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PARTIE I : I NTRODUCTION

2.1 La théorie des cartes cognitives

2.1.2 Les cellules de lieu : l’argument électrophysiologique

En 1971, O’Keefe & Dostrovsky donnent un nouvel essor à la théorie des « cartes cognitives » de Tolman toujours controversée par les béhavioristes. Le développement des techniques d’électrophysiologie va permettre d’aller capter les signatures électriques de groupe de neurones ou de neurones isolés. A l’aide de cet outil expérimental, Vanderwolf (1969) implante des macro-électrodes chez 24 rats adultes afin de corréler les ondes cérébrales électriques avec l’observation de comportement spontané ou conditionné des animaux. Il montre alors qu’une onde rythmique enregistrée dans l’hippocampe, et comprise entre 6 et 12 cycles par seconde (RSA pour « Rythmic Slow Activity »), accompagne des comportements tels que courir, sauter ou explorer. Vanderwolf va considérer ce rythme thêta comme la manifestation électrophysiologique des mécanismes cérébraux responsables de l’initiation et de l’organisation des comportements observables, principalement des mouvements volontaires. Cette approche sur les corrélats comportementaux des ondes cérébrales va influencer le travail d’O’Keefe & Dostrovsky (1971) qui vont alors s’intéresser

Nourriture

Départ voie 1

voie 2 voie 3

Bloque 1 Bloque 2

Figure 2.1 LABYRINTHE DE TOLMAN ET HONZIK (1930).

L’animal est tout d’abord familiarisé avec le dispositif. Puis il est placé sur la plateforme de départ et va chercher la nourriture à l’extrémité en utilisant la voie 1. Le labyrinthe est ensuite modifié de manière à ce que les voies 1 ou 2 soient bloquées. Un nombre important d’animaux empruntent alors directement la voie qui mène à la nourriture.

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aux corrélations, cette fois, entre l’activité spécifique de neurones isolés de l’hippocampe et le comportement de l’animal.

Sur la base des enregistrements unitaires des neurones, les auteurs seront capables d’identifier que certaines cellules (8 sur 76) émettent des bouffées de potentiels d’action systématiquement lorsque le rat se trouve dans une portion précise de l’environnement (figure 2.2) « These 8 units responded solely or maximally when the rat was situated in a particular part of the testing platform… ». Ces remarquables corrélats spatiaux amèneront les auteurs à nommer ces neurones les

« cellules de lieu ». Historiquement, Ranck (Best & Ranck, 1982) expliquera avoir enregistré des cellules identiques aux cellules de lieu quelques mois auparavant, mais sa volonté de les associer absolument au comportement de l’animal l’empêchera de les reconnaître. Il dira à propos de la découverte des cellules de lieu : « As Pasteur said “chance favors the prepared mind.” O’Keefe mind was prepared ; mine was not ». Toutefois, Fox & Ranck (1981) contribuera à identifier le type neuronal des cellules de lieu en montrant qu’il existe deux types de signature électrophysiologique dans l’hippocampe : les « complex spike cells » qui sont les cellules pyramidales spécifiques des cellules de lieu, et les « theta cells » spécifiques des interneurones.

Figure 2.2 CELLULES DE LIEU.

En haut : le rat est placé sur une plateforme et maintenu à différentes positions représentées par les lettres. Des électrodes sont implantées au niveau de l’hippocampe.

Au milieu : La décharge du neurone enregistré est représentée par un histogramme de fréquence. Les lettres correspondent aux positions sur la plateforme et les lignes indiquent le temps passé à ces positions. Le neurone a une activité très importante à la position A qui diminue en B et C.

En bas : L’électrode 1 enregistre les potentiels d’action émis par le neurone 1 (figure du milieu), alors qu’aucun potentiel d’action n’est enregistré sur l’électrode 2. (d’après O’Keefe & Nadel, 1971).

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Pour O’Keefe & Dostrovsky, la découverte de ces cellules reflète l’existence d’une représentation basée sur les relations entre les indices de l’environnement (représentation allocentrée), appelée carte cognitive, telle que l’avait proposée Tolman. Toutefois, les cellules de lieu étant enregistrées jusqu’alors dans des arènes équipées de divers éléments (coupelle de nourriture, objets, ouvertures sur certains cotés…), les animaux pouvaient structurer leur environnement et la décharge des neurones hippocampiques non forcément dans une carte spatiale, mais grâce à des indices non spatiaux, ou développer des propriétés de renforcement à des endroits privilégiés. Le labyrinthe radial à 8 bras d’Olton & Samuelson (1976) va s’avérer être un atout remarquable pour étudier les cellules de lieu hippocampiques et appuyer l’existence des cartes cognitives (pour une revue Paul et al., 2009). Le dispositif est constitué d’une plateforme centrale dont partent 8 bras distincts (figure 2.3). Les auteurs permettent alors à des rats de parcourir le labyrinthe librement dans un premier temps. Puis, ils appâtent l’extrémité de chaque bras par un granulé de nourriture. La performance comportementale des animaux vient du fait qu’ils sont capables d’aller chercher la nourriture successivement dans les 8 bras sans retourner plusieurs fois dans un bras déjà parcouru (et ne possédant donc plus de nourriture). Pour adopter ce comportement, les animaux sont obligés d’avoir, à la fois une représentation de leur environnement ou du labyrinthe (la carte cognitive), mais également de maintenir en mémoire les actions effectuées juste auparavant (la mémoire de travail). L’avantage du labyrinthe radial est qu’il limite très fortement les caractéristiques non spatiales, ainsi que les propriétés de renforcement (parce que les bras peuvent être tous récompensés dès le départ, ils sont tous équiprobables en terme de renforcement spatial). De plus, un animal qui parcourt ce labyrinthe ne présente aucune ambiguïté sur le bras qu’il occupe lorsque la cellule hippocampique décharge. Sur la base de ces arguments, Olton et al. (1978) vont alors enregistrer 27 cellules de lieu sur 31, et classer celles-ci sur la base de leur fréquence de décharge. L’utilisation d’un labyrinthe radial aux fortes propriétés spatiales a alors fait émerger une réflexion sur les caractéristiques environnementales dans lesquelles doivent être enregistrées les cellules de lieu (Muller & Kubie, 1987; Muller et al., 1987).

La surprenante proportion de cellules enregistrées par Olton (90% des « complex spike cells » étaient des cellules de lieu) par rapport à O’Keefe (8 cellules de lieu sur 76 cellules enregistrées) a

Figure 2.3 LABYRINTHE A HUIT BRAS

(d’après Olton & Samuelson, 1976).

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amené une discussion sur les variables expérimentales qui pouvaient favoriser ou non la formation des cellules de lieu (même si cette différence de proportion aurait pu être expliquée par des différences de techniques d’enregistrement, il n’en reste pas moins que la discussion sur les propriétés de l’environnement semble fondamentales). L’existence des cellules de lieu doit donc avoir un champ d’études qui s’intéresse à la nature des représentations spatiales formées.

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