• Aucun résultat trouvé

Le traitement du temps et l’œuvre comme procédé

CHAPITRE IV DESCRIPTION DU PROJET

4.5. Le traitement esthétique

4.5.6. Le traitement du temps et l’œuvre comme procédé

Par les nombreuses techniques servant au traitement de l’image et la mise en relation de différents agents du mouvement, Prises d’élans offre au spectateur la possibilité

d’entreprendre une série de décompositions et recompositions spatiales (Bergson, 1966, p. 158) par lesquelles de nouvelles entités (ou associations) peuvent être fabriquées. Cela dit, la façon dont le temps est traité dans la performance rend

possible un exercice semblable sur le plan temporel (donc desdécoupages temporels). En d’autres termes, tout comme mon œuvre présente différentes configurations de l’espace, elle comporte aussi différentes configurations du temps, celles-ci pouvant être conçues de nombreuses façons. Mon intention de traiter le temps comme matériau variable a justifié plusieurs décisions que j’ai prises à l’égard des effets visuels et du déroulement de la performance.

Le choix de présenter mon œuvre sous la forme d’une performance implique déjà un rapport au temps que je trouve intéressant. Catherine Elwes suggère que la performance est un mode de présentation qui assume entièrement une conception de l’expérience comme flux continu et insaisissable (2015, p. 99). Une œuvre performée n’est jamais fixée sur un support médiatique23 et donc ne produit pas un objet d’art

23 En ce qui concerne la performance présentée dans le cadre de ce mémoire, une documentation vidéo

tangible (Ibid., p. 66). Elle est plutôt un événement ancré dans le présent et éphémère du fait qu’elle ne peut jamais être vécue deux fois de la même façon (Ibid., p. 67). J’ai voulu souligner cette qualité éphémère de deux manières. En premier lieu, les opérations aléatoires et les gestes improvisés assurent que chaque représentation de Prises d’élans soit un événement unique. En second lieu, la performance se termine

sans laisser de traces : les vidéogrammes de poses longues captés pendant la durée de l’œuvre sont effacés de l’ordinateur24. Mon choix de programmer le dispositif ainsi vient de mon intention de présenter l’image-fluctuation comme procédé et non comme finalité d’une opération technique. Par sa transformation perpétuelle et constante, elle existe seulement dans le moment présent, le moment auquel on en fait l’expérience. Je considère justement que l’immédiateté de l’œuvre est accentuée par la révélation de la genèse des poses longues en temps réel. Normalement, l’image (filmique ou photographique) est une empreinte du passé et nous la voyons seulement après que la rencontre entre la caméra et l’objet qu’elle pointait ait eu lieu, c’est-à- dire toujours en leur absence (Dubois, 1990, p. 87). Dans le cas de ma performance, elle présente la mise en relation entre le corps et le dispositif (la prise de la pose longue) en même temps que l’image produite (le vidéogramme).

Cela dit, Prises d’élans ne traite pas uniquement le présent, car il arrive que des

marques du passé resurgissent. C’est le cas lorsque les longues poses captées par le dispositif reviennent à l’écran sous forme d’animation. En fait, nous pouvons même concevoir que par ces animations, la fixité du passé et le flux du présent occupent l’écran simultanément ; l’image fixe produite quelques instants auparavant est transformée par le mouvement qui l’anime au moment présent. Une autre forme de tension entre passé et présent s’observe dans la répétition. Les déplacements en

des fins descriptives et ne peut remplacer l’expérience d’assister à la performance en personne. L’œuvre performée constitue donc non un objet d’art, mais un moment vécu dans le passé.

24 Encore ici, afin de fournir la documentation exigée par la maîtrise en communication, les

vidéogrammes de la performance présentée dans le cadre de ce mémoire ont été conservés pour inclure des animations aux annexes. Cependant, un algorithme assure normalement que ces images soient automatiquement effacées après la performance.

boucle de plusieurs composantes du système sont nécessaires pour produire des animations minimalement fluides. Mais outre leur fonction technique, ces répétitions engendrent une dynamique temporelle par laquelle le performeur et le dispositif tentent de retrouver leurs états antérieurs pour finalement être emportés par le flux du présent. Un retour au passé finit par conclure la performance ; une dernière image- fluctuation animée combinant toutes les poses longues enregistrées au cours du processus nous offre une sorte de récapitulation de l’expérience. Cependant, cette manifestation du passé cède finalement elle aussi sa place au présent et s’efface à tout jamais.

Ce qui constitue le traitement temporel le plus particulier de mon œuvre, selon moi, correspond à ma technique d’animation à partir de poses longues. Je considère cette méthode comme étant un vrai exercice de découpage temporel qui permet la

fabricationde temporalités différentes, destemps-composés. Déjà, par la pose longue,

le trajet du corps est capté en une seule image pendant un intervalle de temps. Il s’agit donc de ce qu’Alexandre Alexeïeff appelle la « solidification » d’un mouvement (2016, p. 355), c’est-à-dire la conversion d’une durée mobile en un instant fixe. En

faisant défiler rapidement ces « mouvements solides » en une animation, nous obtenons un nouveau mouvement. Il ne s’agit pas du rétablissement du mouvement initial capté par la caméra, mais un mouvement qui surgit des variations qui distinguent chacun des trajets captés. En d’autres termes, la nouvelle durée que représente l’animation produite est constituée d’instants (les photogrammes) qui sont eux constitués de durées (les trajets captés par les longues poses) étant à leur tour constituées d’instants (la captation vidéo à trente images par seconde). Ces images- fluctuations peuvent donc être vues comme étant des systèmes temporels, ou des