativement plus propices à la création d’une entreprise et l’engagement dans une activité

indépendante (De Mel et al., 2010). Cependant, l’ampleur des changements de ces caractéristiques

est limité (0,1 écart type pour les estimations ITT), et les résultats ne sont pas entièrement robustes

dans toutes les spécifications.

L’existence d’un impact significatif du programme sur les traits de la personnalité, mais pas sur les

caractéristiques entrepreneuriales, qui n’est pas nécessairement incompatible, mérite une

discussion. Les caractéristiques entrepreneuriales incluses dans l’étude ne correspondent pas

nécessairement aux plus larges aspects de la personnalité : les changements observés dans la

personnalité ne sont pas censés être la somme des effets observés sur les caractéristiques

entrepreneuriales. Il s’agit d’une problématique plus large dans la littérature de la psychologie

entrepreneuriale, où de nombreuses caractéristiques entrepreneuriales potentiellement pertinentes

sont citées. Par exemple, Rauch et Frese (2007) comptent 52 caractères différents. Il n’est pas

toujours évident de comprendre comment ces diverses caractéristiques entrepreneuriales sont

interconnectées ou hiérarchisées et comment elles contribuent aux dimensions de la personnalité.

En outre, le choix de l’orientation de l’analyse soit sur la personnalité ou plutôt sur les

caractéristiques entrepreneuriales est encore un sujet de débat. Certains auteurs suggèrent que

l’analyse des facteurs d’ordre supérieur est préférable. Zhao et Seibert (2006) précisent qu’une

étude empirique est nécessaire pour pouvoir déterminer si les caractéristiques entrepreneuriales

peuvent fournir des informations utiles au-delà des aspects de la personnalité. En revanche, Rauch

et Frese (2007) ou Frese et Gielnik (2014) notent qu’un large éventail de caractéristiques

entrepreneuriales est corrélé avec les résultats de l’entrepreneuriat. Ils favorisent donc l’analyse

des caractéristiques entrepreneuriales. Caliendo et al. (2014) constatent que les aspects de

personnalité ainsi que les caractéristiques entrepreneuriales spécifiques peuvent expliquer l’entrée

dans l’emploi indépendant.

Dans l’ensemble, les changements observés dans la personnalité des bénéficiaires sont de moindre

ampleur que les résultats sur les compétences techniques en gestion et administration d’entreprises.

Nos résultats sont qualitativement similaires à ceux d’Oosterbeek et al. (2010). Ces derniers

affirment que le programme de formation à l’entrepreneuriat étudié n’a pas d’effets significatifs

sur les caractéristiques entrepreneuriales. Le constat selon lequel les traits d’ordre inférieur ne sont

pas affectés peut suggérer que le programme n’a pas été assez précis dans le ciblage des

changements dans les compétences comportementales les plus pertinentes. Les programmes de

formation à l’entrepreneuriat qui cherchent à améliorer les compétences comportementales ou non

cognitives ont, peut-être, besoin d’avoir un meilleur ancrage dans la théorie de la psychologie. Il

faut, entre autres, décrire plus clairement les facteurs spécifiques de la personnalité ou les

caractéristiques entrepreneuriales à cibler et quels sont les mécanismes adoptés pour y parvenir.