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C) Calpaïnes, survie et mort cellulaire : un rôle ambivalent

2) Les calpaïnes relaient des signaux pro-apoptotiques

a. L’apoptose dépendante des caspases

Bien que certaines études montrent une implication des calpaïnes dans les réponses de survie, celles-ci peuvent induire l’apoptose par d’autres mécanismes impliquant par exemple un stress du réticulum endoplasmique ou une augmentation de la concentration en calcium du cytoplasme. Un tel processus peut être déclenché par de nombreux inducteurs : des situations de stress comme la privation en sérum (Tan et al., 2006) ou des situations d’hypoxie (Nakagawa and Yuan, 2000), des inhibiteurs des pompes calciques du réticulum endoplasmique de type thapsigargine (Martinez et al., 2010) ou encore des agents

chimiothérapeutiques (Liu et al., 2008). Les calpaïnes alors activées induisent ou facilitent l’apoptose grâce au clivage activateur de protéines effectrices comme les caspases, Bax ou Bid.

Par exemple l’utilisation de sels de platinium comme le cisplatine dans des lignées de cancer du poumon induit le clivage activateur de Bid par les calpaïnes. Ainsi activée, Bid se relocalise au niveau des mitochondries et induit leur perméabilisation, le relargage de cytochrome c dans le cytoplasme induisant l’activation de caspases comme la caspase 3 (Liu et al., 2008). Dans les cellules HeLa, l’oxaloplatine induit la même réponse (Anguissola et al., 2009). De même, l’étoposide peut induire le clivage de Bax dans sa partie N-terminal (résidu D33) pour générer un fragment de 18k Da, p18 Bax, permettant d’amplifier l’apoptose. p18 Bax se lie de manière compétitive avec le Bax pleine longueur à l’inhibiteur d’apoptose Bcl-xL, permettant de surmonter son effet anti-apoptotique (Gao and Dou, 2000;

Cao et al., 2003; Cartron et al., 2004). La thapsigargine, au moins dans certaines lignées cellulaires, entraîne une augmentation de la concentration en calcium cytoplasmique induisant l’activation des calpaïnes puis des caspases 2, 3, 7 et 12 (Martinez et al., 2010). Certaines molécules de la famille des flavinoïdes, une famille de pigments végétaux, induisent également une apoptose dépendante des calpaïnes : une étude a en effet montré que le traitement de lignées issues de cancers du sein avec la génistéine induit le clivage activateur de la caspase 12 par la calpaïne 1 suite à l’augmentation de la concentration en calcium dans le cytoplasme. Une autre étude réalisée dans le même type cellulaire a mis en évidence un clivage activateur de la caspase 7 par les calpaïnes et, indépendamment de ces évènements, l’activation de la voie de la p38 MAPKinase (Sergeev, 2004; Shim et al., 2007). L’activation de la caspase 12 a également été observée dans des lignées d’hépatocarcinomes suite à un traitement par la génistéine mais est médié par la calpaïne 2. Enfin, dans des lignées mammaires, d’autres flavinoïdes, comme le resveratol et le HL-37, induisent une augmentation de la concentration en calcium cytoplasmique suivie de l’activation des calpaïnes puis des caspases (Sareen et al., 2007; Xie et al., 2008).

Il a également été montré que les caspases peuvent cliver la calpastatine afin de l’inactiver. Ainsi, l’induction de l’apoptose induit, dans différentes lignées, le clivage par les caspases de la calpastatine en deux fragments inactifs de 75kDa et 30kDa. Ces clivages ont lieu dès les premières étapes de l’apoptose et il est possible qu’ils permettent ainsi d’amplifier l’action des calpaïnes (Wang et al., 1998). Dans ces modèles cellulaires, un dialogue entre calpaïnes et caspases permettrait donc une action synergique de ces deux familles de protéases. Ce phénomène a également été mis en évidence dans le cadre de recherches agroalimentaires sur l’attendrissement de la viande : peu après l’abatage, les caspases dégradent la calpastatine, permettant d’augmenter l’activité des calpaïnes,

considérées comme les principaux acteurs de cet attendrissement (Chen et al., 2012; Huang et al., 2014).

Le lien entre calpaïnes et apoptose a également été étudié dans le cadre de la résistance de certains cancers du sein à un anticorps monoclonal ciblant le récepteur ErbB2, le trastuzumab. Cependant, l’étude suggère un rôle opposé pour les calpaïnes suivant que le type cellulaire est sensible ou résistant au trastuzumab. En effet, dans une lignée tumorale mammaire sensible au trastuzumab, l’activité de la calpaïne 1 favorise l’apoptose induite par cet anticorps : la calpaïne 1 clive le récepteur ErbB2, inhibant au moins partiellement sa signalisation, et favorise l’activation du gène suppresseur de tumeur PTEN par des mécanismes non identifiés. La protéine Akt et les réponses de survie en aval sont ainsi inhibées. Cette double action des calpaïnes n’induit pas directement l’apoptose mais, en inhibant efficacement les signaux de survie transmis par l’axe ErbB2-PI3K/Akt, sensibilise les cellules aux agents chimiothérapeutiques (Kulkarni et al., 2010). De manière intéressante, dans des cellules résistantes au trastuzumab, l’action des calpaïnes semble modifiée : au lieu de médier l’apoptose, elles favorisent au contraire la survie cellulaire. Dans ces cellules résistantes, les calpaïnes ne clivent plus ErbB2 et, au lieu de diminuer la phosphorylation d’Akt, elles participent au maintien de son activité. Ces observations suggèrent une modification des substrats des calpaïnes mais ceux-ci n’ont pas été identifiés (Kulkarni et al., 2010). L’importance de la calpaïne 1 dans l’acquisition de résistances au trastuzumab a été confirmée au niveau clinique puisque, dans une cohorte de patientes, l’expression de la calpaïne 1 corrèle effectivement avec une survie globale nettement moins bonne alors que presque aucune des patientes exprimant de faibles quantités de calpaïnes ne présente de rechute pendant les 30 mois de suivi (Storr et al., 2011b).

b. L’apoptose indépendante des caspases.

Bien que les calpaïnes puissent activer les effecteurs classiques de l’apoptose en réponse à des agents toxiques, elles ont également été impliquées dans un autre type de mort cellulaire programmée reposant sur le passage de la protéine AIF (Apoptosis Inducing Factor) des mitochondries vers le noyau. Cette mort cellulaire est indépendante des caspases est considérée, suivant les équipes, comme de l’apoptose indépendante des caspases ou une forme de nécrose programmée (Moubarak et al., 2007; Liu et al., 2009a; Galluzzi et al., 2012).

Dans les cellules saines, l’AIF est enchâssée dans la membrane interne des mitochondries et régule la chaine respiratoire mitochondriale grâce à ses fonctions antioxydantes (Delavallée et al., 2011). Suite à un traitement par certains agents alkylants de

l’ADN comme le cisplatine ou le MNNG, l’AIF peut être clivé par des calpaïnes mitochondriales, notamment la calpaïne 1 mitochondriale, entre les résidus L103 et S104. Ce clivage sépare la partie N-terminale d’AIF, toujours enchâssée dans la membrane, de la partie C-terminale devenue ainsi soluble (Polster et al., 2005; Moubarak et al., 2007; Liu et al., 2009a). La forme clivée d’AIF, tAIF (truncated AIF), quitte la mitochondrie en passant par des pores formés par la protéine Bax (Moubarak et al., 2007). Elle se relocalise ensuite dans le noyau et induit une dégradation du l’ADN indépendante des caspases, la chromatinolyse. L’action apoptotique de tAIF repose principalement sur son extrémité C-terminale. Récemment, il a été montré que la présence d’un domaine riche en prolines au sein de cette région permet l’association de tAIF avec la protéine histone phosphorylée H2AX. Le complexe tAIF-H2AX induit la chromatinolyse selon des mécanismes encore à élucider. Il a par contre été montré que la cyclophiline A est indispensable à leur action (Artus et al., 2010).

Le phénomène d’apoptose indépendante des caspases est encore peu défini. Bien qu’il puisse être induit par les mêmes agents que l’apoptose dépendante des caspases, comme les agents alkylants, il semble que la puissance du stress détermine la réponse : alors que de faibles concentration induisent une réponse classique d’apoptose dépendante des caspases, de plus fortes concentrations sont nécessaire à l’activation de l’apoptose dépendante d’AIF (Moubarak et al., 2007).