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Le th´ eor` eme de Lanford : une approche d´ eterministe

2.3 Les probl` emes de d´ erivation

2.3.2 Le th´ eor` eme de Lanford : une approche d´ eterministe

Le programme de Grad trouve son origine dans l’obtention d’une suite d’´equations v´erifi´ees par les marginales fN(s) (avec 1 ≤ s ≤ N ) d’une fonction de r´epartition d’un syst`eme de N (N ∈ N∗) sph`eres dures de diam`etre ε. Cette suite d’´equations est obtenue `a partir de l’´equation de Liouville, et s’appelle la hi´erarchie BBGKY, qui doit son nom aux travaux des physiciens et chimistes Nikola¨ı Bogolioubov [10], Max Born et Herbert Green [15], John Kirkwood [46] et Jacques Yvon [67]. Grad obtient alors dans [38] une relation v´erifi´ee par la premi`ere marginale de la fonction de r´epartition du syst`eme de sph`eres dures, et observe que dans la limite de Boltzmann-Grad N → +∞, N εd−1= 1, et avec quelques autres ma-

nipulations, cette ´equation n’est autre que l’´equation de Boltzmann.

Une de ces manipulations consiste `a utiliser la propagation du chaos, ce qui signifie que si la suite des donn´ees initiales fN,0(s)

1≤s≤N est approximativement

tensoris´ee, c’est-`a-dire que cette suite est donn´ee par les marginales de la distri- bution initiale : fN,0(N )(ZN) = ZN−11ZN∈DεN  N Y i=1 fN,0(1)(zi) (2.6)

(o`u ZN = (z1, . . . , zN) est la configuration du syst`eme dans l’espace des phases

36 CHAPITRE 2. ´ETAT DE L’ART SUR L’ ´EQUATION DE BOLTZMANN

de cet espace des phases Dε

N, encodant en particulier la condition d’exclusion

|xi− xj| > ε pour tous 1 ≤ i < j ≤ N , ce qui signifie que les particules de

rayon ε/2 ne se chevauchent pas, et enfin o`u ZN−1 est simplement un facteur de normalisation), alors cette tensorisation se propage aussi `a la suite de solutions

t 7→ fN(s)(t, . . . )

1≤s≤N pour tout temps dans la limite N → +∞.

Il convient de noter que la limite de Boltzmann-Grad N → +∞, N εd−1 = 1

a une signification physique importante. Le fait que la quantit´e N εd−1 reste

constante lorsque N varie signifie que, ind´ependamment du nombre de particules consid´er´ees, le temps moyen de parcours libre d’une particule reste constant. Autrement dit, une particule parcourra en moyenne une distance fix´ee avant d’entrer en collision avec une autre particule. Avant cette collision, la parti- cule s’est donc d´eplac´ee librement, en ligne droite. Une discussion un peu plus pouss´ee sur la signification de cette limite est propos´ee dans la section 1.1.7. La limite de Boltzmann-Grad implique alors que le volume occup´e par l’ensemble des particules du syst`eme, qui est de l’ordre de N εd, est en fait de l’ordre de ε

ou, ce qui est ´equivalent, de l’ordre de N−d−11 , et tend donc vers 0 lorsque N

tend vers l’infini : seule une infime partie du volume occup´e par le fluide est en fait occup´ee par des particules. C’est une des raisons pour laquelle l’´equation de Boltzmann est utilis´ee dans le cadre de la mod´elisation de gaz tr`es dilu´es. Par ailleurs, dans le cadre de la r´esolution du sixi`eme probl`eme de Hilbert men- tionn´e plus haut, on utilise cette limite de Boltzmann-Grad de fa¸con cruciale. D’abord en se fixant un nombre α tel que N εd−1= α, on obtient l’´equation de Boltzmann `a partir d’une mod´elisation particulaire de la mati`ere : tout l’objet de ce travail est de montrer en quel sens cette ´etape peut ˆetre rigoureusement franchie. Dans la litt´erature anglophone, cette ´etape est souvent appel´ee ”low density limit”.

Bien qu’il ne s’agisse pas du sujet du pr´esent travail, il ne semblait pas raison- nable de ne pas mentionner la seconde ´etape de la r´esolution du sixi`eme probl`eme de Hilbert : le passage du mod`ele cin´etique au mod`ele continu. L’objectif final de Hilbert ´etait en effet de parvenir `a justifier les ´equations de la m´ecanique des fluides. Il est en effet possible d’achever ce programme en prenant appui sur le r´esultat de ”low density limit” obtenu, et de retrouver, d’abord formellement, les ´equations de Navier-Stokes `a partir de l’´equation de Boltzmann, en effec- tuant ce que l’on appelle une limite hydrodynamique. On va faire tendre `a son tour la quantit´e α vers l’infini, ce qui signifie que le temps moyen de parcours libre des particules du syst`eme va tendre vers z´ero. La signification physique de cette limite est que les particules vont s’entrechoquer `a une cadence tr`es ´elev´ee. De nombreux r´esultats ont ´et´e obtenus dans le sens du passage rigoureux `a la limite hydrodynamique. On renvoie le lecteur `a la r´ef´erence [56] sur ce sujet. Quant `a la justification rigoureuse de l’obtention de l’´equation de Boltzmann `

a partir d’un mod`ele particulaire d´eterministe, Carlo Cercignani dans [21] (en 1972), puis Oscar Lanford dans [49] (en 1975) obtiennent les premiers r´esultats math´ematiques dans le sens de la r´esolution du programme de Grad. En par-

2.3. LES PROBL `EMES DE D ´ERIVATION 37

ticulier, Lanford remarque que la propagation du chaos peut ˆetre obtenue par une ´etude pr´ecise des trajectoires des sph`eres dures, et apporte une preuve ri- goureuse de l’apparition de l’irr´eversibilit´e. Pour la premi`ere fois, une preuve math´ematique d´emontre la validit´e rigoureuse de l’´equation de Boltzmann lo- calement en temps, apportant une avanc´ee d´ecisive `a la r´esolution du sixi`eme probl`eme de Hilbert. Les paradoxes tels que ceux mentionn´es `a la fin de la sec- tion 1.3.3 page 27 ne peuvent plus ˆetre vus comme des arguments invalidant l’´equation de Boltzmann, et les propri´et´es de ses solutions a priori surprenantes changent de statut, passant d’apparentes contradictions qui r´eduisent l’int´erˆet du mod`ele `a celui de ph´enom`enes complexes au sens profond.

Le th´eor`eme de Lanford s’´enonce comme suit.

Th´eor`eme 3 (Lanford [49], 1975). Soit β un nombre r´eel strictement positif, et soit f0: R2d→ R+ une densit´e de probabilit´e continue qui v´erifie

(x, v) 7→ f0(x, v) exp β 2|v| 2 L(R2d) < +∞.

On consid`ere le syst`eme de N sph`eres dures de diam`etre ε (r´egi par la dyna- mique introduite dans la section 1.2.2) d´ecrit par la fonction de r´epartition fN :

R2dN → R+, distribu´ees initialement selon la densit´e f0 de fa¸con ind´ependante

(au sens o`u la suite des distributions initiales de s particules, avec 1 ≤ s ≤ N , est donn´ee par les marginales de l’expression (2.6)).

Alors, il existe un temps T > 0 qui ne d´epend que de β et de µ o`u exp(−µ) = (x, v) 7→ f0(x, v) exp β 2|v| 2 L(R2d) ,

tel que, dans la limite de Boltzmann-Grad :

N → +∞, N εd−1= 1,

la premi`ere marginale fN(1) de la fonction de r´epartition fN converge vers la

solution f du probl`eme de Cauchy (2.1) associ´e `a l’equation de Boltzmann, avec

(v − v∗) · ω + pour noyau de collision B(v − v∗, ω), au sens des observables,

c’est-`a-dire que pour tout compact K de l’espace des positions Rd et pour toute

fonction test v ∈ Rd7→ ϕ(v) ∈ R : 1 K(x) Z Rd f − fN(1)(t, x, v)ϕ(v) dv L([0,T ] t×Rdx) −→ N →+∞0.

La preuve de Lanford, qui repr´esente une avanc´ee conceptuelle majeure, a par la suite ´et´e compl´et´ee `a de nombreuses reprises et beaucoup d’auteurs ont apport´e une contribution significative `a l’ach`evement de cet ´edifice particuli`erement com- plexe. On peut citer l’article [60] de Kˆohei Uchiyama, le livre [26] de Carlo Cercignani, Reinhard Illner et Mario Pulvirenti4, ou encore la contribution de

4Voir le chapitre 4, et en particulier les sections 4.4 ”Rigorous Validity of the Boltzmann

38 CHAPITRE 2. ´ETAT DE L’ART SUR L’ ´EQUATION DE BOLTZMANN

Herbert Spohn avec [58]. Une ´etude des arbres de mˆeme type, que l’on doit `a Carlo Cercignani, Viktor Ivanovitch Gerasimenko et Dmitri Ya. Petrina, bas´ee sur un contrˆole de la taille des ”trajectoires pathologiques”, c’est-`a-dire des tra- jectoires de sph`eres dures rendant difficile la comparaison avec les trajectoires associ´ees obtenues dans la limite de Boltzmann-Grad, a ouvert la voie vers des preuves de plus en plus quantitatives. Cette ´etude est pr´esent´ee dans le livre [25]. Enfin, les travaux de Thierry Bodineau, Isabelle Gallagher, Laure Saint-Raymond, Sergio Simonella et Benjamin Texier ont apport´e une contribution d´ecisive au programme de Grad. En particulier, alors que le th´eor`eme de Lanford a ´et´e pr´esent´e pour la premi`ere fois en 1975, l’article [34] de 2013 peut ˆetre consid´er´e comme la forme la plus aboutie de la preuve de ce th´eor`eme obtenue jusqu’`a pr´esent. Une remarque fondamentale concernant le th´eor`eme de Lanford est l’in- tervalle de temps sur lequel sa conclusion est valide : contrairement aux r´esultats pr´esent´es dans la section 2.1, la convergence de la premi`ere marginale n’a lieu que sur un intervalle de temps petit, donn´e par la r´egularit´e de la donn´ee ini- tiale. En 2016, le plan de preuve de Lanford permet `a Bodineau, Gallagher et Saint-Raymond dans [8] d’obtenir une convergence sur un intervalle de temps arbitrairement grand de la fonction de distribution d’une particule marqu´ee qui ´

evolue dans un gaz `a l’´equilibre thermodynamique, vers la solution de l’´equation de Boltzmann lin´eaire. Ce r´esultat est `a comparer avec celui de Giovanni Gal- lavotti [35], qui obtenait la convergence de la fonction de distribution d’une particule marqu´ee qui ´evoluait au milieu d’obstacles fix´es distribu´es de fa¸con al´eatoire, vers la solution de l’´equation de Boltzmann lin´eaire.

Ce mˆeme groupe d’auteurs a par ailleurs publi´e un article ([9]) qui revient sur l’apparition de l’irr´eversibilit´e lors du passage `a la limite de Boltzmann-Grad.

Chapitre 3

Apports et structure de ce

travail

Ce travail s’inscrit dans le programme de Grad, et vise `a obtenir une preuve du th´eor`eme de Lanford dans le cas particuler d’un domaine `a bord. Au fur et `

a mesure du temps consacr´e `a la r´esolution de ce probl`eme, l’accent a ´et´e mis progressivement sur une r´edaction aussi exhaustive que possible des arguments d´eploy´es pour d´emontrer le th´eor`eme de Lanford. Et puisque ce travail s’appuie en particulier sur l’article phare [34], le travail d’adaptation de la preuve a permis de mettre `a jour quelques ´el´ements `a d´etailler dans la tr`es longue et tr`es tech- nique d´emonstration du th´eor`eme de Lanford. Les nouveaut´es concernent d’une part l’obtention d’un th´eor`eme d´erivation rigoureux de l’´equation de Boltzmann dans le cas d’un domaine `a bord, et d’autre part les commentaires faits sur la preuve pr´esent´ee dans [34].

3.1

Le th´eor`eme de Lanford dans le demi-espace

S’agissant de la motivation `a l’origine du pr´esent manuscrit, on va d´emontrer un r´esultat analogue au th´eor`eme 4, dans le cas o`u les particules ´evoluent dans un domaine `a bord. Ce travail est ex´ecut´e dans le cadre de sph`eres dures ´evoluant dans le demi-espace, et qui interagissent par r´eflexion sp´eculaire avec le bord de l’obstacle, qui est donc ici un demi-plan.

Comme il a ´et´e pr´ecis´e plus haut, on suivra la preuve de Lanford, qui s’ap- puie sur une ´etude minutieuse des trajectoires suivies par les sph`eres dures. Ce plan de preuve incite `a consid´erer dans un premier temps un probl`eme simplifi´e par rapport au cas d’un obstacle g´en´eral : on restreint d’abord l’´etude au cas o`u l’obstacle est convexe. En effet, dans ce cas si une particule rebondit une premi`ere fois contre l’obstacle, elle ne pourra pas rebondir `a nouveau contre ce dernier sans que sa vitesse ne soit modifi´ee, c’est-`a-dire, sans que cette particule ne soit entr´ee en collision avec une autre particule du syst`eme. Ce simple constat simplifie grandement l’´etude des trajectoires, alors qu’en pr´esence d’un obstacle

40 CHAPITRE 3. APPORTS ET STRUCTURE DE CE TRAVAIL

quelconque on pourrait parfaitement imaginer des particules rebondissant en cascade contre l’obstacle, demandant un traitement analytique suppl´ementaire. Finalement, on se contentera dans ce travail d’´etudier le cas o`u l’obstacle est le demi-espace. A priori, on remarque que l’obstacle dont le bord est un hyperplan est, parmi les obstacles convexes, le pire d’une certaine fa¸con. Le pire, en ce sens que la convexit´e a un effet diffusif : si deux particules suivent des trajectoires parall`eles avant d’entrer toutes les deux en collision avec l’obstacle, apr`es rebond les trajectoires seront divergentes, de sorte que les particules en question auront tendance `a s’´ecarter l’une de l’autre, pr´evenant ainsi toute recollison. Lorsque le bord de l’obstacle est plat, on est dans la situation critique o`u l’effet diffusif est nul, et l’on pourrait alors redouter des complications relatives aux trajectoires que suivent les particules.

Cependant, le demi-espace simplifie encore davantage l’´etude du probl`eme. En effet, dans ce cas, non seulement la convexit´e permet d’obtenir des trajectoires simples, mais en plus elles deviennent explicites, ce qui facilite d’autant plus les calculs de recollisions.

Les nouveaut´es pr´esent´ees ici et relatives `a la pr´esence de l’obstacle sont les suivantes.

• Le caract`ere bien pos´e, presque partout, du probl`eme de Cauchy pour un syst`eme de sph`eres dures ´evoluant dans un domaine `a bord a ´et´e l’occasion de revisiter la preuve d’Alexander [1], et conduit `a l’obtention de l’´enonc´e de la Proposition 2, section 1.2 page 55.

• L’obtention de la hi´erarchie BBGKY dans le cas de la pr´esence d’un obs- tacle suit les travaux fondamentaux des pionniers de la hi´erarchie BBGKY. La pr´esentation de cette d´erivation est tr`es proche de celle de [34]. Il convient de remarquer que le terme B (voir l’´equation (2.14) page 71) est sp´ecifique au cas du domaine `a bord, et que si un autre mod`ele d’in- teraction avec le bord du domaine avait ´et´e choisi, ce terme aurait ´et´e radicalement diff´erent.

• Le coeur du travail pr´esent´e ici est l’adaptation au cas du domaine `a bord des lemmes g´eom´etriques ayant pour but de contrˆoler les trajec- toires pathologiques au sens de [25]. La pr´esence d’un obstacle complique s´erieusement le lemme de tir pr´esent´e dans [34]1 ainsi que la proposition fondamentale qui empˆeche l’apparition de recollision lorsque l’on ajoute une autre particule `a un syst`eme de sph`eres dures qui n’aurait pas subi de recollision sans cet ajout2. Ces modifications dans le cas de la pr´esence d’un

obstacle sont soigneusement d´etaill´ees dans la section 12.2, d´ebutant page 333. Il est `a noter que pour que l’analogue de la Proposition 12.1.1 de [34] fonctionne, on a dˆu introduire un cut-off suppl´ementaire en la proximit´e des particules au moment d’une collision. Ce cut-off est trait´e dans la mˆeme

1Voir la section 12.2 ”Geometrical lemmas”.

3.1. LA PREUVE DU TH ´EOR `EME DE LANFORD D ´ETAILL ´EE 41

section 12.2, et il ne change pas fondamentalement la vitesse de conver- gence obtenue dans le r´esultat final. En revanche, il n´ecessite l’´ecriture d’un lemme suppl´ementaire de scattering, tr`es similaire au lemme 12.2.2 de [34]3. Ce nouveau lemme est pr´esent´e dans la section 12.2.5 page 368.

• Enfin, un soin tout particulier a ´et´e apport´e `a la d´efinition rigoureuse du cadre fonctionnel dans lequel on d´efinit puis on r´esout la hi´erarchie BBGKY et la hi´erarchie de Boltzmann. C’est l’objet des sections 5, 6 and 7. En particulier, la plus longue partie4 concerne la d´efinition rigoureuse

de l’op´erateur de transport-collision de la hi´erarchie BBGKY.

Il est `a noter que tous les r´esultats interm´ediaires pr´esent´es et les argu- ments d´evelopp´es dans ce travail au sujet de la d´efinition rigoureuse de l’op´erateur de transport-collision de la hi´erarchie BBGKY peuvent d´ej`a ˆetre trouv´es dans [34]5, sous une forme plutˆot succinte. Ici, on s’est at-

tach´e `a d´etailler chacun de ces arguments, puisque l’´etape de la d´efinition rigoureuse de la hi´erarchie BBGKY est `a la fois cruciale et d´elicate.

`

A ce stade du texte, il est sans doute utile de pr´eciser une derni`ere chose `

a ce sujet : on montre dans la section 5.1 que la hi´erarchie BBGKY fait sens pour des fonctions continues en temps, `a valeurs dans les fonctions L∞sur l’espace des phases, et qui v´erifient une condition de d´ecroissance en vitesse : c’est la conclusion du Th´eor`eme 1 page 137. En particulier, on ne sera pas contraint de se contenter de solutions au sens faible de la hi´erarchie BBGKY.

3.2

La preuve du th´eor`eme de Lanford d´etaill´ee

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