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Les céramiques saintongeaises : Témoins de La Rochelle

Chapitre 5 : Intégrations Céramiques et réseaux transatlantiques

5.6. Les céramiques saintongeaises : Témoins de La Rochelle

5.6.1. La Chapelle-des-Pots. Un artisanat organique et prospère

Le second réseau le plus important est celui de La Rochelle, représenté par les céramiques saintongeaises. L’artisanat potier en Saintonge, centré à La Chapelle-Des-Pots, débute entre 1250 et 1320 (Musgrave 1998 : 2; Chapelot 1983b : 119; Renimel 1978 : 43). Il connut un

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essor au XVIe et au XVIIe siècle grâce à l’élargissement des marchés et de nouvelles productions plus grossières destinées à une clientèle modeste. Ce même XVIIe siècle fut marqué par l’alourdissement des charges fiscales en milieu rural, ce qui entraîna une recherche de revenus supplémentaires par les paysans, qui vinrent alors augmenter les rangs des potiers (Musgrave 1998 : 6, 7).

Les centres potiers, situés dans les hameaux ou villages, étaient rassemblés autour du travail domestique et des fours à céramique et ces installations étaient souvent à quelques kilomètres d’un quai fluvial (Chapelot 1983 : 51-52; Musgrave 1998 : 10). Il arrivait que les artisans se spécialisent dans certaines étapes de la chaîne opératoire et que le façonnage des objets et leur cuisson soient l’œuvre d’artisans différents. La base familiale des ateliers permettait un accès à une main-d’œuvre peu coûteuse et à toutes les ressources technologiques, alimentaires et sociales des familles campagnardes (Musgrave 1998 : 8-9). L’organisation des ateliers allait de maîtres-potiers autonomes employant parfois des journaliers, à des associations de potiers et de journaliers, et à des artisans sans four qui vendaient leurs pots non cuits à des

propriétaires de fourneau (Musgrave 1998 : 9-10).

5.6.2. Commercialisation

La commercialisation des poteries saintongeaises, à l’échelle locale et régionale, se faisait par vente directe des artisans aux marchands ou aux clients, sans ou avec contrat écrit. Les

contrats établissaient les termes des échanges de poteries entre l’artisan et son client. En échange d’une rémunération monétaire, ou en matière première, l’artisan s’engageait à vendre un nombre variable de pièces à son client ou à lui fournir toute sa production pendant un temps donné (Musgrave 1998 : 11). La commercialisation interrégionale et internationale était organisée par les marchands rochelais qui vendaient les poteries avec leurs marchandises agricoles, alcools et sel. Ces marchands exportateurs pouvaient obtenir les poteries d’autres marchands, en négociant avec des associations de marchands potiers qui représentaient des artisans ou en octroyant des commissions de fabrication (Musgrave 1998 : 11).

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La diffusion des céramiques saintongeaises profitait de la Charente et ses commerces du vin et du sel. Elle profitait du commerce fluvial de Saint-Savinien, Taillebourg, Saintes et l’important commerce d’alcool de Cognac (Musgrave 1998 : 3, Sauzeau : 84, 85, 93; Grelie 1933; Chapelot 1984). Dans leur voyage de l’arrière-pays charentais à La Rochelle, les

poteries étaient parfois chargées dans des ports situés hors des villes fluviales, afin d’éviter les péages et minimiser la distance à parcourir vers les voies maritimes par les cargaisons de céramiques. Citons l’exemple de Port-Berteau, un site portuaire médiéval et moderne fouillé à quelques kilomètres en aval de Saintes, où de nombreuses épaves et des céramiques

saintongeaises du XVIIe et du XVIIIe siècle ont été retrouvées (Renimel 1978 : 44, 46, 256; Rieth 2003 : 46).

5.6.3. Importance de l’approvisionnement de La Rochelle

La Rochelle est possiblement le port dont le rapport avec la Nouvelle-France a été le plus étudié. La ville aunisienne est mentionnée, depuis 1642, comme port d’embarquement

principal et centre administratif de la Nouvelle-France, mais aussi de la société de Notre-Dame de Montréal (Delafosse 1951; Pritchard 1976; Bosher 1992, 1993). Bosher a calculé que 67,5% des navires arrivant en Nouvelle-France entre 1632 et 1712 provenaient de La Rochelle (Bosher 1993 : 52). La ville desservait aussi les pêcheries et le commerce de Terre-Neuve, du Labrador, de l’Acadie et des colonies britanniques (De la Morandière 1962 : 302-303; Trocmé et Delafosse 1952 : 169-170; Litalien 2004 : 54; Turgeon 1986 : 528; Crompton 2017; Le Blant 1963 : 364-366).

Son importance découlait aussi des liens familiaux que les marchands de Nouvelle-France y entretenaient pour leur négoce (Deĉhene 1974 :93-94). Ces liens pouvaient intégrer de petits marchands à de grands cercles de négoce et parfois même inclure les capitaines de navire (Studnicki-Gizbert 2003; Bosher 1994 : 14-15). La paroisse était un liant entre des acteurs commerciaux de même observance religieuse. Bosher écrit : « the churches were social

groups and the social groups business groups » (Bosher 1988: 457). Les ordres religieux

avaient leur propre activité en Nouvelle-France et figuraient parmi les plus grandes forces financières de la colonisation (Codignola 1999; Bosher 1993b). La société de Notre-Dame de

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Montréal, gestionnaire de l’île éponyme pendant la majorité de l’existence du fort de Ville- Marie, en constitue un exemple parmi plusieurs (Allier 1902).

L’importance de La Rochelle dans l’approvisionnement de la Nouvelle-France avait alors des dimensions économiques, politiques et sociales. La Rochelle et le Canada étaient joints par l’ambition de soumettre le territoire à l’autorité française et à la religion catholique qui se voulait l’idéologie dominante française (Bosher 1993b : 295). Cette idée d’unicité religieuse fut toutefois contestée par les protestants, qui se sont attirés une croisade anti-huguenote et le siège de La Rochelle en 1628. Cet affrontement sanglant se solda par l’expulsion (ou la conversion) des protestants de la cité, et le remplacement des anciennes élites et des corps administratifs municipaux, et de ceux de l’arrière-pays charentais, par des gens fidèles à la couronne et à l’Église catholique (Bosher 1993b : 303-311). Le vacuum engendré par cette purge, ainsi que le calme imposé par les autorités nationales, avait pu attirer des marchands catholiques en quête d’opportunités et favoriser l’organisation d’entreprises coloniales qui étaient considérées risquées de nature (Bosher 1993b : 311).

5.6.4. Voyages et réseaux

Outre l’escale possible des navires transatlantiques à des stations de pêche, comme à Plaisances les cargaisons de céramiques saintongeaises parcourent le même trajet que les autres céramiques françaises pour arriver à Québec et Montréal (fig. 8, p. 129 et lxvi). Ces céramiques se distinguent quelque peu de leurs homologues du XVIIe siècle par leurs fonctions sociotechniques et idéotechniques (table et service n=45, culte et rituel n=21). Les marmites et les pots étaient utilisés dans la cuisine pour la cuisson, la préparation des aliments, et peut-être l’entreposage de condiments. D’autres objets modulaient les interactions sociales à la table et s’intégraient aux activités religieuses pour ennoblir les lieux de culte.

Comme Dagneau et Losier l'ont proposé, les céramiques de plusieurs origines en France (et en Europe) convergeaient grâce à des réseaux français intérieurs sur une ville portuaire

exportatrice, La Rochelle dans ce cas, avant leur envoi de l'autre côté de l'Atlantique et leur redistribution par une ville importatrice comme Québec (Dagneau 2009 : 17; Losier 2012 :

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344). Dans cette disposition du monde, Montréal était une périphérie marginale, même selon le standard de la Nouvelle-France. Ensuite, ce n’est pas toutes les marchandises qui étaient redistribuées à partir de Québec, comme le suggèrent le règlement de 1664 de Québec et l’étude comparée des céramiques à Montréal et à Québec (Lemay 2008). Les villes

importatrices, surtout Québec, avaient le premier choix et exportaient les restes en amont. À titre de deuxième catégorie la plus représentée du fort de Ville-Marie, les tessons saintongeais révèlent une relation entre la prédominance historique de La Rochelle en

Nouvelle-France au XVIIe siècle et les données archéologiques. Toutefois, ces mêmes données contredisent l’idée que La Rochelle seule dominait le commerce à Montréal. Si La Rochelle a souvent été représentée par les

historiens comme le principal siège colonial, en termes de commerce, administration et

peuplement (Bosher 1993; Pritchard 1976),

l’archéologie dévoile l’apport matériel supérieur de Bordeaux.

Les formes des objets saintongeais et leur évolution laissent entrevoir une concurrence ou une complémentarité avec Bordeaux. Les deux ports possédaient des économies distinctes, mais pouvaient contribuer à l’industrie de l’autre, comme dans l’exemple des tonneaux requis en grande quantité par Bordeaux, ou avoir des marchands ayant des activités conjointes

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(Loewen 2004: 219; Bosher 1994, 1993, 1983). Il est possible que la société de Notre-Dame, par sa gestion centralisée de Montréal, ait coordonné les deux réseaux marchands.

Les terres cuites saintongeaises représentent un réseau constant dans le temps, et ce, malgré le net décalage temporel entre les variantes polychrome et vert pomme. Ce double effet

archéologique permet de déceler des changements s’opérant en amont de Montréal, dans l’économie française ou dans les centres potiers eux-mêmes. Si ce changement est perceptible dans l’établissement périphérique qu’était Montréal à l’époque, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit également visible dans les ports qui seraient desservis avant Montréal dans les grands schèmes de navigation transatlantique.

La constance du réseau céramique rochelais, malgré sa reconversion de fond en comble à la fin du XVIIe siècle touchant les argiles, les engobes, les glaçures et les formes, témoignent aussi de la solidité des liens commerciaux tissés par les marchands coloniaux avec leurs fournisseurs rochelais.

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