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PARTIE I : I NTRODUCTION

1.3 La mémoire déclarative : de l’Homme à l’animal

1.3.1 Des propriétés communes entre l’Homme et l’animal

La mémoire déclarative a pour fonction de représenter les objets et les évènements du monde extérieur, ainsi que les relations entre eux. Si l’on parvient à concevoir chez l’Homme quelle est la différence dans le contenu des souvenirs déclaratifs épisodiques et sémantiques, il devient plus difficile de faire cette distinction chez l’animal. L’homme exprime ses souvenirs déclaratifs à travers une récupération consciente des informations et la verbalisation de ces souvenirs facilite son étude dans les champs de la recherche. La question est donc d’identifier, chez l’animal, la mémoire analogue à la mémoire déclarative chez l’homme. Pour cela il faut s’intéresser aux autres propriétés que celles de la récupération consciente et qui peuvent être étudiées. Par exemple, nous pouvons nous intéresser à la mémoire déclarative à travers ses caractéristiques opérationnelles, le type d’information traitée et les objectifs de ce système. Un aspect important de la mémoire déclarative est qu’elle peut former des représentations flexibles. Cela lui permet de faire des conjonctions ou des associations entre deux stimuli arbitrairement différents, et il est possible d’apprendre les relations entre les informations stockées et transférer ces connaissances dans de nouvelles situations. Cette flexibilité de la mémoire déclarative peut être illustrée dans deux expériences : 1- Eichenbaum et al. (1990) utilisent un protocole d’apprentissage avec la piscine de Morris afin

d’identifier le type d’informations acquises pour localiser la plateforme (figure 1.8). Les auteurs montrent que, lorsque la plateforme est toujours située au même endroit, des rats sains ou hippocampo-lésés apprennent sa position lorsqu’ils sont systématiquement lâchés au même point de départ. Après cet apprentissage, les animaux sont ensuite placés à un nouveau point de départ à chaque essai. Les rats normaux trouvent directement la plateforme, quel que soit l’endroit de leur départ. Ce groupe a acquis une représentation flexible des relations spatiales entre la localisation de la plateforme et divers indices disposés à l’extérieur de la piscine. Au contraire, les animaux lésés présentent des déficits pour trouver la plateforme à partir d’un nouveau départ, et doivent s’engager dans un nouvel apprentissage de la position de la plateforme. Cette expérience nous montre que les rats normaux ont acquis une forme de mémoire déclarative à laquelle ils peuvent accéder de façon flexible pour guider leur comportement, surtout dans une nouvelle situation. Tandis que les animaux lésés, bien qu’ayant appris la même tâche, ont formé

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une mémoire non-déclarative de type stimulus-réponse leur permettant de ne connaître qu’une relation constante entre des indices particuliers et des réponses spécifiques.

2- Le groupe de Morris (Tse et al., 2007) a construit un paradigme expérimental afin d’étudier les processus sous-tendant l’acquisition et la consolidation de la mémoire. En explorant librement une arène (« event arena ») possédant plusieurs puits dont six ont chacun une odeur spécifique, des animaux mémorisent un schéma de six associations « lieu-odeur » (les auteurs les nomment des « paires associées »). Puis lors d’une série de tests, les rats doivent utiliser ce schéma mental afin d’obtenir un renforcement (figure 1.9). Le principe est toujours le même : les animaux sont placés dans une boite à la périphérie de l’ « event arena » où un arôme correspondant à l’un des puits leur est présenté (condition indicée) ou non (condition non indicée). Puis l’animal est lâché dans l’environnement où il n’aura de la nourriture qu’au puits associé à l’arôme présenté. Au bout de quelques essais, les animaux identifient directement le but correct dans la condition indicée. Les auteurs ont alors testé les performances d’apprentissage de rats ayant subi des

A 1

er

jour 4

ème

jour

B

Animal contrôle Animal hippocampo-lésé

Figure 1.8 TACHE DE LA PISCINE DE MORRIS.

A- Le rat est introduit dans la piscine au sud et nage aléatoirement jusqu’à la plateforme. Au fil des jours, l’animal apprend à localiser la plateforme et à y nager directement.

B- Lorsque les animaux sont placés à un nouveau point de départ, à l’ouest, les animaux contrôles sont capables d’aller directement à la plateforme en utilisant les repères placés à l’extérieur de la piscine. Les animaux lésés au niveau de l’hippocampe ne trouvent pas la plateforme.

Contrôle Hippocampo-lésés

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lésions hippocampiques avant ou après l’acquisition des paires associées, ainsi que la dynamique d’apprentissage de nouvelles paires associées. Les auteurs montrent alors que :

Les animaux utilisent des indices placés à l’intérieur de l’arène comme à l’extérieur (les objets dans la pièce d’expérimentation) afin de se représenter spatialement l’organisation des différentes paires associées. L’acquisition de ce schéma mental se fait après environ un mois d’apprentissage et permet aux animaux d’être performants lors des phases tests.

Une fois le schéma mental établi, les animaux n’ont besoin que d’un seul essai pour apprendre une nouvelle paire associée. Cet apprentissage extrêmement rapide montre que les animaux ne traitent pas individuellement les paires associés, mais qu’ils les associent pour former, utiliser et mettre à jour leur schéma mental.

L’acquisition et la mise à jour d’un schéma mental nécessitent systématiquement l’hippocampe. Par contre, l’utilisation d’un schéma mental préétabli (même 4 à 5 mois auparavant) est insensible aux lésions hippocampiques. Si la formation d’un schéma mental demande le concours de l’hippocampe, son support à long terme ne deviendrait plus que cortical. Ce résultat va à l’encontre de la théorie des traces multiples qui veut que l’hippocampe soit impliqué systématiquement dans le stockage et le rappel à long terme d’une information. De plus, lors de l’acquisition d’une nouvelle paire associée (et donc la mise à jour du schéma mental), le désengagement de l’hippocampe et la consolidation corticale se font dans les 48 heures suivant ce nouvel apprentissage.

Figure 1.9 PARADIGME DE LEVENT ARENA.

Six puits pouvant contenir de la nourriture aromatisée enfouie dans le sable sont positionnés dans l’arène (représentation de l’arrangement spatial à droite). Un essai commence par la présentation d’un arôme dans l’une des quatre boites de départ situées sur le côté, puis l’animal a accès au dispositif et doit aller chercher la nourriture dans le lieu associé à l’arôme présenté. (d’après Tse et al., 2007).

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Le caractère spatial des informations mémorisées dans ces deux exemples (l’emplacement de la plateforme ou la localisation des puits) permet à l’animal d’orienter ses déplacements vers les buts à atteindre, quelle que soit leur nature (s’échapper ou se nourrir). Ces études expérimentales, choisies parmi tant d’autres, confirment que les animaux utilisent une mémoire dépendante de l’hippocampe, la mémoire spatiale, pour produire des comportements adaptés dans des situations nouvelles. En plus de permettre d’utiliser les informations spatiales de manière flexible, la mémoire spatiale du rongeur partage la même structure anatomique clé que la mémoire déclarative chez l’Homme : l’hippocampe. Il semble donc que l’étude du comportement de navigation d’un rat dans un contexte particulier et adapté à différentes circonstances peut donner une mesure de ce que l’animal a mémorisé dans son versant déclaratif.

1.3.2 Le rôle du cortex entorhinal dans la mémoire

De part leur histoire, les travaux sur la mémoire déclarative ont donné une part très importante à l’hippocampe. Mais les possibilités d’étudier la mémoire chez l’animal permet de s’intéresser aux autres structures assimilables au lobe temporal médian ou des régions qui lui sont connectées, d’autant plus que les connexions anatomiques entre le cortex et l’hippocampe sont très largement conservées entre les espèces de mammifères (Manns & Eichenbaum, 2006). Il faut également noter que le lobe temporal médian n’existe pas en tant que tel chez le rat, toutefois son cerveau contient toutes les structures connues pour être impliquées dans la mémoire déclarative, et regroupées sous les termes de formation hippocampique et structures parahippocampiques. Les aires corticales connectées aux aires temporales médianes sont majoritairement des aires associatives, et excluent les aires primaires motrice et sensorielle. Par ailleurs, ces aires associatives ne connectent jamais directement l’hippocampe, mais les informations transitent par les régions parahippocampiques. Il existe donc une hiérarchie des connectivités dans laquelle les informations issues de vastes zones corticales (les aires associatives) sont projetées sur les régions parahippocampiques, dont les sorties convergent vers l’hippocampe (Witter et al., 2000; Kerr et al., 2007). Enfin, les sorties de l’hippocampe suivent des connexions hiérarchisées de la même manière.

Le cortex entorhinal (CE) appartient aux régions parahippocampiques et occupe une place stratégique au sein de ce réseau de connexions, puisqu’il est à la fois un carrefour d’informations sensorielles corticales, mais également la porte d’entrée et de sortie principale de l’hippocampe (Witter et al., 2000). Le CE présente aussi la particularité de séparer les entrées corticales selon leur

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nature spatiale et non-spatiale (Suzuki & Eichenbaum, 2000; Eichenbaum et al., 2007; Kerr et al., 2007). Cette dissociation des connectivités ségrége la partie médiane et latérale du CE où chacune représente distinctement différentes informations liées à un contexte : le quoi (informations non-spatiales) et le où (informations non-spatiales), qui seront ensuite combinées dans l’hippocampe (Hunsaker et al., 2007; Van Cauter et al., 2012, pour une revue Eichenbaum & Lipton, 2008 ou Ranganath, 2010). De part sa position neuroanatomique, le CE devient alors une structure de choix pour étudier les effets de l’isolement de l’hippocampe des informations sensorielles corticales dans des paradigmes de navigation spatiale. Toutefois, il semble bien que les déficits mnésiques observés après lésions du CE ne reproduisent pas systématiquement ceux provoqués par l’inactivation ou les lésions de l’hippocampe (Schwarcz & Witter, 2002; Ji & Maren, 2008; pour une revue Coutureau &

Di Scala, 2009). Le CE ne sert donc pas de simple relais sensoriel entre les aires corticales et l’hippocampe et est impliqué en tant que structure clé pour certains aspects de la mémoire spatiale (Oswald et al., 2003; Parron & Save, 2004; Parron et al., 2004; Steffenach et al., 2005).

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