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d’accompagnement aux systèmes d’activité

ruraux. Exemple de la région Languedoc-

Roussillon

2.A -

L’

ACCOMPAGNEMENT

,

ENTRE NÉO

-

MANAGEMENT

ENTREPRENEURIAL

,

GESTION DE L

EXCLUSION ET ÉTAYAGE DE

L

INDIVIDU

1)

Le projet d’accompagnement à l’épreuve

a) Concept polysémique pour démarche non balisée

L’accompagnement est dans tous les écrits et les discours depuis une dizaine d’années, quel que soit le domaine professionnel. Un rapide tour d’horizon des résultats donnés par un moteur de recherche cherchant les sites liés au terme « accompagnement »55 montre la diversité d’emploi de cette notion, mais aussi ses points de convergence. Les dix résultats de la première page sont répartis comme suit (voir annexe 2). Deux concernent le champ de la santé (« accompagnement et soins palliatifs »), quatre concernent l’éducation, en particulier intégrée au cadre de l’éducation nationale («accompagnement à la scolarité », « accompagnement éducatif »), deux concernent l’emploi (« contrat d’accompagnement dans l’emploi »), et les deux autres renvoient à des références (ouvrage de Maela Paul largement cité dans cette thèse et incontournable Wikipédia). La deuxième page est largement tournée vers l’entreprise et la création d’activité. Sur dix résultats, quatre parlent de management et d’entreprise (« coaching et accompagnement », « accompagnement et marketing global des PME », « innovation et croissance des PME », « accompagnement pour la reprise et la création d’activité »), quatre concernent toujours l’accompagnement éducatif

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(« accompagnement pédagogique », « accompagnement personnalisé au BAC », « accompagnement à la scolarité », « accompagnement éducatif »), une référence parle d’accompagner la vie (« accompagner la vie »), tandis qu’une autre nous offre une définition du terme (« accompagnement traduction, accompagnement définition ») qui nous permet par un clic d’avoir un aperçu de sa traduction anglaise (accompanying lorsqu’il s’agit d’accompagner des voyageurs, caring pour l’accompagnement des malades, support pour celui des élèves, accompaniement pour la partition musicale… et nous laissons de côté le domaine de la cuisine)56. Dans les définitions données par ce même site web, le terme accompagnement a trois sens. Tout d’abord il désigne le fait d’entourer, d’escorter, d’encadrer ; c’est ensuite la garniture du plat et enfin le soutien d’une partie musicale. Notons qu’il n’y a rien pour l’accompagnement à la création d’activité. Revenons à notre recherche

google et notons quelques nouveaux emplois du terme : page trois, un site d’accompagnement

à la naissance et un site d’accompagnement au projet ; page quatre, un site dédié à l’accompagnement des mutations économiques ; page cinq, un site sur les transports et l’accompagnement des personnes à mobilité réduite ; page huit, « accompagnement de chant au piano » ; page onze, « accompagnement spirituel » et « accompagnement solidaire ». Les autres pages continuent dans ces registres en les affinant (accompagnement de fin de vie, accompagnement à l’innovation, accompagnement des jeunes, accompagnement renforcé des chômeurs, accompagnement du désir d’enfant, accompagnement de startup, etc.). L’accompagnement peut ainsi être technique, cognitif, comportemental, spirituel, intégré à des procédures ou holistique, et il est ponctuellement musical. Mot valise ou sens commun traversant des domaines aussi étrangers que « le désir d’enfant » ou « l’innovation dans les startups » ? Pour circonscrire cette notion et l’utiliser dans notre recherche, nous laisserons de côté l’accompagnement qui concerne des éléments non vivants (le bagage accompagné, l’accompagnement du rôti, ou l’accompagnement de la mélodie), d’une autre nature que celui mettant en jeu une relation humaine. Nous nous appuierons particulièrement sur le livre de Maela Paul consacré à l’analyse théorique de la notion d’accompagnement et à son sens (Paul,

2004), et de manière générale sur les travaux des chercheurs en sciences de l’éducation.

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Le mot accompagnement, dans l’usage que nous en faisons, n’est pas défini dans les dictionnaires de la langue française, et ne l’est que peu dans les dictionnaires spécialisés, malgré son usage pléthorique (Paul, 2003). Si la notion d’accompagnement ne date pas d’hier, le concept actuel est récent. Étymologiquement, le terme [accompagner] renvoie au [pain]. Le [copain] (XVIIIe siècle), altération de [compain] (XIe siècle) est celui « qui partage la même ration de pain que ». Le [compagnon] (XIe siècle) est « celui qui accompagne quelqu’un ». On trouve le terme [accompagner] dès le XIIe siècle et celui d'[accompagnement] dès le XIIIe siècle (Beauvais, 2006). L’auteure s’appuie également sur des références plus

contemporaines : sur Rousseau, qui imagine le gouverneur d’Émile comme « le compagnon de son élève » ou sur les pionniers de la pédagogie du XXe siècle que sont C. Freinet, A .S. Neill, J. Dewey, O. Decroly et M. Montessori, qui ont tous en commun de se centrer sur l'apprenant et de privilégier son activité propre. Cependant ce sera vers la fin des années 1970 que le concept prendra son sens actuel. L’idée d’accompagnement apparaît dans le domaine de la formation chez Henri Desroches dès 197857 qui le caractérise comme une conduite maïeutique qui fait intervenir un ensemble de fonctions : tutorat, parrainage, facilitation…

(Paul, 2004). Vingt ans plus tard, l’accompagnement apparaîtra en tant que thématique de recherche chez Gaston Pineau et se professionnalisera en 1998 avec la création d’un DESS « fonctions d’accompagnement » à l’université de Tours. A l’heure actuelle l’accompagnement est développé dans la quasi totalité des domaines professionnels, de la santé à la finance en passant par l’éducation et le sport, domaines reposant sur une relation impliquée. Il s’applique particulièrement aux processus d’apprentissage, de formation, d’insertion et de création d’activité. De nombreux professionnels utilisent le terme d’accompagnement pour qualifier leurs pratiques : accompagnateurs proprement dits, mais aussi éducateurs, pédagogues, formateurs, tuteurs, maîtres de stage, conseillers, compagnons, coaches, curateurs, mentors, thérapeutes, consultants, coopérants… (Le Bouëdec, 2002).

Les bases de l’émergence de la notion actuelle d’accompagnement ont suivi deux évolutions paradigmatiques qui toutes les deux remettent en cause, bien que différemment, l’universalité et l’objectivité : le développement de la cybernétique et des systèmes, et la psychologie humaine (Paul, 2004).

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Fondateur du premier collège coopératif en 1959. On peut penser que cette idée est bien antérieure dans sa pensée, et qu’elle sous-tend sa démarche de création de ce collège coopératif.

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Avec la cybernétique et la théorie des systèmes, on passe du réductionnisme au globalisme, des chaînes logiques, causales, linéaires à une rationalité des moyens et des fins, dans une posture téléologique qui permet le développement pratique des concepts de projet et d’objectifs. La cybernétique est une science du gouvernail, du pilotage, de la rationalité, menant à la performance de la société (aussi dénommée « science du contrôle social »). Le pilotage se fait au sein de projets, sans laisser de place à l’indéterminé et au particulier.

Dans la psychologie humaine, la dimension humaniste et la singularité de la personne remettent en question les dichotomies traditionnelles (maître/élève, soignant/patient…). À l’inverse d’un recours à l’objectivité, c’est une relation empathique de subjectivités qui est mobilisée, ce qui conduit à remettre en cause l’autorité de l’expert. Le souci de l’autre prime sur le souci d’efficacité.

Sur ces bases, l’accompagnement se développe en réaction à une vision englobante de la société, prônant une rationalité maximale, et dans laquelle l’individualité disparaît. Le sujet revendique sa place ; la réflexivité se substitue à l’objectif de performance : « Ce qui importe est ce que l’autre comprend de son propre processus de croissance et la prise en charge personnelle qui en découle »

(ibid.) p.12.

L’accompagnement se développe dans une société en crise. Il est un signe des temps, un signe de mutation de notre civilisation occidentale déstabilisée par l’affaiblissement de ses grands intégrateurs en trois phases successives : la religion, la famille et l’école entre 1960 et 1975, le travail après 1975, et les idéologies politiques après la chute du mur de Berlin. Dans ces horizons devenus incertains, l’individu se questionne sur son avenir et sur les socles de ses certitudes. Le contour de ce qui était crédible se redessine. La question de la vérité devient une affaire de perception et de subjectivité. La psychanalyse et la relation à soi se développent, et proposent les outils qui permettront d’avoir prise sur ce contexte mouvant (Le Bouëdec, op. cit.). Dans ce contexte de crise sociétale de la postmodernité, l’accompagnement s’applique à trois situations types : les situations extrêmes (désespoir, fin de vie), les situations de crise ou de rupture où l’on ne sait plus quoi penser ou croire, et les situations existentielles de développement (ibid.). Il recouvre cinq grands domaines :

- la formation continue des adultes ;

- les insertions ou réinsertions dans les environnements sociaux et professionnels ; - les évolutions éprouvantes de la vie professionnelle ;

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- le domaine thérapeutique ;

- les états existentiels instables et chaotiques (passages d’âges problématiques, perturbations…) (Boutinet, 2003).

Comment donner un contour à une pratique aussi large ? Sur quelles bases s’appuie-t- elle qui permettent de la définir ? Essayons d’en poser le cadre. L’accompagnement n’est pas une méthode mais une « une démarche visant à aider une personne à cheminer, à se construire, à atteindre ses buts » (Beauvais, 2004), une pratique d’étayage de l’autre : « l’accompagnement consiste à se placer aux côtés de celui qui fait l’expérience de situations fortement déstabilisantes, afin de saisir sur le vif les problèmes tels qu’ils se posent pour celui qui les vit. Et à élaborer avec ce dernier des solutions ad hoc dont les principes qui les sous tendent sont rarement valables au-delà du cadre strict des personnes qui les ont définies. »

(Giuliani, 2008) p. 196. Pour Le Bouëdec l’accompagnement est un art, qui s’apprend par la pratique (Le Bouëdec, 2002). D’un point de vue pratique, cette posture permet de co- construire les problèmes avec les acteurs. Le paradigme constructiviste dans lequel l’accompagnement se conçoit stipule que le réel est constitué d’interprétations qui se construisent grâce aux interactions : « La construction sociale de la réalité, la limitation du champ d’observation et d’action des individus par les cultures et le contexte dans lesquels ils sont engagés interdisent par exemple de penser l’immanence des phénomènes économiques et sociaux » (Charreire et Huault, 2001). De fait la connaissance résulte d’un processus continu mais non linéaire fait de bifurcations, de doutes, et non pas d’une accumulation de connaissances hiérarchisées et dépendantes les unes des autres. Cette démarche permet de prendre en compte des situations et des projets complexes, et laisse une plus grande ouverture à l’émergence des « possibles », même lorsqu’ils paraissent éloignés du point de départ.

Les définitions de l’accompagnement mettent l’accent sur le « cheminer ensemble », le partage, le transitoire, le parcours, le mouvement. La démarche de l’accompagnement se crée dans la situation et n’est pas déterminée par avance. Le temps lui-même n’est pas donné : il est construit comme parcours, cheminement, passage, traversée et allure. L’accompagnateur s’adapte au rythme de l’accompagné : il va en « même temps » que lui (Paul, 2004). L’accompagnement se déploie dans cette relation à trois dimensions imbriquées : lien, mouvement et synchronicité (figure 14 ci-dessous).

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Tridimensionnalité de l’accompagnement (Paul Maéla, 2003)

Se joindre à quelqu'un Pour aller où il va

Jonction ou connexion (relationnelle)

Idée de lien, d’union : Constituer un ensemble « se mettre ensemble » Contact et contiguïté Proximité et connexité Similitude : Principe de relation et d’identité Concordance, conformité, accord, ressemblance, égalité Déplacement (spatialité) Idée de déplacement d’un lieu vers un autre, changement de place ou de position « aller vers » Mouvement et déplacement Progression et direction Mouvement : Principe dynamique de transformation, créateur d’écart différenciateur Synchronicité (temporelle) Idée de simultanéité entre évènement distincts

Bi-partition

« aller de pair avec » « être en phase avec »

Rapport de coexistence Concomitance et coordination Altérité: Principe d’altérité, générateur de symétrie/dissymétrie

En même temps que lui

Figure 14 : Les trois dimensions de l’accompagnement, Tallon H., d’après (Paul, 2003)

L’accompagnement est une posture de modestie : il s’agit de soutenir, de protéger, de mettre en valeur une autre personne, de rendre service, de se mettre en retrait, d’être en second plan (Le Bouëdec, 2002). L’accompagnement s’effectue dans le temps et dans l’espace. Cette temporalité-durée instaure une forme de processus, qui comprend une position éthique, voire politique (Ardoino, 2000). La démarche d’accompagnement implique un ensemble de comportements et de conduites, étayé par les savoirs théoriques et pratiques de l’accompagnateur, qui est tour à tour ou à la fois guide, conseiller, assistant, protecteur, etc., autant de fonctions que l’évolution des relations intersubjectives entre accompagnateur et accompagné rend possible et nécessaire. Ces attitudes portent une ré-interrogation des opinions, des croyances, des représentations, des attitudes qui sous-tendent les systèmes de valeurs des uns et des autres. Accompagner c’est ainsi se tenir à coté de l’autre, en élaborant une relation impliquée, intersubjective contractualisée, contingente, temporaire et co- implicatrice : « Nous définissons l’accompagnement comme un véritable paradigme structurant et éclairant les intentionnalités et les pratiques des éducateurs notamment, mais aussi bien de tous ceux qui se retrouvent impliqués dans une relation au monde et à autrui, en faisant la part, pour mieux les conjuguer ensuite, de l’universalité, de la particularité et de la singularité dans un procès proprement dialectique » (Ardoino, 2000) p.8.

113 b) Les socles de l’accompagnement dans le projet professionnel

D’un point de vue opérationnel, une démarche d’accompagnement se caractérise par quelques grands principes fondamentaux :

- accompagnés et accompagnateurs sont indépendants et autonomes. L’implication dans le processus d’accompagnement ne peut exister que s’il existe un accord et un engagement des deux partenaires, « c’est pourquoi, à l’instar de l’amitié, l’accompagnement n’est jamais médiatisé par l’argent, et partout où l’on trouve une médiation financière, on peut tenir pour assuré qu’il ne s’agit pas d’accompagnement. » (Le Bouëdec, 2002) p.18 ;

- le cadre d’intervention est souple et unique. Les principes et les limites du cadre d’intervention de l’accompagnateur ne seront valables que dans le contexte où ils ont été définis : l’interaction entre l’accompagnant et l’accompagné reste unique ;

- la relation est interactive et bienveillante : elle se préoccupe de ce qui préoccupe l’autre. Les principes éthiques et la philosophie de la relation sont basés sur la réciprocité entre partenaires et le respect de l’altérité ;

- la relation est personnelle et confidentielle. Pour certains chercheurs, il ne peut donc pas y avoir d’accompagnement collectif (Prodhomme, 2002).

L’accompagnement est ainsi une pratique de la relation personnelle, à l’intérieur d’une fonction d’autorité, portée la plupart du temps par une institution et en référence aux finalités, aux valeurs et aux critères de celle-ci. La question éthique est au cœur de la démarche et elle permet l’engagement des deux partenaires. Dans l’accompagnement est mise en jeu une double relation : relation dialectique58 dans l’engagement réciproque accompagnateur et accompagné ; relation de triangulation entre accompagné, accompagnateur et institution, la question du tiers dans le processus d’accompagnement étant fondamentale (Vial, 2007). L’accompagnement se développe dans une société économique dans laquelle l’idée de ne pas travailler entraine une exclusion sociale, ou tout du moins le sentiment de cette exclusion

(Prodhomme, 2002). La question posée par l’individu accompagné s’inscrit dans le cadre de l’interaction dynamique entre le sujet et la société dans laquelle il vit. Il est à cet égard

58 Au sens des philosophes grecs, soit art de la discussion, du dialogue permettant de s'élever de la

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important de souligner que, si l’accompagnement est centré sur l’individu, la demande d’accompagnement, implicite ou non, émane souvent d’un tiers : « Accompagner une personne dans l’élaboration d’un projet professionnel suppose d’analyser aussi les demandes de ce tiers. […] Prendre en compte les tiers absents signifie aussi permettre à l’accompagné de prendre conscience de ces demandes implicites, de la façon dont elles peuvent l’influencer. Il s’agit, au-delà de ces demandes, de rendre possible une expression, puis une décision personnelle qui intègrera les demandes des autres impliqués dans le projet, comme un élément parmi d’autres, avec lequel composer. » (Prodhomme, 2002) p.87.

La question des finalités de l’accompagnement doit donc être explicitement posée. Si la finalité de l’itinéraire d’accompagnement n’est pas donnée au préalable, le but résultant du processus en lui-même, la finalité de l’accompagnement est, elle, posée en référence aux finalités de l’institution et à ses valeurs. Elle met en exergue la place de l’individu au travail, et le modèle de société qui lui est associé (ibid.).

L’accompagnement que nous étudions se situe à la croisée du management et de l’action sociale. Il a pour objectif de soutenir les créateurs d’activité dans leurs démarches de mise en place de leur entreprise ou plus largement dans la création de leur emploi59, de la plus existentielle à la plus technique. Dans le large champ de la création d’activité, les situations sont très diverses, et dépendent de multiples critères, tels que le domaine d’activité ou le contexte socio-économique de l’activité, mais aussi le stade du projet, les compétences des personnes, les motivations, les ressources, etc. Si l’accompagnement se développe sur la fragilisation de nos repères sociaux, sur l’émergence du monde complexe, et permet d’avancer dans des situations dans lesquelles les individus sont aux prises avec leurs limites, il se développe aussi sur l’injonction au projet, de plus en plus prégnante dans notre organisation du travail, voire notre organisation sociale.

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Nous utiliserons parfois l’expression d’« auto-emploi », en usage dans les structures d’insertion et d’accompagnement, et qui désigne une forme de création d’activité réflexive dans laquelle l'employé comme l'employeur sont une même personne physique.

115 c) Accompagnement et projet sont indissociables

Le projet est ce concept résolument positif qui, au siècle des lumières, « ouvre des possibles » à l’Homme qui se réveille enfin de l’enchantement dans lequel Dieu et la Nature avaient plongé son quotidien, pour devenir cet individu qui ne subit plus mais fait l’histoire :

« [Au XVIIe siècle] progrès et projet témoignent de cette capacité de l’homme à faire l’histoire et […] de son profond désir de se réaliser lui-même en se voulant créateur » (Boutinet, 2005) p.29. Plus près de nous, les philosophes du XXe siècle auront marqué notre époque du sceau du projet. Sartre aura vu dans le projet le moyen pour l’Homme de transcender les déterminations qui ne cessent de peser sur lui, de se concevoir comme un être libre mis en mouvement par le manque qu’il éprouve, capable de se dépasser et par là-même de se construire : « Nous voulons dire que l’homme existe d’abord c’est-à-dire que l’homme est ce qui se jette vers un avenir et ce qui est conscient de se projeter dans l’avenir. L’homme est d’abord projet » (Sartre, 1996) p.30. Définir l’homme comme projet revient à le concevoir comme inachevé et du même coup comme un être du « toujours possible » (Paturet, 2002).

Le projet dans sa forme opérationnelle actuelle est ambivalent. Il peut avoir une signification ouverte, sartrienne, existentielle, et évoquer « cette quête incertaine et tâtonnante de sens qu’un acteur cherche à conférer à son itinéraire de vie ». Il peut aussi se réduire à une perspective instrumentale et opératoire, : « la pluridimensionnalité du projet se trouve alors ramenée à l’unidimensionnalité d’objectifs couplés à des moyens jugés appropriés » (Boutinet, 2002) p. 621. La notion porte en elle un conflit, celui de la rationalité appliquée à la prise en main du futur, à l’intérieur du cadre existentiel d’un devenir inaccessible. C’est ce conflit que la démarche d’accompagnement doit pouvoir résoudre. Dans sa perspective instrumentale, le projet est basé sur une démarche méthodologique volontaire, dans laquelle l’acteur et son but sont en totale interdépendance, et dont l’objet se dévoile par un processus itératif entre le formulé et le formalisé. Le projet est éphémère : « Le projet est un objet en devenir, qui se détruit quand il se réalise. […] Il signale à la fois une individualisation des conduites et une fragilisation du temps vécu. » (Audezet, 2008) p.52.

La place prédominante que joue la notion de projet dans nos vies s’explique par la transformation rapide du fonctionnement des sociétés occidentales, dans cette période post-

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moderne60 caractérisée par les mutations des technologies, l’éclosion du virtuel, et l’affaiblissement de la tutelle de l’État et des figures du guide ou du maître. Dans une société de plus en plus mobile et ouverte, chacun est appelé à devenir maître de son destin, à « se créer », à « autodéterminer » son destin, à être l’« auteur de sa vie », mais aussi, par là-même,

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