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Les calpaïnes sont des protéases à cystéine identifiées pour la première fois en 1964 à partir d’un lysat de cerveau de rat (Guroff, 1964). Il s’agit d’une famille de protéases cytoplasmiques fonctionnant à pH neutre et en présence de calcium. Actuellement, 15 membres sont connus, définis par la présence d’un domaine protéase caractéristique. Les deux calpaïnes les plus étudiées sont la calpaïne 1 (µ-calpaïne) et la calpaïne 2 (m-calpaïne) (Leloup and Wells, 2011). Elles doivent leur nom aux concentrations de calcium nécessaires pour leur activation in vitro, respectivement de l’ordre du micro ou du milli-molaire (Mellgren, 1980; Dayton et al., 1981; Inomata et al., 1983). Contrairement aux autres calpaïnes, elles s’activent uniquement par hétérodimérisation avec une sous-unité régulatrice, la calpain-S1 (ou CAPSN1). Alors que certaines calpaïnes, comme les calpaïnes 1 et 2, sont ubiquitaires, d’autres sont spécifiques de certains tissus, comme la calpaïne 3, spécifique des muscles striés squelettiques ou la calpaïne 9, exclusivement détectée dans le tractus digestif (Leloup and Wells, 2011; Storr et al., 2011a).

Les calpaïnes présentent une organisation en 3 ou 4 domaines DI à DIII ou DI à DIV. La calpaïne-S1 est composée de deux domaines, DV et DVI (Figure 17). DI, le domaine le plus N-terminal, semble jouer un rôle auto-inhibiteur. L’activation des calpaïnes peut s’accompagner de son autolyse, qui n’est cependant pas un préalable indispensable (Hosfield et al., 1999). Le domaine DII porte l’activité protéase. C’est le seul domaine à être fortement conservé au sein de toutes les calpaïnes. Il est composé de deux sous-domaines, DIIa et DIIb qui contiennent chacune une partie du site actif. Suite à la liaison de calcium, le domaine DIIb subit une rotation de 50°C et se rapproche domaine DIIa, permettant la reconstitution d’un domaine catalytique fonctionnel. Le domaine DIII est composé de huit feuillets β antiparallèles, une structure rappelant le domaine C2 impliqué dans l’adressage membranaire de certaines protéines comme les PKC. Ce domaine a de nombreux points de contact avec les domaines DIIa et DIIb et participe vraisemblablement à leur réarrangement en présence de calcium (Hosfield et al., 1999; Strobl et al., 2000). Le domaine DIV et le domaine DVI contiennent 5 motifs EF-hand, parmi lesquels 4 ont pour fonction de lier les ions Ca2+ tandis que le dernier est impliqué dans la liaison entre les calpaïnes et la calpaïne-

S1 (Imajoh et al., 1987; Blanchard et al., 1997). Enfin, Le domaine DV est riche en glycines et favorise l’interaction avec les phospholipides membranaire.

Les calpaïnes sont classées en deux catégories : les calpaïnes classiques, qui possèdent les domaines DI à DIV et les calpaïnes atypiques, qui sont dépourvues du domaine DIV. Alors que la structure des calpaïnes classiques est assez bien conservée, celle des calpaïnes atypiques est plus variable : le domaine DI peut être absent, il peut y avoir des répétitions du domaine DIII et des domaines supplémentaires peuvent être contenus dans la séquence de ces calpaïnes (Sorimachi et al., 2010). De manière intéressante, tous les domaines des calpaïnes peuvent lier au moins un ion calcium et il a été montré que le domaine DII isolé était capable de s’activer en présence de calcium (Tompa et al., 2001; Moldoveanu et al., 2002, 2004). Cela explique que le domaine DIV n’est pas indispensable pour permettre au calcium de contrôler l’activité des calpaïnes atypiques.

Figure 17 : Domaines et structure tridimensionnelle de la calpaïne 2 dimérisée à la calpaïne-S1.

Schéma tiré de (Storr et al., 2011a) et structure tridimensionnelle tirée de (Hosfield et al.,

Plusieurs processus permettent de moduler l’activation des calpaïnes. Certains mécanismes diminuent la concentration en calcium requise pour l’activation des calpaïnes et favorisent donc leur activation, comme l’autolyse du domaine DI (Suzuki et al., 1981; Imajoh et al., 1986), l’interaction avec des phospholipides comme le PIP2 (Saido et al., 1992) ou la

phosphorylation par la PKCι ou ERK (Glading et al., 2001; Xu and Yu, 2007). A l’inverse, La PKA inhibe l’activité de la calpaïne 2 en empêchant son interaction avec le PIP2 (Shao et al.,

2006; Shiraha et al., 2002). Enfin, la calpastatine, un inhibiteur endogène et ubiquitaire des calpaïne, diminue son activité. La calpastatine est stockée sous forme d’agrégats dans le cytoplasme des cellules, à proximité du noyau et libérée suite à l’augmentation de la concentration en calcium (Averna et al., 2003). De nombreuses isoformes sont générées à partir du gène de la calpastatine, cstn, grâce à l’existence de différents promoteurs ou d’épissages alternatifs des ARNm (Takano et al., 2000; Parr et al., 2004). Les conséquences physiologiques de ce phénomène ne sont pas bien comprises à l’heure actuelle. Cependant, il a été montré que le promoteur au niveau duquel commence la transcription varie suivant le tissu ou en réponse à certains stimuli, suggérant que les différents isoformes de la calpastatine sont requis suivant le contexte cellulaire (Takano et al., 2000; Sensky et al., 2006). La présence de certains domaines permet de placer les isoformes qui les contiennent sous le contrôle de modifications post-traductionnelles spécifiques. Par exemple la phosphorylation de certains isoformes au niveau de leur domaine L favorise leur libération depuis les agrégats dans le cytoplasme ou module leur activité (Salamino et al., 1997; Averna et al., 2003). En plus de se lier aux calpaïnes pour les inhiber, certains isoformes sont capables d’inhiber partiellement des canaux calciques de type L au sein des cardiomyocytes (Minobe et al., 2006). Ainsi, la génération de différents isoformes de la calpastatine permet de la placer sous le contrôle de plusieurs inducteurs et d’obtenir des protéines dotées de différents modes d’actions.

Les calpaïnes sont impliquées dans le clivage de nombreux substrats, incluant des protéines du cytosquelette (taline, paxilline, vinculine, α-actinine…), des facteurs de transcription (p53, Myc…) et des enzymes (Leloup and Wells, 2011). Une caractéristique des calpaïnes compliquant l’étude de leur implication fonctionnelle est qu’il n’existe pas de site consensus de clivage ou de recrutement des calpaïnes au sein des substrats. La comparaison de plusieurs dizaines de sites de clivages a permis d’identifier certains éléments caractéristiques qui ne sont cependant pas universels (Figure 18). Par exemple le résidu en P2 (deuxième résidu avant le site de clivage) est généralement hydrophobe. Il s’agit souvent d’une leucine (L) ou d’une valine (V). Les résidus P1 les plus fréquents sont la thréonine (T), l’arginine (R), la gluamine (Q), la lysine (K), la glycine (G) ou la sérine (S). Les résidus P1’ (premier résidu après le site de clivage) les plus fréquents sont la sérine, la

thréonine (T), la lysine (K), l’arginine (R) et l’alanine (A) (Tompa et al., 2004; duVerle et al., 2010) (voir aussi www.dmbr.ugent.be/prx/bioit2-public/SitePrediction/.)

Figure 18 : Acides aminés constituant préférentiellement les sites de clivage des calpaïnes

Tiré du site www.calpain.org

La grande diversité de substrats des calpaïnes suggère un rôle important dans de nombreux processus biologiques. En effet, l’extinction de la calpaïne-S1 (cpns-1 -/-) est létale, suggérant un rôle important de la calpaïne 1, de la calpaïne 2 ou bien des deux. (Arthur et al., 2000; Zimmerman et al., 2000). Confirmant ce résultat, l’extinction de la calpaïne 2 (cpn2 -/-) chez la souris est létale avant même l’implantation des embryons (Dutt et al., 2006). Les mutants délétés pour la calpaïne 1 sont par contre viables et fertiles (Azam et al., 2001), suggérant que la calpaïne 1 ne joue aucun rôle lors du développement embryonnaire ou bien que la calpaïne 2 compense la perte de la calpaïne 1. Les calpaïnes ont également été associées à certaines pathologies (Zatz and Starling, 2005). Ainsi, une activité calpaïne plus importante dans les cellules nerveuses accompagne les maladies neurodégénératives comme Alzheimer (Yamashima, 2013). Les calpaïnes font également partie des acteurs principaux impliqués dans les infarctus du myocarde. En effet, le phénomène d’ischémie-reperfusion subi par les cellules entraîne une surcharge de calcium dans le cytoplasme menant à l’activation des calpaïnes. Celles-ci entraînent le dysfonctionnement des myocytes en dégradant les protéines contractiles ainsi que des composants de la chaîne respiratoire mitochondriale, aboutissant à une perte des cellules en ATP. Elles induisent également la mort cellulaire en activant, par leur clivage, des protéines pro-apoptotiques comme Bid (Neuhof and Neuhof, 2014). Les phénomènes d’ischémie- reperfusion sont également à l’origine de l’activation des calpaïnes dans les cellules nerveuses en cas d’attaque cérébrale (Yamashima and Oikawa, 2009). Les calpaïnes ont également été impliquées dans plusieurs types de dystrophies musculaires : des mutations inactivatrices de la calpaïne 3 sont à l’origine de l’accumulation de fibres anormales menant à la mort des myocytes dans la dystrophie des ceintures tandis que, dans les dystrophies de

Duchenne et de Becker, l’absence de dystrophine entraîne une perturbation de l’homéostasie calcique des myocytes à l’origine d’une activité excessive des calpaïnes (Tidball and Spencer, 2000; Gallardo et al., 2011). L’expression et l’activité des calpaïnes est aussi augmentée dans des échantillons de patients atteints de sclérose en plaque, suggérant un rôle dans cette maladie (Shields et al., 1999),