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Le thème de la remplaçabilité pièce par pièce des contextes formateurs

Chapitre 1 Démocratie expérimentale

5. Le thème de la remplaçabilité pièce par pièce des contextes formateurs

L’approche du changement structurel soutenue par Unger ne considère pas la structure sociale comme un ensemble indivisible :

« Once we define a formative context with enough detail to show how it shapes routines of social conflict, we see that its components do not in fact develop simultaneously nor come together in a single moment of closure. » (Unger, Politics, Volume 2, p. 157)

La théorie sociale exposée jusqu’ici signale une manière particulière de comprendre le changement structurel, et par ce fait, fournit un nouveau type de justification aux arguments normatifs concernant le changement structurel. L’analyse de la structure sociale ungerrienne rejette l’idée de traiter les types abstraits de gouvernements et d’organisations économiques comme si elles étaient dotées d’un contenu institutionnel qui lui serait essentiel ou préordonnées. Bien des penseurs académiques selon Unger tiennent pour acquise l’équivalence entre l’idée abstraite de la démocratie représentative et la combinaison particulière du constitutionnalisme libéral issu du 18e siècle avec la politique de parti issue du 19e siècle (Ibid, p. 160). En effet, puisque le contenu de nos idées à propos des types abstraits d’organisations politiques est inévitablement influencé par nos arrangements institutionnels actuels, alors les gens tendent à naturaliser le concept de libre marché ou encore de démocratie. Or, nos arrangements institutionnels sont issus de la contingence historique. Unger affirme que les libéraux et les radicaux partagent ce préjugé avec les conservateurs. D’une part, les libéraux échouent à confronter les contraintes des formes institutionnelles dont nous avons hérité afin de réaliser leurs idéaux. D’autre part, les radicaux cherchent des alternatives aux économies de marché en rejetant entièrement les principes du marché et de la production de masse. Ils attaquent souvent la démocratie bourgeoise dans une quête

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futile pour la démocratie directe et l’engagement civique permanent (Ibid, p.160). Ce diagnostic du discours idéologique dominant mène Unger à proposer un nouveau mode de transformation structurelle qui s’oppose autant à la réforme non critique du contexte formateur qu’à la révolution tout-en-un du contexte formateur. Son alternative se nomme la réforme révolutionnaire. Il la définit comme suit : « the substitution of any one of the loosely and unevenly connected arrangements and beliefs that go into the making of a formative context. » (Ibid, p.163) Bien entendu, cette conception normative du changement structurel est aussi pertinente à l’engagement collectif bottom-up qu’aux initiatives réformistes top-Down. L’idée étant qu’un progrès révolutionnaire et pourtant cumulatif est possible. La méthode d’Unger consiste à allier une vision du long terme aux étapes immédiates capables de nous en rapprocher. Et, Unger argumente, la vision doit être corrigée au fur et à mesure de la progression cumulative vers l’idéal normatif.

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Conclusion de chapitre

Dans ce chapitre, nous avons argumenté en faveur du programme politique de reconstruction sociale nommé Démocratie expérimentale et de la théorie sociale de Roberto Unger qui l’accompagne en raison du fait qu’elle offre un cadre conceptuel et normatif ayant comme objectif principal de développer et canaliser l’engagement civique vers la réforme progressive de la société. Ce cadre philosophique est pertinent dans la mesure où la démocratie ne se réduit pas à l’exercice du vote, puisque la transformation de la démocratie est envisagée à travers un processus expérimental qui cherche à inclure activement l’apport des citoyens. L’expérimentalisme démocratique se justifie de plus par son adaptabilité accrue qui promet une meilleure réceptivité par rapport aux intérêts des citoyens.

L’argument central des chapitres subséquents consiste à faire valoir que la pratique de la philosophie pour enfants en communauté de recherche facilite le développement des capacités cognitives, sociales et émotives requises pour le développement de l’empowerment. La philosophie pour enfants représente une activité permettant aux personnes initiées d’être en mesure de transcender leur contexte formateur parce qu’elle permet aux jeunes d’analyser, de critiquer et dans une certaine mesure façonner une partie de leur contexte formateur dans un environnement ouvert au rehaussement de la vulnérabilité. Le modèle d’apprentissage de la philosophie pour enfants représente une pratique sociale capable de réduire la distance entre les routines qui préservent le contexte formateur et les conflits qui le transforment. Ce faisant, la philosophie pour enfants consiste en une activité permettant un mouvement loin du retranchement du contexte formateur. En effet, elle peut aider à combler l’écart entre les activités routinières qui reproduisent le contexte formateur et celles qui interrompent le cours normal de la vie quotidienne en permettant aux élèves de s’interroger de manière critique sur leur environnement, ce qui est le meilleur antidote au

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processus de naturalisation des arrangements institutionnels et des structures idéologiques. Ceci est acquis avec la formation d’attitudes épistémiques reliées à la pensée critique nécessaire à sa révision. De plus, son cadre épistémologique est compatible avec la démocratie expérimentale puisque les détenteurs du pouvoir sont justiciables de l’opinion de tous les membres de la communauté de recherche. En ce sens, les prochains chapitres défendent l’implantation de la philosophie pour enfants comme étant en mesure d’incarner les conditions éducatives à la mise sur pied d’une démocratie expérimentale et à l’actualisation de son idéal de liberté profonde. Malgré tout, la philosophie pour enfants possède certaines lacunes qui inhibent sa capacité à transformer de manière conséquente le contexte formateur. Il est argumenté que la philosophie pour enfants néglige le développement des capacités productives, ce qui inhibe le développement de l’agentivité des élèves. Ceci l’empêche d’incarner pleinement une activité qui réduit l’écart entre le contexte formateur et le contexte routinier. Elle est limitée aussi par l’absence d’institutions adaptées à l’incorporation de l’apport des individus évoluant en son sein. Nous examinons au chapitre 3 une nouvelle direction dans le domaine de la philosophie pour enfants axé sur l’apprentissage dirigé vers l’action capable de pallier les limitations de son potentiel démocratique.

Chapitre 2 - Première vague en philosophie pour enfants